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 Now the day bleeds into nightfall ✞ EULALIE

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Balthazar Graves
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Balthazar Graves

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Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.


DEMAIN DES L'AUBE.


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Now the day bleeds into nightfall ✞ EULALIE _



________________________________________ 2019-02-09, 16:14


I'll be self-destructing when
your beautiful corruption touches me.
Ohh, I should have kept quiet
Yeah I should have shut my stupid mouth...


La librairie du centre commercial. Un lieu dans lequel Balthazar n'était pas habitué à se rendre. Il lisait très peu et encore moins de romans. Pourtant, c'était dans ce rayon qu'il se trouvait ce jour-là. Ce n'était pas son initiative. Il y avait été contraint par un nouvel sms envoyé depuis le numéro masqué qui l'avait déjà indiqué de se rendre au cinéma, presque deux mois plus tôt. Depuis, il avait évidemment demandé à Holmes de trouver l'identité de l'émetteur, mais le détective s'y était cassé les dents, sans succès. Preuve qu'il n'était pas aussi talentueux qu'il le laissait croire.

Le numéro masqué ne l'avait plus re-contacté, hormis ce jour-là. Aux alentours de midi, il avait reçu un sms indiquant seulement le mot :

SHELLEY

Puis, il en avait eu un autre quelques minutes plus tard :

CENTRE COMMERCIAL

C'était tout. Le barbier aurait pu l'ignorer, mais il désirait ardemment savoir qui le manipulait ainsi. Tomber dans un nouveau piège le répugnait, mais avait-il vraiment une autre alternative ? Holmes était incompétent, la police ne l'aiderait en rien (ouvrir une enquête risquait de mettre trop en lumière ses crimes passés), et il n'avait personne d'autre vers qui se tourner. De toutes façons, il préférait régler ses affaires seul. On n'est jamais mieux servi que par soi-même.

Au prix d'un terrible effort, il avait laissé son rasoir dans son étui, soigneusement rangé dans un tiroir de son salon et il avait quitté son appartement avec l'impression de laisser une part de lui à l'intérieur. Jamais il n'avait abandonné son ami. D'habitude, il était toujours dans sa poche, mais étant donné qu'il se jetait dans un traquenard, il préférait ne pas posséder d'arme blanche sur lui. On n'est jamais trop prudent.

"Je reviens." avait-il murmuré avant de fermer la porte, et Moustache avait dressé l'oreille depuis le canapé sur lequel il était lové. Pourtant, ce n'était peut-être pas à son chat que les mots étaient adressés.

A présent, il était planté au beau milieu du rayon romans, entre les "R" et les "S". Il avait en main un recueil de poésie de Percy Shelley. Cela ne lui évoquait rien. Dès l'instant où il était entré, il avait sollicité la première vendeuse venue en marmonnant seulement le mot qu'il avait reçu par sms. Méfiant, il observait les alentours, mais la librairie était calme, ponctuée ça et là de clients plongés dans des ouvrages ou conversant entre eux tranquillement.

"Shelley... Shelley..."
répétait la vendeuse tout en parcourant les étagères. "Ah voilà ! Frankenstein, de Mary Shelley."

Elle se retourna et lui tendit le fameux roman. Balthazar s'en saisit avec réticence. Au moins, cette fois, il connaissait à peu près l'histoire. Suffisamment pour savoir que c'était tragique, sombre et terrible.

"C'est notre dernier exemplaire, apparemment. Je vais en re-commander."

Ignorant la libraire, Balthazar s'en éloigna sans la remercier, les yeux rivés sur la couverture des plus banales. Il ouvrit le livre, passa les premières pages blanches et se stoppa net en découvrant une annotation au stylo juste à côté de la préface.

Es-tu la créature ou le créateur du monstre ?
Regarde en toi-même : tu auras la réponse.

L'écriture était tourmentée, les "L", les "D" et les "T" étirés à l'extrême comme des lames aiguisées. Il en appréciait la calligraphie tout en la redoutant. Qui était cette personne, bon sang ?

Il reposa au hasard les poèmes de Percy Shelley, sachant très bien qu'il avait le bon livre entre ses mains. Il se rendit jusqu'à la caisse, régla son achat et retourna dans l'allée centrale du vaste centre commercial. Il s'interrogeait sur la motivation du marionnettiste (c'est ainsi qu'il l'appelait puisqu'il actionnait les ficelles) à le faire lire un roman. Quel intérêt ? Pourquoi passer par tant d'intermédiaires ? D'abord le cinéma, à présent la littérature... Etait-ce parce que Balthazar n'avait pas renouvelé l'expérience avec la Pellicule Ensorcelée ? Son ennemi venait-il à lui par un autre moyen ?

Il jeta un coup d'oeil anxieux au livre qu'il tenait contre lui, dans sa main. Avant de secouer la tête. C'était absurde de craindre un roman. Ce n'était que du papier.

Son regard accrocha machinalement la devanture d'une boutique de vêtements. Il se souvint alors qu'il avait besoin de chemises neuves. Il avait pour habitude d'user ses vêtements et ne les changeait qu'en dernier recours. Puisqu'il était ici, autant en profiter. Il pénétra donc dans l'atmosphère pimpante de la boutique, exécrant déjà l'agaçante musique qui était diffusée. Sans perdre de temps, il marcha d'un pas rapide jusqu'au rayon hommes et se saisit de trois chemises noires, évaluant à peu près la taille, maussade. Puis, il les plaça sur son bras, tout en gardant le livre en main -qui commençait à l'encombrer. Il était occupé à tenter de le faire tenir dans sa poche de manteau quand une chevelure cuivrée attira son attention, distillant un parfum sucré qu'il associait automatiquement à une personne bien précise. Immédiatement, il sentit son rythme cardiaque s'accélérer alors qu'une boule se formait dans sa gorge. Il aurait reconnu cette cascade de cheveux bouclés entre mille. La jeune femme était là, à seulement un mètre de lui.

Quel était le pourcentage de chances de la croiser en un tel endroit ? Connaissant son goût pour le shopping : extrêmement fort. Balthazar se maudit d'avoir été si imprudent. C'était déjà tellement difficile de subir sa présence lorsqu'elle venait à son salon, une fois par semaine pour se faire coiffer. Il se situait en centre-ville, pas loin de là où se trouvait le précédent (qui était devenu un cabinet juridique. L'ironie du destin.).

Peu après la décision mutuelle qu'ils avaient prise, le barbier avait choisi de réouvrir un salon, car cela lui était bien trop pénible de venir la coiffer à son domicile. Il y régnait trop de souvenirs, et les lieux étaient imprégnés de l'amazone. Les deux fois où il s'y était rendu, il avait perdu son sang-froid à de nombreuses reprises, notamment quand son regard s'était posé sur le piano. Cependant, il s'était contrôlé. Avec le temps, il avait développé un certain talent pour ne pas céder à la tentation. De tuer. De caresser. Ou même d'embrasser. Après tout, c'était un exercice comme un autre. Une frustration de plus.

Cette fois-ci, il ne s'était pas préparé à la voir, si bien que son regard fut trop démonstratif et accablé quand il croisa le sien. Il se ressaisit aussitôt, retrouvant une expression glaciale, et s'éclaircit la gorge, mais sa main fébrile laissa échapper le roman qui tomba au sol, aux pieds de l'amazone. Il se pencha pour le ramasser, cependant quelqu'un fut plus rapide et le fit à sa place.

"Tenez."
fit l'homme tout en tendant le livre avec un sourire beaucoup trop symétrique.

Le barbier ne répondit rien, se contentant de le fixer tout en récupérant son bien. Le bellâtre portait plusieurs sacs issus de différents magasins de vêtements sans avoir l'air de souffrir du poids. Sans doute un garde olympien. Pourtant, ce n'était pas le même modèle que l'autre, celui que Balthazar avait vu plusieurs fois.

Après plusieurs secondes d'observation oblique, ses yeux perçants se posèrent sur Eulalie. Il les baissa brièvement sur les deux robes qu'elle venait sûrement de choisir. Ne trouvant rien d'autre à dire, il articula, morose et vaincu :

"La noire t'ira à ravir."

Toutes les couleurs la mettaient en valeur, c'était indéniable. La plus sombre d'entre elles, à en juger par la découpe de la robe, aurait un effet ravageur. Il ferma ses pensées pour éviter d'imaginer davantage et contourna le "couple". A cette idée, un frisson désagréable le parcourut. Il ne pouvait en vouloir à l'amazone. C'était ainsi, la vie continuait. Pour tout le monde, sauf lui.

"Monsieur Shelley !" lança une vendeuse dans son dos. "Vous avez oublié ça !"

Shelley... Surpris, le barbier jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule et constata que la jeune femme apportait un sac venant d'un autre magasin au type qui accompagnait Eulalie. Balthazar baissa brièvement les yeux sur le roman, avant de s'intéresser de nouveau au bellâtre. Les sms qu'il avait reçu mentionnaient un Shelley dans un centre commercial. Il avait songé à un livre mais s'il s'agissait d'une personne ? La coïncidence était trop grande, surtout qu'elle faisait partie de l'entourage de l'amazone.

Il se redressa, contractant la mâchoire. Cela lui coûterait beaucoup de s'incruster auprès d'eux mais cet homme n'était peut-être pas celui qu'il prétendait être. Tournait-il autour d'Eulalie afin de l'atteindre lui ? Ridicule. Absurde. Mais tant que cela...

Serrant son poing autour du livre et gardant les chemises pêle-mêle sur son bras, il fit demi-tour à contrecoeur pour retourner vers le couple.

"Vous allez aux cabines d'essayages ? Quel hasard... moi aussi."
lança-t-il, lugubre.

Et il indiqua à Eulalie de passer la première d'un geste sec. Il ne s'attarda pas sur le dénommé Shelley. S'il faisait partie du "complot", si tout n'était qu'une mise en scène, il ne voulait pas être soupçonné d'avoir compris. Ce serait plus simple de retourner le piège contre lui, au cas où.

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- See you at the bitter end. -
Every step we took that synchronized, every broken bone, reminds me of the second time that I followed you home. You showered me with lullabies as you're walking away. Reminds me that its killing time on this fateful day.
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"Qu'est-ce qu'elle me veut encore celle-là..."
"Coucou TortueMan, je t'ai manqué ?"


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"Je sais que j'ai une mauvaise réputation
mais de là à garder une distance de sécurité..
tu abuses, Emmet."





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Now the day bleeds into nightfall ✞ EULALIE _



________________________________________ 2019-02-16, 15:00


What are you doing to me ?
Maybe you just hate the thought of me with someone new.
You're just making sure I'm never gettin' over you.


La monotonie n'était pas faite pour moi. Du moins, c'était ce que j'avais fini par penser après des mois à être incapable de conserver une routine stable et que l'on aurait pu considérer comme ordinaire. Je m'étais faite une raison, après tout j'étais une amazone et cette simple nature n'ayant rien de banal, mon quotidien ne pouvait décemment pas l'être. C'était une sorte de relation de cause à effet à laquelle je ne pouvais rien changer. Pourtant, avoir une vie plus ordinaire était l'objectif que je m'étais stupidement fixé.

La difficulté de la tâche ne m'effrayait pas. Il n'était pas trop tard pour opérer des changements drastiques dans mon existence. Je voyais ça comme une bonne résolution à tenir pour l'année qui venait de commencer, celle passée ayant été un désastre, remplie de regrets, de désillusions et de peine sur lesquels je ne préférais pas m'attarder. Basile m'avait aidé pour ce qui était de me trouver de nouvelles occupations, tout comme j'avais trouvé un moyen de remplir mes journées en proposant de nouveau mes services à la police de la ville. Ce n'était pas suffisant pour autant. Je me devais de céder à l'attrait de la nouveauté, autant qu'il était nécessaire que je m'autorise plus de libertés.

"On m'a offert un week-end à Paris en cadeau de Noël." laissais-je échapper à l'adresse de celui qui m'accompagnait tout en scrutant les portants qui se trouvaient face à moi. "Je n'y suis encore jamais allé. Tu as déjà vu la Tour Eiffel, toi ?"

Je n'étais qu'à moitié consciente des sous-entendus qu'une telle question pouvait porter. Je me rendais compte, souvent à retardement, qu'il m'arrivait de tenir des propos ambigus. Comme des sortes de... sollicitations. D'après Basile, c'était un mimétisme que je mettais en place après avoir passé de nombreuses soirées à côtoyer des individus aux méthodes d'approches aussi variées que parfois absurdes. Il disait que ça faisait partie de mon évolution. Il avait une fois ajouté que c'était sans doute ma méthode pour "passer à autre chose" mais il n'avait pas développé davantage sa réflexion après que je l'ai fusillé du regard. Je préférais me contenter de sa théorie sur la poursuite de mon apprentissage social.

Je m'étais retournée avec un sourire léger tout en étudiant les robes trop habillées que j'avais choisi après un instant. Je n'étais pas certaine de vouloir passer ce week-end à l'étranger avec lui. J'hésitais à le proposer à Monsieur Verne qui serait ravi d'un tel séjour et qui saurait rendre ce voyage instructif. Ce serait une expédition totalement différente avec Nolan, à l'évidence. Sa compagnie était assez agréable pour que je la réclame, comme dans des moments comme celui-ci, et je n'avais pas manqué de remarquer les regards envieux de certaines sur notre chemin. J'étais chanceuse d'être aussi bien accompagnée. J'en profitais. Et il m'aidait à oublier, en quelques sortes.

"Il faudrait que je trouve des chaussures pour aller avec." estimais-je avec une moue sans pousser plus loin le sujet de la capitale française.

Je haussais les épaules, considérant que rien ne m'empêchait de dévaliser l'entièreté des rayons de toute manière, tout en me détournant pour continuer mon exploration.

Je restais figée dans mon élan. Si je n'avais pas été accompagnée, j'aurai à vrai dire eu le réflexe immédiat de faire demi-tour, certainement, bien que je ne pouvais m'empêcher de le fixer. Je devais être victime d'une hallucination. Je ne voyais pas d'autre explication logique pour justifier qu'il puisse se trouver ici. C'était trop soudain et inattendu pour que je sache comment il fallait que je réagisse.

Je sursautais presque lorsque Nolan ramassa le bouquin tombé au sol, ce qui eut au moins le mérite de me sortir de ma paralysie passagère, et je baissais les yeux pour le suivre du regard. Comme toujours, il se montrait serviable et obligeant. Je n'allais pas le lui reprocher même si j'aurai pour une fois préféré qu'il ne soit pas si... gentil. Il ne pouvait pas savoir à quel point cette situation était absurde. J'eus un bref sourire, indécise, alors que ma poitrine se serrait au moment où Balthazar décida de parler.

Pourquoi est-ce qu'il faisait une telle remarque ? J'adorais cette robe. Je ne l'avais pas choisi pour rien. Mes doigts se crispèrent davantage sur le tissu et je me pinçais les lèvres sans parvenir à maintenir son regard. Je serais incapable de la porter sans penser à lui à présent.

"On devrait partir." intimais-je à Nolan dans un murmure, refusant de prolonger ce face à face des plus incommodants.

J'avais attrapé son bras pour le faire avancer, mon cœur menaçant d'exploser alors que je le traînais dans la direction opposée à celle que prenait le barbier. Je n'avais pas prévu qu'une telle rencontre ait lieu alors que j'aurai dû me douter que Storybrooke était un endroit où le pire se produisait constamment. Je m'impatientais lorsqu'on l'interpella et qu'il s'arrêta pour récupérer un sac qui, en plus de cela, m'appartenait. J'achetais vraiment beaucoup trop de choses. Tout ce qu'il portait pour moi en témoignait.

Je n'avais plus aucune envie de m'attarder. Pourtant il fallait croire que j'étais maudite ou que le destin voulait tester ma patience, puisqu'en plus d'être dans un endroit où il n'avait rien à faire, le psychopathe choisissait de persévérer.

"Non." lâchais-je trop brusquement à sa nouvelle remarque en restant près de Nolan. "Je veux dire... oui. On y va."

Je me rattrapais maladroitement. Mon désir de fuite allait être suspect. Je me demandais malgré tout quelle excuse saurait assez convaincante pour écourter ce moment. Je pouvais dire que Cléo était malade mais ce n'était qu'un poisson, ça n'avait pas de sens. Réclamer l'aide de Basile ne servait à rien, ce dernier me rendait de moins en moins service dernièrement sous prétexte que je me devais d'être indépendante. Simuler un malaise ne tromperait pas Balthazar, attirerait trop l'attention, et inquiéterait Nolan. Et je me mettais à trop réfléchir. Encore. Je serrais les dents alors que paraître impassible se révélait être une véritable épreuve.

"Hum... Nolan, je te présente... Mon coiffeur. Monsieur Graves." me décidais-je à prononcer à l'égard du jeune homme que je ne lâchais plus tout en l'entraînant avec moi. "Il n'est pas très sociable. Généralement."

Je m'exprimais sans conviction. Il m'était impossible de feindre ne pas le connaître maintenant qu'il m'avait déjà adressé la parole, et je n'avais pas su comment l'identifier autrement. Ce n'était pas mon cousin. Pas qu'une connaissance. Pas un ami. Plus un amant. Je me mordais l'intérieur de la joue à l'extrême. Je n'allais pas dire ça à haute voix.

"Je ne savais pas que tu lisais autre chose que Conan Doyle." poursuivais-je en tournant à peine la tête vers le barbier avec un naturel qui me désarmait moi-même, bien que je restais quelque peu irritée. "C'est un bon choix, Frankenstein. Je l'ai beaucoup aimé."

Tenir une conversation aussi quelconque et inhabituelle avec lui me faisait me sentir idiote. Je n'étais pas douée pour jouer la comédie mais j'y étais bien obligée si je voulais éviter que Nolan commence à se poser des questions.

"Je pense que tu devrais aller chercher quelque chose à essayer, toi aussi." commentais-je précipitamment, en me plaçant face à Nolan.

Je le forçais à stopper alors que nous étions arrivés aux cabines. Distraitement, ma main était passée de son bras à son torse sans que je ne cesse de le regarder. Il avait une carrure qui lui permettait de porter ce qu'il voulait. Ce n'était pas très compliqué avec un corps sculpté comme le sien. Je me demandais à quoi il aurait pu ressembler dans l'uniforme de police que portait mes collègues et en voler un pour me faire une idée par moi-même était envisageable. Me concentrer sur cette réflexion me permettait de faire abstraction du reste.

"Comme un costume. Ça t'irait bien. Et ça pourrait être utile." débutais-je, incertaine, en sentant cette aura pesante derrière moi. "Je me disais... Je me disais qu'on pourrait passer la soirée du 14 tous les deux. Ils ont ouvert un nouveau restaurant dans ma rue le mois dernier."

J'avais baissé les yeux tout en parlant avec douceur, mes doigts se crispant contre sa veste. Il était plus grand que Balthazar. Je n'y avais pas fais attention auparavant, mais c'était un détail qui me sautait aux yeux à présent. J'avais l'impression que chaque différence supplémentaire entre eux me faisait le convoiter davantage.

"Je ne veux pas te forcer, c'est seulement si tu en as envie... Mais j'ai choisi mes robes spécialement pour ça." affirmais-je avec mon plus adorable sourire - je savais que peu de personnes parvenaient à me refuser quelque chose quand je l'affichais.

Je n'avais pas prévu une telle invitation. Ce n'était pas dans mes projets. Je me fichais de cette fête. Pourtant, je le faisais. Par provocation parce que le psychopathe était là pour l'entendre ? Si c'était le cas, je ne l'admettrais jamais. Je lançais à peine un regard à Balthazar tandis que je me détournais de Nolan sans attendre sa réponse pour rentrer dans l'une des cabines. Je ne voyais pas comment les séparer et les empêcher d'être dans le même périmètre plus longtemps, alors m'enfermer pendant plusieurs minutes pour leur échapper était la seule option qui me restait.

J'inspirais longuement une fois à l'abri des regards. Je me sentais fébrile. Agitée. Je secouais vivement la tête avant de laisser de côté la robe noire à regret pour me concentrer sur la seconde. J'avais déjà tout ce qu'il me fallait chez moi, autant pour le quotidien que pour les occasions spéciales, et je me maudissais de mes achats compulsifs étant donné la rencontre qui en avait résulté aujourd'hui. Est-ce que j'allais devoir changer de ville pour faire du shopping ? Ce psychopathe me faisait toujours sortir de ma zone de confort, même quand je ne m'y attendais pas. C'était épuisant.

J'avais pris tout mon temps et sondé les auras alentours, soulagée que Nolan ait apparemment décidé de s'éclipser. Ça ne durerait pas. Je me tendais cependant instinctivement alors que Balthazar n'avait pas jugé utile de partir à son tour. Cela n'avait rien de cohérent. Je repoussais rudement le rideau, n'ayant même pas l'envie de m'attarder à me regarder dans le miroir. Je savais que cette tenue m'allait à la perfection. Les bras croisés, j'imaginais qu'il ne me restait plus qu'à attendre. Ce n'était pas agréable. Je déglutissais péniblement sans parvenir à ne pas lui jeter quelques coups d’œil intrigués. Je me sentais gênée, je crois, mal à l'aise. Je n'avais pas à l'être.

"Tu ne les essayes pas ?" fis-je remarquer malgré moi, mon regard s'étant attardé sur les chemise qu'il avait en mains. "Tu n'as pas pris la bonne taille. Elles seront trop larges pour toi."

En un coup d’œil, j'étais capable de deviner qu'elles seraient trop amples pour lui, comme tout ce qu'il portait généralement. Je connaissais son corps par cœur même si je tentais au mieux de l'effacer de ma mémoire. Il ignorait à quel point il passait à côté de l'occasion de paraître encore plus... séduisant. Je me mordais les lèvres et tournais la tête pour chercher mon rendez-vous du regard, désirant finalement qu'il se presse davantage. Lui savait comment s'habiller sans que je n'ai à lui faire remarquer. Il donnait l'impression de ne pas faire d'efforts pour plaire. Peut-être qu'il s'entraînait pour conserver sa musculature. Je ne lui avais pas posé la question. Ça ne m'intriguait pas. Contrairement à d'autres détails.

"Qu'est-ce que tu fais ici ?" l'interrogeais-je, faussement insouciante quant à la réponse qu'il n'apporterait probablement pas. "Ce n'est pas dans tes habitudes. De traîner dans les magasins."

Je n'avais pas à parler. Faire la conversation était surfait. Mais je n'étais pas dupe ou idiote au point de penser que sa présence ou son insistance était le fruit du hasard. Cela me laissait aussi perplexe qu'inquiète. J'ignorais si c'était pour le plaisir de me mettre dans une position délicate, ou parce que son côté sadique voulait me faire endurer sa compagnie un peu plus longtemps. Dans tous les cas, je n'aimais pas ça.
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Fool me once, fool me twice. Are you death or paradise ? Now you'll never see me cry, there's just no time to die.

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________________________________________ 2019-02-24, 17:23


I guess I kinda liked the way
you numbed all the pain.
I'm going under and this time I fear
there's no one to save me.


L'emmener à l'écart. Egorger discrètement. Faire disparaître le corps. Effacer les preuves.

Il suffisait de se montrer ingénieux et rusé. Balthazar l'avait déjà fait par le passé. Ce n'était pas un problème de recommencer. Au contraire, cela lui aurait apporté la sérénité dont il avait cruellement besoin. En apparence, il était un modèle de calme, voire de nonchalance, même si les vaisseaux sanguins pulsaient à ses tempes et fourmillaient à l'intérieur de lui. Il devait faire preuve de beaucoup de self-control pour ne pas agir d'une façon qu'il aurait pu regretter ensuite. Bien que la potentielle mort de ce Shelley ne lui aurait procuré qu'une intense satisfaction.

Le barbier fut contraint de revoir ses plans à la baisse en réalisant qu'il n'avait pas son rasoir avec lui. Ce brusque souvenir lui arracha un tremblement nerveux et il s'installa d'une façon plus raide sur le siège qu'il occupait face aux cabines d'essayage.

De toutes façons, supprimer cet homme ne résoudrait pas le problème. Le fondement de son mal être était bien trop abyssal, entremêlé de doutes et de noeuds impossibles à défaire. Il avait laissé sombrer l'amazone avec lui. A présent qu'elle s'éloignait enfin, il ne devait pas la priver de celui qui pourrait la rendre heureuse, même s'il s'agissait d'un imbécile de deux mètres aux épaules carrées. N'était-ce pas ce qu'il voulait depuis le début, qu'elle le laisse tranquille ? Bien souvent, on n'apprécie la valeur d'un moment qu'une fois qu'il s'est volatilisé à jamais. Balthazar payait amèrement le prix de ce qu'il avait désiré le plus depuis longtemps.

Shelley était parti en quête de vêtements à essayer. Quant à Eulalie, elle venait de repousser le rideau, dévoilant une robe bordeaux au décolleté vertigineux. Le barbier cligna des yeux et se fit violence pour rester parfaitement impassible. Sulfureuse. Provocante. Allumeuse. Comme à son habitude. Il n'en était pas surpris. Ce n'était qu'une branche de plus jetée sur les braises de son désir inassouvi.

Il baissa le regard sur les chemises qu'il avait posées sur l'accoudoir de son siège, avant de le relever vers l'amazone, maussade.

"Tu as pris la seule cabine disponible." fit-il remarquer d'un ton acide.

Il lui adressa une expression éloquente. Tous les rideaux étaient tirés et des voix principalement féminines s'en élevaient, alors que les chaises étaient occupées par une majorité d'hommes en train de patienter tout en pianotant sur leurs téléphones. L'un d'entre eux lisait même le journal. L'attente promettait d'être longue et pénible. Le barbier s'en accommodait. Il était habitué à endurer la torture mentale et psychologique. Ignorant la question de l'amazone, il se contenta de la fixer, les bras croisés. Elle finit par retourner s'enfermer dans la cabine, alors que Shelley revenait avec un pantalon posé sur le bras. Il se stoppa net en constatant qu'aucune cabine n'était libre, et pivota vers Balthazar. A cet instant, il sut que l'attente allait véritablement devenir très pénible. Il l'ignora de toutes les manières possibles, se détournant même de quelques centimètres en faisant pivoter son siège avec lui. Pourtant, l'autre se sentit obligé de faire la conversation. Stupide habitude des gens encore plus stupides.

"Ca fait longtemps que vous êtes son coiffeur ?"
demanda le bellâtre d'un ton aimable.

"..."

"Je ne vais jamais chez le coiffeur." précisa-t-il tout en passant une main dans ses cheveux courts. "J'ai une tondeuse chez moi. Je fais ça moi-même."

Souhaitait-il un compliment sur la façon discutable dont il traitait sa chevelure ? Balthazar se contenta d'émettre un soupir appuyé. Devant l'ampleur du silence pesant, l'enthousiasme de Shelley diminua d'un cran. Pourtant, il continua d'insister, si bien que le barbier le soupçonna de chercher les problèmes.

"Il fait plutôt beau aujourd'hui, n'est-ce pas ?"

"..."

"Eulalie est vraiment quelqu'un de très chouette. J'ai beaucoup de chance d'être tombé sur elle. Enfin, même si c'est plutôt elle qui est tombée sur moi."
fit-il avec un petit rire à ce souvenir. "C'était en boîte. Elle a glissé sur la piste de danse et elle m'est tombée dessus. Je l'ai retenue, bien sûr. Elle n'a pas vraiment chuté. C'est comme ça qu'on s'est rencontré."

"Shelley." articula-t-il subitement dans un claquement agacé.

Il tourna brutalement la tête vers lui, braquant un regard glacé dans le sien. L'autre ne sourcilla pas mais l'observa avec attention. Il se doutait qu'il n'allait rien lui dire si jamais il était lié de près ou de loin à cette histoire de textos masqués. C'était évident. Aussi, il se contenta de l'intimider, afin de tester sa réaction.

"Vous devriez vous montrer plus malin que ça." dit-il avec un rictus faussement complaisant. "Ca serait dommage qu'il vous arrive... un accident."

Il avait achevé sa phrase d'une manière très lourde de sens, alors que ses yeux prenaient un éclat assassin. Shelley esquissa un sourire incertain. Mal à l'aise, il s'éloigna sans répondre et se rendit jusqu'à la cabine d'Eulalie.

"Alors, tu me montres ?" demanda-t-il.

Il écarta le rideau mais resta devant afin que seul lui puisse voir.

"Wouaho." s'extasia-t-il. "On dirait qu'elle a été cousu sur toi."

Balthazar plissa des yeux. Le comportement du bellâtre l'irritait prodigieusement, car il ne donnait pas l'impression de cacher quelque chose. Il n'avait donc aucune raison de rester plus longtemps.

Malgré tout, il resta vissé à son siège. Il y avait une raison à cela : son attention venait d'être attirée par le journal de l'homme assis à quelques pas. Il se leva d'un bond et se précipita vers ce dernier, se courbant afin de mieux voir la photo au dos du journal. L'homme pencha la tête de côté afin de regarder le barbier, anxieux et intrigué par son comportement. Sans un mot, Balthazar arracha la dernière page des mains de l'homme et ignora ses protestations. Il fixait la photo en noir et blanc sans ciller, sa respiration se raréfiant de seconde en seconde. Il la détaillait au point de la brûler de son regard.

D'un pas mécanique, il se dirigea ensuite jusqu'à la cabine d'Eulalie et poussa tout à fait le rideau. Ce fut au tour de Shelley de protester.

"Eeeh ça va pas ?"

Balthazar l'ignora à nouveau, plaçant la page sous le nez de l'amazone. La photo montrait un Turpin souriant, fier d'avoir gagné le premier prix de jeu d'échecs de Storybrooke. Le barbier fixait intensément Eulalie. Elle l'avait vu, elle aussi, dans la Pellicule Ensorcelée. Elle pouvait juger de la ressemblance déroutante.

"Il est mort. Je sais qu'il est mort." assura Balthazar d'un ton sourd.

La jubilation qu'il avait ressenti quand la carotide du juge avait cédé, faisant jaillir un flot écarlate qui avait éclaboussé son visage et sa chemise. Il ne pourrait jamais oublier cet instant. Gravé au fer rouge dans sa mémoire. Même la Malédiction n'avait pu l'en priver car vingt-huit ans durant, il avait rêvé fréquemment de ce moment, sans parvenir à y donner un sens. Il avait planté son rasoir treize fois dans la gorge de Turpin, même s'il avait été condamné dès le premier. Il s'était senti libéré un bref instant. La vengeance à son point le plus culminant. Puis, il avait re-basculé dans la soif de tuer. Toujours plus. Jusqu'à ce que le nuage magique le prenne.

Il agita la photo sous les yeux d'Eulalie, s'impatientant. Ne voyait-elle pas que cet homme ne pouvait pas être en vie ?

"Ca suffit."
ordonna Shelley d'un ton ferme. "Vous faites un peu flipper tout le monde. Rendez son journal au monsieur."

Le barbier se fit violence pour ne pas se retourner et lui faire manger la page. A la place, il fixait toujours Eulalie. Pourquoi espérait-il un éclaircissement de sa part ? Elle était sotte, il le savait. Mais dans cette histoire, elle était ce qui se rapprochait le plus d'une alliée. Elle était la seule à connaître le visage de Turpin.

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"Coucou TortueMan, je t'ai manqué ?"


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mais de là à garder une distance de sécurité..
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________________________________________ 2019-03-03, 14:24


When I'm thinking of trouble,
god knows I'm thinking of you.
Still got a heart-shaped bruise, that's how I remember you.


Je restais indécise face à la page de ce journal qu'il tenait trop fermement. Ce n'était pas ainsi que j'avais imaginé ma journée. Du tout. J'étais très loin du programme sans encombres en compagnie de Nolan que j'avais mentalement planifié, faits d'achats et de promenade suivis de dégustation de gâteaux dans un café. La simple présence du psychopathe remettait tout en perspective. Je secouais la tête en détournant mes yeux de sa personne et j'attrapais le morceau de journal qu'il tenait sans grande délicatesse. Les bords en furent quelque peu déchirés à cause de la trop grande énergie contenue dans mon geste, nécessaire cela dit pour qu'il me le cède tellement ses doigts s'y étaient crispés.

J'avais une excellente mémoire et, en plus de me souvenir de tous les détails de notre dernière soirée, je me rappelais de ce visage et du nom de cet homme, ainsi que de l'animosité de Balthazar à son égard. Il m'était néanmoins impossible de déchiffrer le contenu de l'article, illisible à cause de l'encre tâchée de façon trop prononcée.

"Il en faudrait un autre plus... propre." marmonnais-je pour moi-même, tout en tournant la page entre mes mains pour le scruter davantage. "Mais il ne va plus être en vente. Il a l'air d'être daté d'hier."

La date était à peine déchiffrable elle aussi. C'était frustrant. Et si je le ressentais ainsi, je ne m'imaginais pas ce que ça devait être pour lui. Je n'eus pas besoin de relever la tête pour le sentir fulminer tandis que je lui rendais le bout de papier, et je n'avais pas non plus à le suivre du regard pour deviner ce qu'il s'apprêtait à faire.

"Pourquoi vous lisez un journal de la veille ?" se mettait-il maintenant à presser un pauvre homme en le tenant par le col d'une façon bien trop agressive.

Si je me fiais au reste de revue dans les mains de l'inconnu, il devait être celui à qui il avait emprunté -je supposais sans permission- cet extrait douteux. Je laissais échapper un soupir plein de contrariété tout en m'emparant de mes affaires à même le sol de la cabine. Je les rangeais sommairement dans un des sacs laissés de côté par Nolan avant de les récupérer, alors que ce dernier avait réagit comme je m'y attendais également en s'interposant entre les deux hommes, tel le 'chevalier servant' qu'il était.

"Il vous arrive quoi ? C'est juste un journal !"

Sa bienveillance aurait pu me faire sourire dans d'autres circonstances, mais l'atmosphère était trop pesante pour que j'en sois amusée. Je clignais des yeux tandis que, consterné, il se retournait vers moi comme si j'étais susceptible de pouvoir lui donner une explication. Ce n'était pas le cas. Ou plutôt je n'allais pas le faire, même si j'aurai pu.

"Ce monsieur a le droit de lire ce qu'il veut." soufflais-je malgré tout en m'approchant à mon tour, estimant qu'intervenir n'était pas une si mauvaise idée. "Arrête de le malmener ou je serai obligée de t'emmener au poste alors que c'est ma journée de repos."

Je n'aurai pas vraiment le choix pour sauver les apparences si il persévérait puisque nous nous trouvions en public, devant témoins, avec en plus de ça mon rendez-vous pour assister à toute la scène. Heureusement pour tout le monde, il ne jugea pas utile d'insister plus longuement.

"Excusez-le." poursuivais-je à l'adresse de la pauvre victime, un sourire navré se dessinant sur mes lèvres. "Je peux vous rembourser pour... les dégâts."

C'était la moindre des choses pour tenter d'atténuer les tensions naissantes. Il s'agissait de faire preuve de politesse, d'amabilité au moins, et si ce n'était pas ma spécialité je me débrouillais toujours mieux que Balthazar dans ce domaine. L'homme était sous le choc, mais je l'estimais personnellement chanceux de s'en sortir aussi bien face à un ancien meurtrier. Il ne devait pas avoir conscience qu'il aurait pu finir dans un état encore plus piteux.

J'eus à peine le temps de trouver mon argent dans un des sacs que l'homme marmonnait des paroles incompréhensibles, que j'apparentais à un refus du dédommagement que je proposais, avant de s'éloigner d'un air hébété vers une cabine. Il semblait pousser une femme à sortir pour quitter cet endroit et je fronçais les sourcils, vexée que ma gentillesse soit ainsi repoussée. J'admettais cependant que le regard de Balthazar avait quelque chose d'effrayant pour le commun des mortels, la fuite était certainement une réaction instinctive de survie.

Je restais hésitante un instant avant de jeter un coup d'oeil à Nolan. J'avais l'impression que mon coeur pesait des tonnes. La situation était absurde et j'ignorais quel comportement je devais adopter. Ou plutôt j'étais déjà bien consciente que j'allais faire le mauvais choix.

"Je pense qu'il a besoin de prendre l'air." présumais-je finalement d'un ton aussi désolé que gêné tout en pivotant complètement en direction du jeune homme. "Je vais l'accompagner. C'est plus prudent et... J'ai l'habitude."

Pour quoi est-ce que je le faisais passer en m'exprimant de la sorte ? Un malade mental que je gérais régulièrement ? Est-ce que c'était si loin de la vérité ? Si il se l'imaginait comme un individu que la police se devait parfois de gérer, c'était à mon avantage, à vrai dire. Il le verrait comme mon coiffeur perturbé. C'est tout. Ce n'était rien de plus.

"Tu peux rester ici pour trouver ta tenue, maintenant que j'ai la mienne. Je peux m'en occuper toute seule. C'est préférable, même." lui précisais-je sans attendre pour ne pas lui laisser le temps de m'interroger si l'envie lui prenait.

Il ne devait rien comprendre et, connaissant cet état d'esprit mieux que personne, je savais à quel point ça devait être insupportable. Je me sentais mal de l'écarter ainsi seulement si je ne l'incitais pas à faire le contraire, il désirerait nous suivre, ce qui n'était pas même envisageable. Je ne précisais pas que je n'agissais que pour son bien en ne voulant pas l'impliquer dans une potentielle histoire étrange - ou encore en l'éloignant d'un homme aux pulsions imprévisibles.

"Viens chez moi ce soir." proposais-je alors avec assurance, consciente qu'une telle proposition imprévue lui changerait les idées. "A 19 heures. Je préparerai le repas, c'est le minimum pour me faire pardonner d'écourter notre sortie. Et tu n'as pas le droit de refuser."

Il ne pouvait rester indifférent à l'invitation ni insensible à mon regard suppliant. Je n'aurai qu'à me débrouiller pour que Théodore et Michel-Ange ne soient pas là et lui faire oublier cette perturbation dans notre journée en étant la plus adorable possible serait aisé. Esquissant un sourire engageant, je me redressais juste assez en appuyant ma main sur son épaule pour embrasser sa joue. Je prolongeais probablement volontairement le contact quelques secondes de trop. Ce n'était pas désagréable d'en être si proche. C'était différent. Moins électrique, plus chaleureux. C'était suffisant. Ça devrait l'être.

Je me détachais en me mordant les lèvres, mon rythme cardiaque s'emballant sans que je n'en comprenne la raison, avant de brièvement me retourner vers le barbier :

"On y va ?" parvins-je à prononcer, pressante dans le ton de ma voix, tout en attrapant les chemises qu'il avait laissé sur le siège.

Ce n'était pas réellement une question. Je commençais déjà à m'éloigner d'un pas rapide - trop rapide - à travers les rayons sans l'attendre, encombrée de tous mes sacs que je n'allais pas avoir l'impolitesse de laisser à Nolan. Je voulais quitter cet endroit au plus vite. Je posais brusquement les bouts de tissus près de la caisse une fois à sa hauteur, arrachant un semblant de sursaut à la vendeuse sans parvenir à lui sourire poliment. Habilement, je dégageais mes cheveux pour passer ma main à l'arrière de ma nuque et déchirer l'étiquette de ma tenue que je plaçais avec le reste.

"Je la prends aussi." lui énonçais-je non sans un brin d'agacement. Je n'ai plus vraiment le choix maintenant.

Je regrettais de ne pas avoir remis mes vêtements avant de quitter la cabine, j'aurai été bien plus à l'aise dans ma jupe plutôt qu'avec cette robe noire. Elle n'était pas assez courte à mon goût pour me laisser la liberté nécessaires à chacun de mes mouvements, même si elle avait le mérite de me mettre en valeur. Cela dit, Nolan l'appréciait. Je n'avais pas manqué de le remarquer, elle lui plaisait. Je lui plaisais. Je me focalisais sur cette information plutôt que sur la remarque que le barbier avait pu faire plus tôt.

"Tiens. Tu ne sera pas venu pour rien comme ça." lançais-je à l'attention de Balthazar une fois la banalité du paiement effectuée, en lui tendant l'un des sacs où se trouvait ses chemises. "Et n'abîme pas trop la photo. Tu en aura peut-être besoin."

Je ne savais pas ce qui me prenait. J'aurai dû le laisser là et faire demi-tour plutôt que d'agir aussi impulsivement. Je n'avais pas à m'intéresser à ses affaires irrésolues, sa paranoïa ou ses délires, peu importe qu'ils puissent être justifiés. Ce n'était pas mon histoire, ni mes fantômes, ça ne me concernait pas.

"Les morts-vivants n'existent pas. Ça ne peut pas être la même personne."

Je ne jugeais pas utile de lui demander confirmation quant au fait qu'il avait tué ce Turpin. Mes pensées commençaient à s'embrouiller alors que je sortais de la boutique et je ne prenais pas même le temps de reprendre ma respiration.

"C'est peut-être un... double. Ou un jumeau. En tout cas, si ce n'est pas un coup monté et qu'il se trouve réellement quelque part dans cette ville, des gens l'ont forcément déjà croisé."

Je n'étais pas douée pour la quête de renseignements. Je ne menais pas les grandes affaires de la police, loin de là, je me contentais de ce qui nécessitait de la force brute. Ça me permettait de me défouler, même si ce n'était jamais assez. Avec agacement, je me mettais à penser qu'il aurait dû faire appel à un véritable détective qui aurait été plus utile que moi dont les réflexions étaient décousues et chaotiques, mais je ne m'abaissais pas à le proposer à haute voix.

"Personne n'a jamais fait de registre sur les habitants de Storybrooke ? Ce serait utile. Mais il doit bien y avoir un club d'échecs qui existe. Tu pourrais y aller pour avoir des informations, je suppose."

Je tournais ma tête dans sa direction, intriguée et... étrangement exaltée. Je déglutissais péniblement sans cesser de le fixer - et j'aurai sans doute heurtée une ou deux personnes dans mon empressement à parcourir l'allée centrale si je n'avais pas été dotée de mes réflexes innés à éviter les obstacles, d'ailleurs.

"Je peux venir avec toi. Si tu veux. Je suis libre jusqu'à 19h."

Ma poitrine était si compressée par le doute que j'avais la sensation d'étouffer. Feindre la nonchalance était de plus en plus difficile. J'étais inconsciente et inconséquente. Je m'imposais des distances et voilà que je me mettais à l'épreuve, comme si sa proximité n'était pas déjà assez douloureuse à supporter. Même si je n'avais pas radicalement cessé de le voir, cette situation était différente d'un simple rendez-vous coiffure. Je me persuadais que je n'agissais que pour tenter de compenser le fait de ne pas lui avoir parlé de Winifried. Je ne prenais pas vraiment de risques cela dit, puisqu'il refuserait mon aide et que, cette fois, je ne le contraindrai pas à me supporter. C'était la limite que je me donnais. Je n'allais pas faiblir à ce point.

"Je crois qu'ils publient les articles sur internet parfois, sinon... Mais le réseau est mauvais ici." supposais-je sans conviction, détournant mon regard en passant les portes automatiques pour retrouver l'air frais de l'extérieur.

Mes doigts s'accrochaient violemment à mon portable tandis que la page chargeait indéfiniment. Est-ce que je devais en profiter pour envoyer un message à Nolan, pour faire... les choses biens ? Le remercier de m'avoir accompagnée aujourd'hui ? M'excuser encore une fois ? Je jetais un coup d’œil par-dessus mon épaule, inquiétée qu'il puisse nous avoir suivi. Je n'avais pas à craindre quoi que ce soit. Je ne faisais qu'aider quelqu'un qui en avait besoin. Parce que j'étais une bonne personne... et pas à cause de cette sensation qui me plaisait tant, cette montée d'adrénaline que je ressentais depuis que le psychopathe était venu perturber le fil de ma journée. Je ne pouvais pas m'en empêcher, n'est-ce pas ? Je jouais avec le feu. Je me brûlais. Je recommençais.
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Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.


DEMAIN DES L'AUBE.


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________________________________________ 2019-03-05, 20:15


This all or nothing really got
a way of driving me crazy
I'm going under and this time I fear
there's no one to save me.


Il savait pertinemment que ce ne pouvait pas être Turpin, mais la ressemblance avec lui était saisissante. Il était peu probable que les habitants du monde des contes possédassent des sosies. Balthazar ne croyait pas aux coïncidences, pas dans une ville comme Storybrooke. Cet individu, quel qu'il soit, avait les traits de son pire ennemi et il était bien décidé à en découvrir la raison.

"Turpin n'avait pas de jumeau." grommela-t-il, lugubre, face aux arguments d'Eulalie.

Après tout, il n'en savait rien. Il ne connaissait pas assez bien la vie du juge ; ce dernier avait très bien pu évincer un jumeau encombrant de son vivant.

Le barbier s'emmura dans le silence alors qu'il marchait à vive allure jusqu'à sa voiture. Il avait récupéré le sachet contenant les chemises qu'il jeta sur la banquette arrière sans plus sans soucier. Il n'avait pas compris pourquoi l'amazone avait réglé son achat, ni même la raison pour laquelle elle souhaitait s'imposer, en robe de soirée, de surcroît. Que cherchait-elle à prouver ? Il n'avait plus aucune attente de sa part. Absolument aucune.

"Ton nouveau jouet va s'ennuyer sans toi." fit-il remarquer avec aigreur.

Il faisait allusion à Shelley, qui devait être occupé à s'admirer devant un miroir à l'heure qu'il était. Balthazar s'efforça de ne pas ajouter une moquerie. Il se contenta de baisser la tête tout en pivotant vers Eulalie, alors qu'il avait ouvert la portière de sa voiture.

"Ne te sens pas obligée de... m'accompagner."

La tête toujours penchée, il leva les yeux vers elle.

"Il n'y a pas de trophée au bout. Aucune reconnaissance. C'est un chemin de ténèbres."

Il continua de la fixer de son regard perçant et caressant. Inutile de chercher la raison pour laquelle elle restait auprès de lui. Il avait compris depuis longtemps. Sa curiosité. Son envie immature de jouer constamment avec le feu. Sa fougue, sa jeunesse, son inconscience... Tout ce qu'elle incarnait et qui lui manquait chaque jour davantage.

Il avait prononcé les mots exacts pour la tenter encore plus. La provoquer. Il ne le voulait pas vraiment. Ou peut-être que si, au contraire ?

Chassant ces pensées parasites, il se détacha de sa voiture pour se rapprocher de l'amazone. Elle avait toujours son téléphone en main, et il voulait seulement savoir si la page internet du journal local avait fini par se charger. Il se plaça juste à côté d'elle et repoussa délicatement sa masse de cheveux qui l'empêchait de voir correctement l'écran. Ce bref contact lui rappela les instants privilégiés où il s'occupait de sa chevelure, lors de leurs trop rares rendez-vous au salon de coiffure. Il frémit, déplia les doigts comme si le geste les avait engourdis, et s'intéressa de plus près au téléphone, laissant volontairement son souffle aller et venir contre la nuque d'Eulalie.

Brusquement, il fit glisser l'index contre l'écran, avec agacement.

"Le journal de la veille n'est plus disponible. Evidemment."
articula-t-il, de plus en plus morose.

Dans un froissement sec, il déplia le journal qu'il avait rangé dans sa poche et déchiffra l'adresse du club d'échecs.

"Rue du Jugement..."
dit-il avec un rictus sardonique.

Soit le hasard avait un sens de l'humour douteux, soit il s'agissait encore d'un indice.

"GPS." ordonna-t-il à Eulalie tout en braquant un regard oblique sur son téléphone.

Si elle souhaitait l'accompagner dans ses recherches, autant qu'elle se rende utile. Sans attendre une seconde de plus, il retourna vers sa voiture et monta à l'intérieur. Il patienta jusqu'à ce qu'Eulalie s'assoit à la place du mort et démarra, après avoir attendu que l'itinéraire se lance.

"A trois cent mètres, tournez à gauche." annonça trop joyeusement (au goût du barbier) la voix enregistrée.

Balthazar obtempéra en prenant le virage un peu trop sec.

"Continuer sur Rue des Sentinelles."

La voix l'irritait. Il émanait trop de bonne humeur de son timbre et il avait l'impression que cela envahissait tout l'habitacle. Il espérait que la route ne serait pas trop longue.

"Ta tortue." dit-il subitement d'un ton cassant.

Les mains crispées sur le volant, il tourna brièvement la tête vers l'amazone pour lui offrir un regard oblique.

"Ta tortue possède le registre des habitants."

Casquette n'était-il pas devenu le maire de la ville (preuve que les Storybrookiens étaient tous idiots à un stade avancé) ? Par conséquent, il avait forcément accès à la liste des citoyens et leur équivalent du monde des contes. Balthazar avait toujours craint l'existence d'un tel registre, car auquel cas, cela sous-entendait que le conseil municipal connaissait l'identité de tout le monde, mais c'était logique, en un sens.

"Demande-lui de le lire."

Ce n'était pas une suggestion, plutôt un ordre enveloppé de menaces. Il exigeait de voir ce registre. Ce serait nettement plus simple que d'enquêter à l'aveugle. Il obtiendrait des informations plus rapidement.

"Tournez à droite." annonça le GPS.

Il s'exécuta et constata qu'il était arrivé. Il se gara juste devant l'établissement, quitta son véhicule et mit les mains dans ses poches tout en observant la devanture. Il s'agissait d'une maison sans personnalité particulière, collée entre deux immeubles du même acabit, avec une porte dont la vitre était protégée par une grille en fer noir. On avait accroché une feuille plastifiée sur le verre sur laquelle était écrit en lettres informatisées :

CLUB D'ECHECS DE STORYBROOKE

Rien de bien reluisant et tape-à-l'oeil. Balthazar eut une moue sceptique. Cela ne ressemblait pas à Turpin. Il ignorait à quoi il s'attendait, sans doute à quelque chose de plus... significatif. Substantiel.

Il se mordit les lèvres et frappa contre la vitre, à travers la grille de fer. La rue commençait à s'obscurcir, la nuit tombait déjà car le temps avait été pluvieux tout au long de la journée. Sans grande conviction, le barbier toqua de nouveau. Il allait s'éloigner quand il perçut du mouvement de l'autre côté. Bientôt, une petit silhouette se découpa de façon floue contre la vitre. La porte s'entrebâilla légèrement sur une jeune fille qui ne lui était pas inconnue. Elle écarquilla les yeux en le voyant et voulut refermer aussi sec la porte, mais il donna un grand coup dedans. Cette dernière claqua contre le mur alors qu'il entrait à l'intérieur. Winifred recula d'un bond, de plusieurs mètres dans le couloir faiblement éclairé.

"Faut prendre votre tension !" s'écria-t-elle d'une voix blanche.

"Toi..." grogna-t-il tout en se dirigeant droit sur elle.

Il referma ses mains autour de ses bras frêles et la plaqua contre le mur. Il cherchait seulement à l'intimider afin qu'elle parle. C'est ainsi que l'on obtient des informations auprès des faibles.

"A chaque fois, tu es là."
dit-il, son regard perçant planté dans le sien, effarouché.

Au cinéma, maintenant ici... ce ne pouvait être des coïncidences. Elle était mêlée à la Pellicule Ensorcelée et maintenant au club d'échecs. Il voulait savoir pourquoi. Qui elle était.

La jeune fille se débattait, mais la poigne du barbier était ferme autour de ses bras chétifs. Elle grimaçait de douleur et haletait. Il aimait ça. Il sentait ses jambes battre dans le vide et tenter de l'atteindre avec si peu de conviction qu'il en était amusé.

"Eu... Eulalie..."
appela-t-elle faiblement, alors que des larmes envahissaient ses yeux clairs.

Elle avait la tête tournée vers l'amazone, comme si elle la suppliait d'intervenir. Aussitôt, Balthazar braqua son regard glacé sur elle.

"Tu la connais ?" s'enquit-il, le timbre de sa voix devenant coupant comme celui d'un rasoir.

La tension était palpable dans le couloir exigu. Le barbier estima que la demeure était seulement occupée par la jeune fille, sinon quelqu'un d'autre se serait déjà manifesté. Sans relâcher sa poigne, il posa de nouveau les yeux sur elle.

"Deux questions : qui es-tu et que fais-tu là ? Je te conseille d'être honnête et précise."
articula-t-il sur fond de menace.

Il la secoua légèrement contre le mur, de sorte à l'impressionner davantage. Winifred grimaça de douleur et de grosses larmes roulèrent sur ses joues. Pourtant, elle se mordit bientôt les lèvres, ravalant ses sanglots et lorsqu'elle souleva les paupières, son regard était plein d'une détermination surprenante.

"C'est vous qui devriez faire attention."
déclara-t-elle d'un ton étonnamment assuré, même s'il était enroué. "Je sais qui vous êtes. Si les flics ne vous coffrent pas pour ce que vous avez fait, je saurais trouver les preuves qui leur manquent."

Le souffle coupé par cette déclaration, Balthazar cligna des yeux et demeura immobile, tenant toujours sa proie en respect, sans savoir comment agir, désormais. Que savait-elle ? S'il demandait, il passerait pour un faible. S'il restait dans l'ignorance, elle gardait l'avantage.

"Tu ne sais rien." maugréa-t-il finalement avec un rictus méprisant.

Il avait tué dans le monde des contes mais il ne subsistait plus aucune preuve pour le mettre derrière les barreaux. La Malédiction le plaçait curieusement hors de danger. Hors d'atteinte.

"Et le meurtre de Venise ?"
lança-t-elle, hautaine.

Son sang se glaça immédiatement dans ses veines. Nul ne savait. Hormis Holmes. L'aurait-il répété à une adolescente ? Pourquoi elle ? Il pensait qu'il pouvait lui faire confiance. Comme d'habitude, sa naïveté le trahissait. Lui qui avait juré qu'on ne l'y reprendrait plus... Il sentit une rage sourde pulser à ses tempes.

Une lueur de triomphe brilla dans les yeux de la gamine. Immédiatement, il eut l'envie irrépressible de l'éteindre à tout jamais. C'était facile. Il suffisait d'écraser son crâne contre le mur. Sa tête était si chétive, elle ne mettrait pas trop de temps à résister. Il ne voyait pas pourquoi il s'en empêcherait.

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Still got a heart-shaped bruise, that's how I remember you.


Sans que je n'en sois particulièrement surprise, les choses tournaient mal. Je m'étais demandée un instant si Winifried était de nouveau derrière tout cela mais sa simple présence à cette adresse répondait aux interrogations que je n'avais pas prononcé.

J'étais restée simple observatrice par choix, bien que n'être qu'une spectatrice ne me plaisait pas particulièrement. Ca ne me concernait pas. Je n'aurai pas dû être là. Il avait raison : je n'y gagnerai rien. Mais je n'avais jamais été attirée par l'appât du gain, la gratitude ou la renommée. Ce n'était pas ce qui me motivait, encore moins ce qui me retenait près de lui. Venir en aide à la jeune femme était une option à laquelle je réfléchissais malgré tout, elle était si frêle qu'il aurait pu la briser avec aisance. Toutefois, si la manière dont elle avait appelé mon prénom m'avait fait plisser les lèvres, ce fut la suite qui tendit tout mon corps à l'extrême.

Sans que je ne le souhaite, des rappels du peu que je connaissais déjà de ce voyage évoqué me revenaient en tête. Je me sentis frémir de dégoût à ces pensées que je chassais dans la seconde. C'était déjà trop tard, le niveau de mon incompréhension était monté d'un cran et celui de mon énervement augmentait soudainement. Jusqu'à atteindre des sommets.

Je n'eus pas la moindre difficulté à lui faire lâcher la jeune femme. Et je ne culpabilisais pas le moins du monde à l'idée de lui faire mal lorsque je tordais son bras derrière son dos, peut-être plus qu'il m'aurait été nécessaire de le faire pour provoquer le pic de douleur suffisant afin de troubler son attention. En l'espace d'une seconde, je le faisais se décaler pour le plaquer à son tour contre le mur, mes doigts serrés contre son poignet et ma main libre appuyant contre sa nuque maintenant sa tête pour le dissuader de se débattre. Ce n'était pas comme s'il avait la moindre chance de pouvoir m'échapper. Le peu de parcelle de ma peau en contact avec la sienne se trouvaient embrasée par cette sensation de maîtrise et de puissance. Cela avait quelque chose de grisant, je ne pouvais le nier.

"Je t'avais prévenu. Il n'est pas stupide." lançais-je en tournant légèrement ma tête en direction de Winifried. "Je ne serai pas toujours là pour te sauver."

Je faisais preuve de familiarité sans m'en rendre compte, moi qui me débrouillais généralement pour rester respectueuse en toute situation. Trop peu de douceur était perceptible dans le ton que j'employais. Je ressentais une légère compassion à l'égard de cette jeune fille, mais à cet instant, c'était surtout de l'exaspération qui émanait de ma personne. J'étais tant habituée à être utilisée comme un objet -ou du moins j'avais constamment l'impression que c'était le cas- que je ne pouvais m'empêcher de penser qu'elle ne faisait que se servir de moi elle aussi. Elle avait conscience que je ne le laisserai pas agir. Elle devait se sentir en sécurité, protégée par l'amazone aux bonnes intentions. Je laissais presque échapper un grognement de mécontentement.

Sans délicatesse, je relâchais le bras du barbier dans le simple but de le faire se retourner. Je contenais difficilement ma rage en appuyant ma main contre son torse pour le maintenir contre la paroi, l'autre serrant le col de sa chemise à en rendre mes jointures douloureuses. Prolonger un tel rapprochement m'enivrait d'une façon aussi délectable qu'éprouvante.

"Tu as tué quelqu'un." répétais-je en plongeant mon regard dans le sien. "A Venise. Avec Holmes."

Ma prise se fit instinctivement plus ferme. Je n'étais pas choquée par la révélation, ni même déçue ou attristée qu'il ait pu commettre un tel crime, ce n'était pas... étonnant. Mais j'étais incapable à présent de dissimuler pleinement mon irritation. Si ce n'était pas la rudesse de ma voix qui me trahissait, la violence de mes gestes s'en chargeait.

"Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?"

Cette question n'était pas la plus appropriée en de telles circonstances, pourtant ce fut la seule qui s'échappa de mes lèvres, criante de contrariété. Qu'est-ce que j'avais pu imaginer ? Qu'il me raconterait tout comme j'avais pu le faire en étant trop transparente sur les événements qui avaient perturbé ma courte existence ? Cette idée aurait été idiote. Ce n'était pas ça. Jamais je ne lui aurai demandé de tout me dire en retour. Je n'attendais rien. Mais que le détective puisse être en possession de cette information... Holmes n'avait rien avoué à ce sujet - et il était encore en vie. Soit il ne savait rien (ce que j'aurai préféré), soit... il savait. Et il lui faisait confiance. Ils partageaient ce secret ensemble.

Cette réflexion ne fit qu'accroître la brutalité de mes gestes et je me retenais pour ne pas le soulever du sol. Je n'arrivais pas à définir ce qui m'excédait autant. Il devait s'agir d'un ensemble, d'un tout enveloppé de frustration qui ne s'exprimait que lorsqu'il se trouvait dans les parages. Ou... j'étais jalouse. Pire, envieuse.

"Imbécile." grognais-je entre mes dents sans le lâcher des yeux.

J'étais tiraillée. Mon coeur menaçait de se déchirer dans ma poitrine alors que je percevais clairement chaque battement du sien et je sentais ma peau me brûler de l'intérieur, comme si mon sang s'échauffait de lui-même. Je désirais le frapper. Me libérer de toutes ces émotions néfastes. L'embrasser jusqu'à ce qu'il ne puisse plus respirer. J'étais comme un volcan prêt à entrer en éruption.

J'inspirais longuement et mes doigts crispés contre lui ne se relâchèrent pas lorsque je baissais les yeux, fiévreuse et agacée. Mon autre main, si proche de son visage, se dégagea pour plonger dans la poche de son manteau, quelque peu fébrile.

"Qu'est-ce que c'est ?" lançais-je, incisive, en tournant ma tête vers Winifried alors que je tendais devant moi la feuille de journal abîmée. "Comment est-ce que tu as fais ?"

Je n'avais pas oublié qu'elle était là, elle aussi, je l'avais simplement occulté quelques secondes. Me concentrer de nouveau sur son rôle dans cette histoire m'aidait à m'éclaircir les idées - non, pas à ce point en réalité, j'en gardais uniquement un semblant de contrôle ainsi.

Je trouvais étrange que l'article ne soit plus lisible sur internet - alors qu'on pouvait trouver beaucoup de choses dessus, je le savais, ma curiosité m'avait parfois amené sur des sites... étranges. L'hypothèse qu'il soit faux était la plus probable mais dans ce cas, comment avait-elle pu se débrouiller pour qu'il tombe dessus comme par hasard ? Les coïncidences n'existaient pas. Pas dans un tel contexte.

"Tu lui as envoyé de nouveaux messages ?" questionnais-je, aussi sèche qu'impatiente.

Je n'attendis pas de réponse. Rapidement, je m'étais également saisie du téléphone de Balthazar et, en quelques gestes habiles, j'accédais à la conversation tenue avec le numéro masqué.

"Shelley ?" murmurais-je, les sourcils froncés, en restant plusieurs secondes à relire les quelques mots envoyés.

Si c'était possible, j'étais encore plus furieuse qu'auparavant. Je comprenais au moins davantage ce qui avait poussé Balthazar à rester dans cette boutique puisqu'il avait entendu le nom de celui qui m'accompagnait.

"Nolan n'a rien à voir avec tout ça." affirmais-je rudement en évitant le regard du barbier. "Je ne lui ai jamais parlé de vous. Il ne vous connaît pas."

Chaque syllabe que j'articulais était de plus en plus cassante. Rien ne liait cet homme au reste. Que Winifried ait pu le mettre en danger, volontairement ou non, en l'impliquant dans cette histoire me crispa une nouvelle fois. Il ne pouvait être un pion dans ce jeu morbide... n'est-ce pas ? Ca pouvait n'être qu'un enchaînement de circonstances involontaires si Nolan s'était trouvé avec moi au centre commercial au même moment, non ? Je voulais le croire. Il ne pouvait en être autrement.

"Le livre. Ca concerne le livre." parvins-je dans un souffle à conclure de moi-même après un instant d'hésitation.

Je ne voyais pas d'autres explications. J'eus un semblant de soupir de soulagement, bref cependant. Nolan n'avait pas de passé torturé -pas à ma connaissance, il n'était pas incroyablement dérangé, il appréciait la compagnie des gens, il savait comment me distraire, il était... ordinaire. Et j'aurai été peinée que qui que ce soit vienne gâcher cette banalité qu'il représentait. Cet Ordre. L'exact opposé du Chaos personnifié que j'avais fréquenté jusque là.

"C'est lui, ton père ?" enchaînais-je sans subtilité avant de me tourner vers Winifried, remuant la photographie encore tenue dans ma main dans sa direction.

C'était possible. Ou il s'agissait de cet homme de Venise ? Quelles avaient été les circonstances de ce meurtre ? Quel était le motif ? J'étais curieuse. Je réalisais, avec une certaine répulsion envers ma propre personne, que j'étais animée par l'envie de savoir, que ce barbier m'en raconte le déroulement sans omettre un seul détail, qu'il me l'explique. Je me contentais de me résigner à l'ignorance. C'était bien plus judicieux.

"Tu as tué son père. Elle veut se venger." précisais-je sans oser le fixer, comme si j'estimais qu'une brève explication était essentielle.

J'aurai pu me taire ou prétendre que je ne savais absolument rien, seulement faire semblant n'était pas une de mes spécialités et encore moins l'attitude qui me paraissait être la plus noble.

"On s'est croisées et on a discuté la dernière fois, après le... film."

Ma mâchoire se crispa. Je n'avais pas envie d'en reparler. Je me contrôlais pour que ma voix se brise pas, les paupières baissées, et je déglutissais faiblement alors que je le libérais après avoir replacé le portable où je l'avais trouvé. Je ne m'écartais pas pour autant, alors que ma respiration n'avait jamais été aussi inégale et irrégulière.

"Ça n'a pas d'importance. Tu n'aimes pas que d'autres personnes se mêlent de ta vie. Je ne voulais pas interférer."

Cette excuse ne valait rien. Je reculais à peine d'un pas et croisais les bras, déjà fâchée de savoir que peu importe ce que je dirais, il ne retiendrait que le fait que je possédais des informations que j'avais dissimulé. Est-ce qu'il le percevrait comme une sorte de trahison ? Ce n'était pas mon intention. Ce n'était peut-être pas plus mal . Plus il me haïrait, plus il serait aisé de me détacher de lui. Ma poitrine se soulevait toujours par saccades, mon rythme cardiaque refusant de retrouver la moindre stabilité.

"Elle ne te fera pas condamner. C'est une menace. Du chantage. Je crois."

Mon corps me semblait ne pas vouloir redescendre en pression malgré toute ma volonté. Je ne supportais pas d'être cloîtrée dans ce couloir où l'air était bien trop pesant.

"Si son but était de te mettre derrière les barreaux, pourquoi est-ce qu'elle ferait tout ça ?" poursuivais-je en passant une main sur mon front brûlant. "Elle te fait savoir qu'elle sait des choses qui pourraient te porter préjudice. Sans aucune crainte. Elle cherche à te rappeler ton passé. Elle veut t'embrouiller, te perturber, te..."

... faire du mal. Et elle se donnait beaucoup de mal pour y parvenir. Cette constatation ne me permettait pas de me sentir mieux. Si je la comprenais, je ne l'acceptais pas. Partir n'était plus une option, et le passage à la mairie serait inutile - j'avais reçu la réponse avant ce débordement, le registre ne s'y trouvait pas. Regina devait en posséder un. J'aurai pu aller lui demander, je la connaissais après tout, nous avions déjà voyagé ensemble, mais je ne pouvais les laisser tous les deux ou cela résulterait fatalement en meurtre impulsif. Quoi que je devais donner l'impression d'être la moins stable de nous trois, de l'extérieur.

Je m'étais interrompue dans un pincement de lèvres, exténuée par le fil de mes pensées et tout ce contre quoi je devais lutter.

"Vous êtes là tous les deux maintenant. Vous pouvez discuter. Comme des personnes... raisonnées."

Comme si un tel scénario était probable. Je trouvais moi-même ma proposition absurde. Ca ne mènerait à rien. Pourquoi est-ce qu'elle parlerait ? Pourquoi est-ce qu'elle lui dirait le fond de sa motivation ? Lui n'allait pas vouloir qu'elle vive plus longtemps si il la considérait comme un danger ou une ennemie. Nous nous trouvions dans une impasse. C'était de ma faute. Je n'aurai pas du proposer de venir ici. Non... je n'y pouvais absolument rien. J'étais un dommage collatéral dans toute cette histoire.

"Ou on peut continuer ce petit jeu plein de mystères et de malentendus. Dire la vérité et être honnête, c'est tellement surfait. Ça me rappelle... ma famille."

Je grimaçais en prononçant ce mot. Ce n'était qu'un terme qui n'avait pas vraiment de sens. Il n'y en avait pas vraiment d'autres qui convenaient, même s'il n'était pas parfait. Est-ce que je faisais preuve de cynisme ? Certainement. C'était une évolution logique après tout ce que j'avais pu traversé. L'année précédente n'avait pas été de tout repos.

"Je peux faire l'arbitre. J'assommerai le premier qui s'énerve." proposais-je dans un haussement d'épaules.

J'étais extrêmement sérieuse, mon besoin d'extérioriser se manifestant clairement par les tremblements constants qui me parcouraient. Agir de la sorte si cela s'avérait nécessaire m'aurait incontestablement procuré un certain soulagement. Je les traiterai tous les deux de la même façon. Ils étaient chacun... victimes, à leur manière, et imprévisibles d'une certaine façon, mais je n'allais pas me priver ou me retenir sous prétexte qu'ils étaient de fragiles humains. J'avais des émotions moi aussi. Et la moindre contrariété supplémentaire allait me faire exploser.
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Balthazar Graves
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Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.


DEMAIN DES L'AUBE.


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Now the day bleeds into nightfall ✞ EULALIE _



________________________________________ 2019-03-14, 15:53


This all or nothing really got
a way of driving me crazy
I'm going under and this time I fear
there's no one to save me.


La tension était palpable dans le couloir enténébré. Balthazar respirait à peine, son regard glaçant braqué sur la frêle jeune fille qui avait osé le défier. Plusieurs informations étaient entrées dans son esprit et elles revenaient continuellement, telle une farandole entrecoupée d'idées noires. Eulalie détenait des éléments qu'elle n'avait pas jugé utile de partager avant ce soir-là. Elle avait été offusqué d'apprendre qu'il avait tué quelqu'un et qu'il ne lui avait pas dit. Le barbier estima qu'ils étaient à égalité. Et de toutes façons, c'était un stupide jeu auquel il ne voulait plus jouer.

La gamine était à l'origine des textos masqués, tout comme probablement de la supercherie autour du club d'échecs, même si elle garda le silence à ce sujet. Balthazar avait l'irrépressible envie de la secouer comme un prunier jusqu'à ce qu'elle parle, mais un coup d'oeil mauvais en direction de l'amazone lui suggéra de ne rien en faire. Il savait qu'elle n'hésiterait pas à le frapper s'il recommençait à se montrer violent avec sa "protégée". Ce mot esquissa une grimace de dégoût sur son visage. Il massa son bras douloureux tout en réfléchissant. Il avait tué le père de la jeune fille. S'excuser aurait été pire que tout. De toutes manières, ce n'était pas ce qu'elle attendait. Et il n'avait aucune envie de le faire. Il ne regrettait pas d'avoir ôté la vie, puisque tout le monde mérite de mourir. Il voyait la gamine comme une idiote inconsciente, qui se mesurait à beaucoup plus grand qu'elle.

"Avec ce genre de comportement, tu vas finir au cimetière."
articula-t-il d'un ton assuré et blasé à la fois, sans cesser de la fixer.

"Encore une menace ?"
répliqua-t-elle, hautaine.

"Non. Une certitude."

Il ne sous-entendait pas que ce serait lui qui l'y conduirait. Ce qui était sûr, c'est qu'elle ne vivrait pas longtemps si elle continuait sur cette pente. Elle n'en avait pas l'envergure.

Terreur des bacs à sable... songea-t-il sombrement.

La gamine soutint son regard sans ciller pendant un long moment, avant de laisser échapper un petit soupir agacé.

"Ok, c'est bon, je vais répondre à vos questions."

Elle jeta un coup d'oeil à Eulalie et se détacha du mur pour se rapprocher d'elle, restant de ce fait à une distance prudente de Balthazar. Elle baissa les yeux sur la page du journal et fronça les sourcils.

"Bien sûr que non ça n'est pas mon père. Mon père est mort. Tu l'as dit toi-même à l'instant."
dit-elle tout en lançant un regard éloquent à l'amazone. "C'est un monsieur que je connais de vue. Il est très fort aux échecs, c'est tout ce que je sais."

"Qu'est-ce que tu fabriques ici ?"
grogna le barbier, à bout de patience.

Winifred le dévisagea, tressaillant sous l'agressivité perceptible dans ses paroles. Pourtant, ce fut avec une sorte de mépris qu'elle répondit :

"C'est interdit ? Je ne savais pas."

Faisait-elle exprès de tester ses dangereuses pulsions ? Il en était persuadé. Les jointures de ses doigts craquèrent légèrement tant il serra les poings pour se contenir.

"Je suis venue apporter des tracts au club pour la séance spéciale d'Ivory Tower vendredi prochain. C'est une thématique sur les échecs."

Elle avait réponse à tout, c'était agaçant. Mais crédible, malgré tout. Cependant, Balthazar n'était pas dupe. Il sentait qu'elle ne disait pas toute la vérité. A force de côtoyer des traîtres, il avait développé un sixième sens. Il avança de deux pas vers elle. Aussitôt, il perçut l'amazone se tendre, prête à intervenir. Qu'elle reste tranquille. Il allait rester civilisé.

"Tu mens." dit-il d'un ton cassant.

Winifred plissa des yeux et oubliant ses craintes, se dirigea sur le petit meuble de l'entrée pour attraper les feuilles empilées les unes sur les autres. Elle les brandit en direction du barbier qui les chassa d'un geste brusque. Elles se répandirent au sol dans un silence glaçant.

"Je ne parle pas de ça." reprit-il avec humeur. "Tu connais Turpin. Tu sais qui il est. Je le vois très bien."

A chaque phrase, il s'avançait un peu plus vers elle, l'enveloppant de son ombre et l'acculant de plus en plus vers les ténèbres du couloir.

"Qui ?" fit-elle, indécise.

"NE JOUE PAS AVEC MOI !" s'écria-t-il.

Il perçut un mouvement vif à sa gauche ainsi que des bruits de pas et leva un doigt vers Eulalie tout en se mordant les lèvres.

"Je suis calme." dit-il finalement, prenant sur lui pour pas finir assommé.

Il sentait le sang palpiter à ses tempes, aussi il inspira profondément pour paraître serein. La gamine le fixait, les yeux écarquillés, l'air terrorisé.

"Je... je ne vous dis plus rien si vous me criez dessus." parvint-elle à balbutier.

Le barbier la considéra, interdit. Il n'avait jamais entendu un chantage aussi lamentable. Il posa brièvement les yeux sur l'amazone. Décidément, elle savait s'entourer de personnes d'exception. Après Casquette et le Bellâtre sans Cervelle, voici la Gamine Peureuse.

"Alors parle." grommela-t-il, implacable.

La gamine se mordit les lèvres, déglutit et eut besoin de quelques secondes encore pour se rassembler. Balthazar ne cacha pas son agacement. Il savait se montrer patient pour certaines choses, mais pas en ce qui concernait la vérité.

"Je vais vous montrer, plutôt. Donnez-moi le livre." déclara-t-elle tout en tendant la main, un peu hésitante.

Le barbier l'observa, méfiant.

"Frankenstein. Il contient des informations." insista-t-elle.

A contrecoeur, il sortit le roman de sa poche et le lui donna. La jeune fille l'ouvrit et chercha une page en particulier. Lorsqu'elle la trouva enfin, elle en lut un passage d'une voix étrangement profonde et appliquée :

"Nothing is so painful to the human mind as a great and sudden change."

Ensuite, elle leva les yeux vers lui. Le barbier ressentit alors une chose étrange, comme si les paroles de la gamine avaient créé une onde de choc qui venait de le heurter de plein fouet. Il chancela, ébranlé, et eut le malheur de cligner des yeux.

L'instant d'après, il se rendit compte qu'il ne se trouvait plus dans le couloir, mais dans un parc ensoleillé, dont les couleurs étaient fanées. Il poussa un grognement étouffé, cherchant la gamine des yeux, mais ne vit qu'Eulalie à ses côtés. Encore un maléfice.

"Retrouve la."
ordonna-t-il, révolté de s'être laissé abuser aussi facilement.

Ils étaient de retour dans un souvenir. A quelques mètres de là, une nurse vêtue de sombre était assise sur un banc, près d'un arbre centenaire. Elle se tenait à côté d'un landau vide, et était occupée à surveiller une toute petite fille qui trottinait juste devant elle. L'enfant ne devait pas avoir plus de deux ans. De toute évidence, elle marchait depuis peu, car ses pas étaient incertains. Elle tomba à plusieurs reprises, mais se releva à chaque fois avec témérité en grommelant des paroles incompréhensibles. Bientôt, la nurse se leva du banc pour la rejoindre et la souleva de terre.

"Il nous faut rentrer. Votre père sera fâché s'il ne vous trouve pas à son retour."

"Bedebaaa !" protesta la petite fille en agitant ses petites jambes dans les airs.

"Miss Morland, cessez de maltraiter cette enfant !"
fit une voix dans leur dos.

Stupéfaite, la nurse pivota sur elle-même dans un mouvement de jupons, mais se décrispa en reconnaissant son employeur, qui, de toute évidence, venait de lui faire une plaisanterie. Il avançait d'un pas énergique et alangui sur la pelouse bien entretenue.

"Monsieur Turpin, je ne m'attendais pas à vous voir ici !"
fit la nurse, empruntée.

"Je ne pouvais résister à l'envie de voir ma fille le plus vite possible, et comme je sais que vous préconisez le grand air, j'étais certain de la trouver au parc."

Sans attendre, il prit l'enfant dans ses bras et un sourire rayonnant apparut sur son visage. Il la garda serrée contre lui quelques instants, la main posée contre le petit bonnet qu'elle avait sur la tête, puis la reposa doucement au sol.

"Voyons les progrès que tu fais." dit-il d'un ton débonnaire.

Il prit soin de maintenir ses petites mains tandis qu'elle marchait difficilement dans l'herbe. Pendant ce temps, la nurse se ventilait avec un exemplaire du Journal des Dames, signe qu'il devait régner une chaleur accablante. Balthazar n'en avait aucune idée, car le souvenir ne possédait aucune consistance. Ses sens n'étaient pas sollicités.

Turpin, courbé en deux, aidait la petite fille à apprendre à marcher correctement. Au bout de quelques minutes, l'enfant commença à tousser, de façon de plus en plus préoccupante. Bientôt, son visage devint tout rouge et elle suffoquait, comme si elle peinait à respirer. Alarmé, Turpin agrippa ses mains avec davantage de force alors que ses jambes se dérobaient sous elle. Elle serait tombée sans son soutien. Il la prit dans ses bras et la garda contre lui, mais son souffle devenait si faible et laborieux qu'il finit par l'allonger dans le landau.

"Miséricorde ! Que lui arrive-t-il ?" couina la nurse en portant les mains à son visage, épouvantée. "Je ne comprends pas, je..."

"Allez chercher un médecin."
articula-t-il, livide, sans lâcher l'enfant des yeux. "VITE !"

Son dernier mot était semblable au grognement d'une bête enragée et agonisante. La nurse attrapa ses jupons et s'en fut à toutes jambes, alors que certaines personnes présentes dans le parc se rapprochaient, curieuses et touchées par le désarroi de ce monsieur.

Turpin s'agenouilla près du landau et posa la main contre le buste de la petite fille dont le souffle sifflant se raréfiait de plus en plus.

"Je t'en prie... ne m'abandonne pas..."
murmura-t-il, des larmes inondant ses yeux. "Pas toi..."

Peu à peu, sa main devint immobile contre le corps de l'enfant. Elle ne bougeait plus. Un ultime soubresaut la secoua et l'homme crut à un miracle, mais les yeux de la petite fille restèrent figés vers le ciel couleur azur, avant de se fermer avec lenteur. Alors, Turpin cacha son visage de sa main libre, l'autre toujours posée sur le frêle petit corps qui ne remuerait sans doute plus jamais.

Le souvenir s'évanouit peu à peu dans une sorte de brume diffuse, et bientôt, les reliefs obscurs du couloir se matérialisèrent de nouveau.

Sans trop y croire, Balthazar jeta un coup d'oeil de tous côtés, mais évidemment, Winifred n'était plus là. Elle avait profité du sortilège pour s'enfuir. Il décrispa la mâchoire et se pencha pour ramasser le livre ouvert sur le sol. Il hésita quelques secondes à s'en débarrasser, mais c'était l'unique preuve qu'il avait, et surtout l'unique moyen d'en apprendre davantage sur toute cette histoire. Aussi il le rangea dans sa poche de manteau.

"La fille de Turpin est morte." déclara-t-il d'un ton morne. "C'est pour ça qu'il a volé la mienne."

Ces propos lui semblaient absurdes, et pourtant avaient pris une dangereuse cohérence par le biais du souvenir. Il ne comprenait pas les enjeux de la gamine à lui montrer tout ceci : pourquoi lui dévoiler les motivations de celui qui avait été son ennemi ? A quoi bon remuer le passé ?

Il se sentait étrangement vide. Au moins, ce souvenir ne l'avait pas ébranlé comme le précédent. Hormis supporter la désagréable vision du juge, il avait assisté à la scène comme un simple spectateur. Cela n'avait pas été pénible. Juste profondément ennuyeux. Il était totalement insensible à la peine qu'avait pu éprouver un être aussi vil que Turpin.

Il jeta un coup d'oeil à sa montre et coula ensuite un regard oblique en direction d'Eulalie.

"Bientôt dix-neuf heures." dit-il sombrement. "Comme le temps passe vite..."

... quand on ne s'amuse pas.

Il la fixa dans la pénombre, se demandant s'il devait la raccompagner chez elle en voiture. Ce serait étrange. Ce serait lui rendre service. Il n'en avait aucune envie. Il voulait pas la donner à Shelley.

"Tu vas être en retard." nota-t-il avec moue sardonique.

Il s'approcha d'une porte fermée qu'il ouvrit. De l'autre côté, une salle aux dimensions modestes avec une grande table en son centre et plusieurs échiquiers posés dessus, ainsi qu'un sablier. Cela en valait-il la peine d'analyser les lieux ? Il doutait de trouver quoi que ce soit. La gamine avait sûrement pris soin de tout passer au peigne fin avant de partir.

Brusquement, il pivota vers Eulalie et agrippa ses poignets. Il ne s'expliqua pas ce geste, car il savait qu'il ne lui inspirerait aucune crainte. Cherchait-il seulement un contact entre eux ? Le doux souvenir de leurs peaux l'une contre l'autre ? Il déglutit et la fixa intensément.

"Et tu le seras encore plus."
reprit-il, assuré et énigmatique. "Parce que tu vas me dire tout ce que tu sais sur cette fille."

Ses yeux se baissèrent instinctivement sur les lèvres charnues de l'amazone quelques secondes de trop, avant de revenir vers son regard. Il s'aperçut un peu trop tard que ses mains caressaient ses poignets plutôt que de les maintenir. Il émit un léger grognement contrarié et serra les dents. Maudite ensorceleuse...

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"Qu'est-ce qu'elle me veut encore celle-là..."
"Coucou TortueMan, je t'ai manqué ?"


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"Je sais que j'ai une mauvaise réputation
mais de là à garder une distance de sécurité..
tu abuses, Emmet."





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________________________________________ 2019-03-17, 21:14


You got power over me.
Can we play like there ain't no other ?
It's my desire that you feel. You know just what I need.


Je restais crispée même lorsque le décor du parc se volatilisa, agacée par l'absence de la jeune femme. J'avais espéré naïvement qu'elle ne s'éclipse pas pendant ce plongeon forcé dans un nouveau souvenir dont je ne comprenais pas le sens - même si la fin avait été des plus explicites, digne d'un film tragique. C'était affreusement lâche de partir ainsi après avoir utilisé je-ne-sais-quel-stratagème pour nous montrer cette scène. L'effet avait été le même qu'avec cette manigance de la Pellicule du cinéma mais... sans pellicule. Est-ce qu'il s'agissait de magie ou d'illusions ? Je n'étais pas familière à ce genre de pratiques. J'étais incapable de parvenir à me détendre alors que je scrutais le couloir entier. Rien ne me prouvait que le maléfice était réellement levé. Je m'étais déjà faite avoir une fois.

Mes sourcils se froncèrent dans un réflexe lorsqu'il évoqua sa fille. Il ne le faisait pas souvent. Peut-être même jamais. Je me remémorais le peu d'informations que j'avais accumulé au sujet de sa vie d'avant, puisque sans même le vouloir je les gardais toutes soigneusement en mémoire comme si elles étaient des plus précieuses. Parfois je me demandais si je n'aurai pas mieux fait de demander à Hypérion d'effacer mes souvenirs pour ne plus en souffrir... mais je n'avais pas envie de me séparer de cette douleur. Elle était la seule chose qui me rattachait encore à lui.

Je secouais la tête en soupirant et me pinçais les lèvres. Il avait raison, j'allais être en retard. Je n'avais pas pensé à ce détail et cette constatation me faisait éprouver comme une sorte de culpabilité. Ce n'était pas que je ne voulais pas voir Nolan, au contraire, je respirerais plus librement en sa compagnie, j'avais simplement... perdu la notion du temps, sans doute. Je devais partir maintenant. Nolan ne me tiendrait pas rigueur de mon manque de ponctualité, mais je n'allais pas aller jusqu'à lui poser un lapin.

"Je..." commençais-je avec hésitation, coupée court dans mon élan lorsque ses mains vinrent trouver mes poignets.

Je baissais les yeux pour être certaine de ne pas me l'imaginer, surprise et perplexe face à ce comportement. Il faisait toujours preuve de plus d'impulsivité quand quelque chose lui échappait ou lorsqu'il il était poussé à bout. Je relevais la tête et mesurais sans mal sa contrariété, mon coeur ratant immanquablement un battement alors que son ton avait ce quelque chose d'autoritaire qui m'électrisait autant qu'il m'agaçait.

"Je ne sais rien." rétorquais-je en réprimant le frémissement que faisait naître la caresse de ses doigts. "Rien qui ne puisse t'être d'une grande utilité."

Je ne cillais pas face à son regard. Il aurait suffit de dix secondes pour que je partage le peu de connaissances que j'avais en ma possession et ça ne ferait que l'irriter davantage de constater que je n'avais pas chercher à creuser pour en apprendre le plus possible. C'était certainement parce que je ne la voyais pas comme une ennemie que je n'avais pas jugé utile de me renseigner à son sujet.

"Je pensais que ta fille était morte." énonçais-je alors sans prendre en compte sa demande. "Si ce n'est pas le cas, pourquoi tu ne la cherche pas ?"

La réponse à ma propre question me venait naturellement : parce qu'il avait tué sa femme, donc sa mère. Il s'en voulait. Il culpabilisait à ce sujet. Il se le faisait payer au quotidien et il se disait qu'il ne méritait pas le moindre instant de plaisir à cause de son acte ignoble. J'avais fini par le comprendre et c'était après tout logique. Cependant, si cette enfant était véritablement toujours vivante contrairement à ce que je m'étais imaginée, elle ne devait pas être plus heureuse sans la présence d'un de ses géniteurs, aussi meurtrier soit-il.

"Tu as peut-être encore une famille quelque part. Et tu gâches cette chance que tu as."

Je ne faisais preuve d'aucune amabilité même si une certaine douceur persistait toujours dans la manière dont je m'exprimais. Je n'aurai jamais cette opportunité : je n'avais pas de réels parents, et je n'aurai pas d'enfants. Je n'en ressentais pas véritablement de manque puisque je n'étais qu'une créature et que les choses étaient faites ainsi. Je ne savais pas ce que c'était d'être lié par le sang à un autre individu, peu importe si il était cliché de penser de la sorte. Je serai toujours seule d'une certaine façon. Et lui s'obstinait à le rester alors qu'il n'y était pas réellement obligé.

"Elle s'appelle Winifred." précisais-je finalement après un instant d'hésitation, dans un soupir agacé, partagée entre l'apaisement et le supplice que provoquaient sa proximité. "Elle n'a pas d'amis. J'imagine qu'elle n'a pas de famille non plus, en partie à cause de toi si j'en crois ses accusations. Elle est seule. Elle est en colère, triste et elle a dû grandir beaucoup trop vite. Ça se voit. Tu devrais comprendre son état mieux que personne."

Je ne faisais que prononcer l'évidence sans que ça ne permette de déceler avec plus de précision qui elle était ou ce qu'elle désirait réellement. Ce n'était pas le but. Elle continuerait son petit jeu encore un moment, je ne voyais pas d'autre intérêt à s'être enfuie aujourd'hui si elle comptait y mettre fin.

"Elle veut te faire réfléchir. Ça semble évident après le souvenir d'aujourd'hui... Il ne te concernait pas directement. Soit elle veut te faire compatir pour ce Turpin, et dans ce cas elle peut attendre longtemps, soit elle te mène sur une piste. Mais je n'ai aucune certitudes."

Je haussais presque nonchalamment les épaules à mes diverses suppositions. Il était le premier à me considérer comme naïve et j'admettais ne pas être la plus douée pour cerner les individus qui m'entouraient, le nombre de désillusions que j'avais subit en témoignant largement. Parfois, par hasard ou par instinct, je misais juste, mais je trouvais plus judicieux de ne plus me fier à personne. Au final, en parler ne servait à rien. Et je n'avais pas envie de l'aider à la connaître davantage si son objectif était juste de la faire taire.

"Elle t'inquiète ?" l'interrogeais-je avant d'avoir pu m'en empêcher, le ton de ma voix se faisant plus bas, presque caressant. "Tu crains la vengeance d'une enfant, Balthazar ?"

Je le provoquais. Et j'en avais pleinement conscience. Il le cherchait, j'en étais persuadée. Il ne faisait que me tester. Avec lenteur, je libérais l'une de mes mains pour inverser la tendance. Mes doigts frôlèrent à peine sa paume avant de remonter contre son bras sans jamais pleinement le toucher.

"Monsieur Todd se fait manipuler par une adolescente et il n'aime pas ça." assurais-je, un sourire se dessinant sur mes lèvres d'une façon bien trop insolente étant donné la situation.

Je m'étais quelque peu rapprochée pour diminuer davantage la distance qui nous séparait encore, jusqu'à sentir le tissu de ma robe venir l'effleurer. J'avais promis de rester éloignée et c'était toujours mon intention. J'espérais simplement le... perturber ? J'agissais innocemment. Je ne comptais pas me jeter sur lui, je valais bien plus que ce genre de comportement bestial. Pourtant, j'entendais clairement mon rythme cardiaque s'emballer et mon souffle se raréfier. Je tentais de mon mieux de ne pas y prêter une quelconque attention.

"J'ai le temps pour une partie." articulais-je doucement, gardant mon regard plongé dans le sien un instant.

Est-ce que je me rendais compte des sous-entendus d'une telle réplique ? Probablement, même si je me persuadais du contraire. C'était trop satisfaisant, trop exaltant. Il était la tentation personnifiée et j'étais moi-même en train de m'infliger une horrible torture en y résistant. Je devais être inconsciente. C'était de sa faute. Il m'avait apprit à être comme ça et je peinais à me défaire de cette habitude à présent. Je me pinçais les lèvres, ma main descendant le long de son bras pour de nouveau atteindre la sienne.

D'un signe de la tête, je désignais alors la direction de ce que j'imaginais être la pièce principale du club.

"Tu sais jouer aux échecs ?" l'interrogeais-je, faussement ingénue.

C'était évidemment la seule idée que j'avais en tête... Du moins je forçais mon imagination à ne pas prendre de virages trop dangereux capable de m'électriser en un battement de cils.

"Nolan ne m'en voudra pas si je ne me presse pas. Il est adorable. Vraiment très gentil." poursuivais-je avec une moue assurée. "Et même si ça le contrarie je saurai comment faire en sorte qu'il me pardonne. Je suis parfaite dans cette robe, mais il me préférera sans."

C'était une réalité. Depuis ma création, j'avais pris conscience de mes atouts et de la façon dont je pouvais en user - non seulement grâce à l'aide de Figue, dans un premier temps, et par mon expérience personnelle. Nolan n'était pas différent des autres. Il ne résisterait pas. Et je ne comptais devenir nonne maintenant que je ne le fréquentais plus lui. J'avais des pulsions moi aussi.

Le présenter de la sorte me faisait néanmoins me sentir étrange, presque coupable. Est-ce que je voulais que Balthazar se l'imagine ? Qu'il comprenne que c'était ce qui allait arriver, à un moment ou un autre ? Est-ce qu'il s'agissait d'une tentative pour le mettre au défi de m'en empêcher ? Je n'arrivais déjà pas à cerner pourquoi je retardais ainsi mon départ inévitable. Une partie de moi souhaitait s'extirper au plus vite de cet endroit tandis que l'autre espérait vainement qu'il me retienne encore plus longtemps. C'était stupide.

J'avais horriblement chaud. L'inspiration que je pris à cet instant fut plus longue que les précédentes tandis que je baissais mes yeux. J'avais envie d'entendre son cœur battre plus violemment. Je voulais susciter une réaction. N'importe laquelle. La colère, la moquerie, le dégoût. Tout, sauf son indifférence. Je me trompais en fin de compte : ce n'était pas lui qui testait mes limites, je me débrouillais très bien toute seule pour ça.
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Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.


DEMAIN DES L'AUBE.


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________________________________________ 2019-03-28, 20:34


You've always loved the strange birds
You've always loved the stranger inside. Me, ugly pretty.


Balthazar tiqua en entendant les termes "Monsieur Todd". Il n'aimait pas que quelqu'un les prononce, encore moins Eulalie. C'était des mots empreints de sang et de ténèbres. Ils n'appartenaient qu'à lui. Après tout, il s'était arrangé pour être le seul à en détenir le secret à la toute fin, et il l'aurait emporté dans la tombe si le nuage violet de la Malédiction n'avait pas interrompu Toby avant le geste fatal.

Il ne craignait pas la vengeance d'une fillette. Il se sentait plutôt désappointé par son manque d'audace. Des tours de passe-passe, des souvenirs ensorcelés. C'était pathétique. Il aurait préféré qu'elle lui administre le coup de grâce. Peut-être tendrait-il la gorge, docile ? Depuis le temps qu'il attendait d'être libéré de la vie... Mais c'était là le sinistre manège de la gamine : elle préférait qu'il endure les tortures de l'existence. A moins qu'elle n'ait pas réfléchi aussi loin et que ses manigances soient régies uniquement par sa haine. En tous les cas, elle agissait comme une débutante. S'il venait à être trop poussé à bout, il risquait de lui faire regretter son manque d'initiative.

"J'ai le temps pour une partie."

Cette phrase le sortit de ses sombres réflexions. Il avait tenté au mieux de faire abstraction de la proximité de l'amazone. Il avait ignoré le tissu de sa robe qui frôlait sa main, et son odeur sucrée. Cependant, les mots qu'elle prononça firent tomber son masque d'indifférence et il lui offrit un regard à la fois interrogateur et avide.

Eulalie glissa sa main dans la sienne et il l'observa avec davantage d'indécision. Le retour du jeu. La corde raide. La question de la jeune femme donna davantage de sens à ses précédentes paroles et il se décrispa légèrement. Il entrouvrit la bouche mais sa mâchoire se contracta alors que l'amazone appuyait là où ça faisait très mal. La corde venait de se briser. Une torture supplémentaire. Une fenêtre ouverte sur des images qu'il n'aurait jamais voulu imaginer. Il ferma les yeux à s'en fendre les paupières. Quelques secondes. Il déglutit avec peine mais retrouva une expression neutre alors qu'il rouvrait les yeux.

"Je pourrais te l'enlever. Ta robe." souligna-t-il avec un ton chargé de sous-entendus.

Elle cherchait à le faire souffrir, mais il ne souhaitait pas que cela reste impuni. La vengeance... les vieilles habitudes, tout ça.

Brusquement, ses doigts accrochèrent le bas de sa robe et la remontèrent de quelques centimètres. Il frémit légèrement en sentant sa peau contre la sienne. Contact électrisant. Echo du passé. Révolu. Douloureux.

"Mais nous n'en sommes plus là." précisa-t-il avec une lueur mauvaise dans le regard.

Il se composa un masque d'indifférence alors qu'il lâchait le tissu de la robe, qui retomba sur les jambes de l'amazone. Cela ne se vit pas, mais ce geste lui coûta beaucoup. Ses doigts étaient parcourus de vibrations étranges, comme s'ils souffraient de ne plus être en contact avec la peau de la jeune femme. Il les remua quelque peu avant de serrer les poings.

"Je ne veux pas jouer."
lança-t-il d'un ton morose tout en jetant un coup d'oeil aux échecs. "On sait déjà qu'on a tous les deux perdu."

Il avait marmonné la seconde phrase. Il n'était pas certain de vouloir qu'Eulalie l'entende. Après tout, peut-être avait-elle tout gagné, au contraire, en s'éloignant de lui ? Il ne préférait pas s'attarder sur la question. Il craignait de connaître la réponse.

Il fit quelques pas dans le couloir, se maudissant de trop chanceler alors qu'il aurait préféré paraître plus vindicatif. En réalité, il était las de tout. D'une démarche mécanique, il se dirigea vers la porte qu'il ouvrit dans un geste sec, manquant d'arracher la poignée. A cet instant, il laissa échapper un soupir, baissa la tête et la tourna légèrement vers l'amazone, sans pour autant la regarder franchement.

"Sois heureuse. C'est le moins que tu puisses faire."
murmura-t-il à contrecoeur.

Voilà qu'il donnait des conseils. Sa dépression atteignait un seuil critique. Avec un nouveau soupir, mélange de consternation et d'agacement, il passa une main contre son front. Un rictus méprisant apparut sur ses lèvres alors qu'il ajouta :

"Et rends cet imbécile heureux. L'avenir appartient aux gens comme vous."

Jeunes. Beaux. Stupides. Ils avaient tout pour se compléter.

Il lui jeta un regard carnassier et se détourna pour quitter le bâtiment. L'air frais du début de soirée le saisit à travers ses vêtements. Il ne daigna pas fermer son manteau. C'était là une des seules façons pour lui de ressentir encore quelque chose.

D'un pas vif, il marcha vers sa voiture, cherchant déjà une cigarette dans sa poche. Il avait prévu de revenir dans cet endroit jusqu'à ce qu'il soit confronté au "maître" des échecs. Le sosie de Turpin. Il devait avoir une petite conversation avec lui. En attendant, il continuerait de survivre à l'immobilisme de sa vie. A l'absence de chaleur. De contact. De douceur.

Juste avant de monter dans son véhicule, il jeta un bref coup d'oeil vers l'endroit où il avait laissé Eulalie. Le pire, c'est qu'il souhaitait véritablement son bonheur. Brusquement, une pulsion subite le saisit à la gorge. Il avait besoin de faire quelque chose d'irréfléchi dont il se repentirait plus tard. C'était irrépressible.

Il claqua la portière et démarra en trombe, après avoir consulté sa montre qui indiquait largement plus que dix-neuf heures. Le coeur battant à tout rompre, il tenta de se raisonner durant le trajet. Il n'y parvint pas. Son esprit aliéné était animé par une idée fixe. Il n'en serait pas libéré tant qu'il n'aurait pas été jusqu'au bout de son acte.

Il gara sa voiture à cheval sur le trottoir, à un endroit interdit, juste devant l'habitation qu'occupait Eulalie. Fort heureusement, la porte des communs était entrebâillée. Signe du destin. Le barbier grimpa l'escalier quatre à quatre jusqu'à l'appartement. Avec une inspiration anxieuse, il abaissa la poignée. Qui céda sans résister. Cela signifiait que l'un des colocataires de l'amazone était présent, ou que Nolan possédait un double des clés. L'idée de se retrouver nez à nez avec Casquette ou l'autre dont il avait oublié le nom ne l'enchantait guère. Malgré tout, il entra.

De l'autre côté, il ne trouva que Nolan, assis à côté d'une assiette de sushis élégamment disposés, avec une rose rouge entre les dents. Balthazar planta un regard oblique dans le sien. Ces fleurs, c'était celles d'Eulalie. Elles lui évoquaient la roseraie. Pourtant, c'était également un gage d'amour éternel et passionné. La couleur en était témoin.

Le bellâtre enleva la rose de sa bouche pour observer Balthazar d'un oeil perplexe et incertain. Il jeta un coup d'oeil derrière le barbier, espérant sans doute apercevoir Eulalie, mais ce dernier claqua brusquement la porte. Ensuite, il marcha droit sur lui et l'attrapa par le col de sa chemise bien repassée. Il se moquait qu'il soit doublement plus musclé et plus grand que lui. Sa rage ne connaissait aucune limite, et était bien plus forte que n'importe quoi. Il savait donner les coups et les recevoir. Il n'avait pas peur.

Nolan commença à se débattre mais Balthazar grogna sans préambule :

"Rends-la heureuse."

Ces paroles déroutèrent le bellâtre qui fronça les sourcils, avant d'enfin le faire lâcher prise. Le barbier se recula tout en le fixant avec un dégoût et une animosité sans égale.

"Il vaut mieux pour toi que tu la combles." cracha-t-il. "Si jamais j'apprends qu'elle est malheureuse, tu auras affaire à moi. Et tu ne le veux pas. Je t'assure que tu ne le veux pas."

Nolan le dépassait d'une bonne tête, pourtant le barbier dégageait tellement d'assurance, de témérité et de hargne en cet instant que l'autre se contenta de l'observer. Comme Balthazar semblait prendre racine, le bellâtre finit par hocher très brièvement la tête.

"Vous êtes un coiffeur très prévenant." souligna-t-il tout de même avec un mélange de sarcasme et de méfiance.

Balthazar le considéra, méprisant, et se détourna sans un mot de plus. Il ne pouvait justifier ce qu'il venait de faire. Il savait que ça ne l'aiderait pas à aller mieux. Au contraire. Une masse oppressait sa poitrine. Il souffrait d'avoir bien agi. C'était encore pire que de faire le Mal.

"Abruti." maugréa-t-il en descendant l'escalier.

"Taré." fit Nolan depuis la cuisine, encore chamboulé par cette altercation qui venait de se produire entre une rose rouge et des sushis.

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Every step we took that synchronized, every broken bone, reminds me of the second time that I followed you home. You showered me with lullabies as you're walking away. Reminds me that its killing time on this fateful day.
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"Qu'est-ce qu'elle me veut encore celle-là..."
"Coucou TortueMan, je t'ai manqué ?"


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"Je sais que j'ai une mauvaise réputation
mais de là à garder une distance de sécurité..
tu abuses, Emmet."





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________________________________________ 2019-04-12, 23:51


Oh, I’ve been askin' for problems.
Oh, hush, my dear, it's been a difficult year,
And terrors don’t prey on innocent victims.



Quelques jours plus tard...

J'étais heureuse. A peu près. Je n'y pouvais rien si je ne pouvais pas être contentée par mon existence à l'heure actuelle. Je n'avais pas à me le reprocher et ce n'était pas non plus de la faute de Nolan. C'était tout le reste qui ne tenait pas en place, qui m'exaspérait, qui m'énervait, et mon esprit ne me laissait pas une seule minute de répit. Je soupirais inconsciemment et sentis au même instant une main presser tendrement mon épaule. Je remuais légèrement ma tête qui reposait sur les genoux de Nolan alors que mon corps allongé occupait une grande partie de la place sur son canapé. J'appréciais assez la façon dont ses doigts caressaient distraitement ma nuque pendant qu'il était concentré sur la télévision. Si ce simple geste de sa part ne suffisait pas à me détendre, j'esquissais malgré tout le début d'un sourire.

Je n'avais pas suivi l'histoire du film qu'il avait voulu me montrer ni la moindre idée de qui étaient les personnages ou de ce qu'ils faisaient. Cela semblait néanmoins lui faire plaisir que je reste pour le regarder avec lui, alors je continuais de faire semblant de m'y intéresser pendant que lui feignait ne pas remarquer que j'avais la tête ailleurs. Je m'accordais ce bref instant de tranquillité avant de devoir refaire face à l'instabilité de mon quotidien... même si quelque chose manquait. Je le ressentais comme un poids constant dans ma poitrine, bien que je n'arrivais pas à définir de quoi il s'agissait.

"Tu vas être en retard pour ton rendez-vous." articula-t-il doucement au moment où le générique commençait à défiler.

"Hum." marmonnais-je en me retournant juste assez pour l'observer.

Même sous cet angle, il restait agréable à regarder. Ce n'était pas à proprement parler un "rendez-vous", mais il était vrai que je lui avais présenté les choses ainsi. Il était plus aisé de le laisser en dehors de tout cela. Je me redressais sans conviction, passant une main dans mes cheveux lâchés.

"Si tu préfères rester, ça me dérange pas..." poursuivit-il dans une tentative si indécise que je ne pouvais qu'en sourire.

"Peut-être une autre fois." promis-je en ignorant le malaise qui commençait doucement à me gagner.

Je n'étais pas dupe. Je pouvais entendre son coeur battre à mille à l'heure tandis que le mien se contractait brutalement. Nous n'étions pas sur le même rythme ni la même cadence. Cette constatation me déplaisait et m'irritait étrangement. Il manquait une certaine harmonie. De fusion. De complémentarité.

"Tu vas voir ton coiffeur le taré ?" me taquina-t-il avec un brin de suspicion que je ne pouvais que remarquer.

J'étais contente de lui tourner le dos à cet instant, à récupérer ma veste laissée sur un de ses fauteuils sans pour autant m'encombrer en la portant. Avait-il fait ses propres recherches concernant Balthazar ? Ce n'était pas la première fois qu'il y faisait allusion de la sorte et même si il s'était comporté bizarrement devant lui, certes, je ne comprenais pas si Nolan tentait de me faire passer une sorte de message. Je préférais ne pas y accorder d'importance. Cela n'aurait fait qu'alimenter les idées qu'il se faisait déjà. Je secouais la tête, tentant de paraître impassible comme je le pouvais.

"Non. C'est pour le travail." inventais-je sans difficultés et avec nonchalance, ce qui me surprenait moi-même. "Je vais peut-être même monter en grade si je me débrouille bien."

Je devenais trop habile dans le domaine de la dissimulation et du mensonge. Il ne savait rien d'Elliot, ni de Surt, ni de rien, en réalité. Je commençais presque à m'inquiéter de mon propre comportement, mais ce n'était que passager avant que je ne me dise que c'était bien mieux ainsi. Mon créateur avait raison de faire des secrets finalement, c'était parfois plus simple que de faire face à la réalité.

Il ne cessa de m'observer alors que je me rapprochais à nouveau de lui pour me pencher juste assez afin de déposer un furtif baiser sur sa joue, et il parut soulagé autant par mon affirmation que par mon comportement. Je lui assurais de lui envoyer un message pour prévoir une sortie ce week-end avant de partir, sans pouvoir empêcher mon esprit d'être de nouveau assailli par trop d'interrogations. Est-ce que j'allais le lasser ? Impossible. Mais est-ce que je ne lui donnais de faux espoirs en me comportant comme si j'étais sa petite amie sans pour autant lui accorder plus d'intimité ? Non. Ce n'était pas le moment, c'est tout.

J'aurai dû tout lui dire. Je ne savais pas ce qui me poussait à ne pas lui parler, puisque cela n'aurait absolument rien changé. Sans doute craignais-je qu'il ne me voit différemment, et cela serait forcément le cas, si il savait à quel point j'étais attachée à un psychopathe... avais été. J'avais été attachée. C'était une histoire du passé.

Et pourtant, j'arrivais en peu de temps près du club d'échecs. Depuis que j'y avais mis les pieds pour la première fois, je ne pouvais me sortir cette envie de la tête, ayant vérifié les heures d'ouverture à de nombreuses reprises avant de m'y rendre quotidiennement sans même vraiment le réaliser. Je me persuadais que ce n'était qu'une façon pour moi de rassasier ma curiosité. Ou de comprendre. Ou de me distraire. Toute excuse était bonne à prendre. Je n'avais préparé aucun plan, aucune approche, je n'avais pas particulièrement d'attente, et je mis un certain temps à réagir lorsque l'homme apparu sur le trottoir opposé. Je clignais des yeux, interdite un instant, en le dévisageant plus que ce que nécessaire. La tenue était différente, plus moderne, son manteau me rappelant presque celui de Balthazar avant que je n'expulse cette réflexion de mes pensées. En dehors de cela, c'était le même homme que dans la Pellicule.

Je cessais de penser pour jeter mon gobelet de café dans la poubelle au bord de la rue avant de parvenir à rattraper l'individu, me plaçant en travers de son chemin avec brusquerie et désinvolture, comme j'avais souvent l'habitude d'agir. Ce n'était pas très courtois de ma part, mais mes sourcils restèrent froncés un instant tandis que je peinais à ne pas avoir une expression des plus suspicieuses. Il me fallut de longues secondes avant de la remplacer par un sourire que j'espérais assez aimable pour ne pas paraître trop dérangée.

"Bonjour, Monsieur Turpin." me décidais-je à articuler en tendant ma main dans sa direction. "Je m'appelle Eulalie."

Et maintenant ? L'homme me dévisageait, copiant l'air que j'avais tout d'abord aborder. Je devais insister. Je me retenais de me pincer les lèvres avant de me souvenir de l'excuse que j'avais donner à Nolan. Je pouvais continuer sur ce chemin. Ce ne serait pas étrange, personne ne posait trop de questions aux figures d'autorité. Je n'avais pas l'habitude de faire usage de ce statut mais si pour une fois, je pouvais en user sans que ça ne se résume à frapper des gens de manière justifiée, je n'allais pas m'en priver.

"Je suis de la police. Je viens pour... vous interroger. Au sujet d'une affaire."

J'avais vu Chris agir assez souvent pour parvenir à l'imiter, mon excès de confiance naturel devant me permettre d'être convaincante sans trop de mal. Pour appuyer mes dires, j'attrapais le badge qui se trouvait dans ma poche et dont je n'avais jamais trouvé d'utilité avant aujourd'hui. Je le gardais juste avec moi parce qu'il le fallait pour avoir le droit à des boissons gratuites dans certains cafés. Je le mettais sous son nez sans prêter attention au fait que je le tenais à l'envers.

"Comment m'avez-vous appelé ?" daigna-t-il enfin articuler tandis que je baissais ma main. "Vous devez faire erreur, je suis Joshua Tree."

Je me doutais que Turpin ne pouvait pas être son nom, alors qu'il semblait navré et chercha même à me contourner, mais je ne lui laissais pas le temps de faire un pas.

"C'est ce que j'ai dis. Monsieur Tree. Vous avez dû mal m'écouter."

Je ne me séparais plus de ce grand sourire excessif pour compenser mon manque de sincérité.

"C'est un joli nom. Mais pas celui d'origine, je suppose ? Celui du monde des contes. Mon affaire concerne le monde des contes. A peu près. C'est toujours plus ou moins lié."

Qu'est-ce que j'étais en train de raconter ? Mon coeur s'était mis à battre plus fort alors que je n'avais aucune idée de la façon dont j'allais m'extirper de ce mensonge. Maintenant, autant continuer de m'y enfoncer.

"On peut discuter à l'intérieur si vous préférez, ça ne me dérange pas." poursuivais-je pour ne pas lui laisser le temps de trop réfléchir, usant de mon ton le plus agréable. "En plus j'ai entendu dire que vous étiez très doué aux échecs, j'aimerai bien faire une partie, j'adore apprendre avec les meilleurs."

J'usais d'une méthode qui avait déjà fait ses preuves avec les plus grands, puisque Apollon et Jules adoraient être complimentés. Ce Joshua n'allait pas me refuser un cours improvisé alors que je faisais autant d'efforts que possible pour être aussi adorable comme je pouvais l'être avec Monsieur Verne. Je doutais malgré tout en le voyant hausser un sourcil, mais je percevais qu'il était intrigué.

"Après vous, mademoiselle." accepta-t-il finalement en poussant la porte du club devant lequel je l'avais bloqué.

Je retenais un soupir de soulagement en passant la première et réprimais les souvenirs que j'avais de ma dernière visite ici. Je me contentais de suivre Monsieur Tree sans le lâcher des yeux, jusqu'à cette salle remplie de tables rondes où d'autres personnes déjà présentes saluèrent mon accompagnateur. Les échanges étaient chaleureux, ou du moins respectueux, tout le monde souriait et je m'efforçais de faire de même pour ne pas faire tâche dans ce décor.

"Mener une enquête et jouer aux échecs en même temps... j'espère que vous connaissez les bases."

Je penchais quelque peu la tête sur le côté, ne sachant si je devais être vexée par une telle remarque tandis qu'il m'indiquait une table vide à laquelle je m'installais avant qu'il ne prenne place à son tour. Je connaissais le principe et j'avais failli assister à une séance de strip-échec lancé par des gardes, un jour, puisque cette "mode" transmise par Apollon avait l'air de les amuser. Je faisais confiance à mon instinct. La partie n'était pas très importante, de toute manière.

"Je me demande bien ce que vous cherchez qui puisse remonter à si longtemps. J'ignorais que la police enquêtait sur le monde des contes. Je pensais que c'était des affaires classées."

Il allait se poser des questions, évidemment, son front barré par une ride soucieuse qui me faisait mordre l'intérieur de mes joues. Quelle idée d'avoir aborder le monde des contes alors que tout le monde semblait avoir passer l'éponge sur cette époque, laissant même en liberté et élisant maire la responsable de la Malédiction...

"Je vous laisse commencer." ajouta-t-il pourtant avec un sourire poli.

Je le lui rendais en baissant les yeux vers le plateau et, avec une application presque scolaire, commençait par disposer les pions sur leur case. Il fallait que je dise quelque chose, que j'entame la conversation. J'aurai dû réfléchir à un plan. Mon impulsivité me rendait la tâche plus difficile. J'avais pensé qu'il me suffisait de le trouver, de lui demander pourquoi il n'était pas mort et de partir, mais tout s'avérait à présent bien plus compliqué.

"Elles sont classées. Officiellement, en tout cas." tentais-je de me justifier dans un haussement d'épaules. "Mais parfois des personnes viennent déterrer ces vieilles histoires et des éléments nouveaux nous sont rapportés. Et quelqu'un doit bien s'y intéresser et s'en occuper, sinon... c'est l'anarchie."

Je relevais mon regard dans sa direction, énonçant ces mots comme une constatation. J'avais finis par comprendre que tout le monde finissait par être rattrapé par son passé... ou même son futur. Le Temps ne laissait de répit à personne.

"Vous avez toujours eu cette apparence ou vous êtes de ceux qui étaient un poisson, un chien ou un objet dans votre autre vie ?" me lançais-je, confiante, en déplaçant un premier pion sans trop y réfléchir.

"J'ai toujours été un homme."

Je pouvais percevoir de l'amusement dans sa voix, ce qui me détendit légèrement. Ce n'était pas vraiment ce que j'avais demandé, puisqu'il aurait après tout pu être un homme avec un autre visage.

Je le fixais, indécise, tandis qu'il réfléchissait à son mouvement, et je me décidais à faire usage d'un peu moins de subtilités, puisque je n'étais pas douée pour ces choses-là.

"Je pense que vous êtes potentiellement en danger de mort. Parce qu'à moins que vous partagiez votre physique avec un autre individu, vous êtes censé déjà l'être, mort. D'après mes informations."

Je me raclais la gorge, baissant les yeux, en réalisant qu'une telle déclaration aurait dû être amenée plus indirectement au risque de le froisser. Ce n'était pas pour rien que Chris était celui qui se chargeait des interrogatoires, le rôle du "gentil flic" ne m'allait pas. Pourtant, Monsieur Tree resta calme et n'avait même pas l'air de prendre sérieusement mes dires, ce qui me poussa à continuer :

"Je peux me tromper et je ne veux pas vous effrayer, simplement savoir quelles informations supplémentaires vous pourriez m'apporter. Savoir qui vous êtes, dans un premier temps, et pas seulement en me donnant votre nom, ça pourrait m'être utile."

Je parlais toujours trop, lorsque je n'étais pas à l'aise, mais j'avais besoin d'en savoir plus... Non, ce n'était pas une obligation, ça ne me servirait à rien, ce n'était pas pour moi que je faisais ça.

"Vous me semblez être une jeune femme intelligente, pleine d'esprit. Une part de vous a dû comprendre que vous n'interrogiez pas la bonne personne."

Il observait intensément le plateau tandis que je tentais de le déchiffrer. Je pouvais au moins assurée que la flatterie était en effet une méthode efficace, et je n'allais pas lui reprocher de la tenter sur moi. Il était presque trop serein étant donné ce que j'avais pu dire et je me retenais pour ne pas le noyer sous une tonne de questions, serrant une de mes mains contre mes genoux.

"Je parie que c'est Winifred Godwyn qui vous a mise sur ma piste. Vous ne devriez pas accorder du crédit à ses petites histoires. Elle affabule pour se donner de l'importance. C'est très triste ce qui lui est arrivé, mais tout le monde a ses blessures. La perte de son père très jeune a créé chez elle un manque de repères conséquent."

Il bougea l'une de ses pièces alors que je le sondais, n'appréciant pas la manière dont il décrivait la jeune fille. Winifred était un prénom assez peu commun pour que je sache qu'il s'agissait de celle que je connaissais, en dehors du fait que tout semblait tourner autour d'elle, de Balthazar, et de cet homme face à moi.

"J'étais berger dans le monde des contes. Un personnage secondaire si l'on peut dire. D'après vous, je partage mon physique avec une personne défunte ? C'est vraiment curieux."

"Vous vous occupiez de moutons ? Ou de chèvres ? J'aime beaucoup les chèvres."

Qu'est-ce que... Je laissais transparaître sans réfléchir mon manque évident de professionnalisme qui était en réalité inexistant. Finalement, même en faisant tous les efforts du monde, je ne pouvais avoir un jeu d'actrice irréprochable.

"Ma spécialité était les moutons. J'avais deux cent têtes." prit-il néanmoins la peine de préciser avec un semblant de sourire amusé.

Mon intérêt déplacé disparu aussi vite qu'il s'était éveillé. Je n'avais rien contre les moutons, mais je ne les trouvais pas passionnant. Je secouais la tête et décidais de faire abstraction de cette partie de notre échange qui avait encore moins de sens que le reste.

"C'est curieux et dangereux. Pour vous. Et je ne pense pas que ça puisse être un hasard." marmonnais-je en observant le plateau entre nous, les sourcils froncés, avant de mouvoir une de mes tours et de relever la tête en direction de Monsieur Tree. "Mais si vous me dites la vérité... Peut-être que c'est un sort qui vous a donné ce visage, ou une sorte de filtre... La magie peut faire beaucoup de choses. Ou votre mémoire a été modifiée. Sauf que dans ce cas, vous ne devriez quand même pas être là à moins d'être un zombie, et vous ne ressemblez pas à un zombie."

Il restait toujours l'hypothèse du frère jumeau caché, ou du simple sosie. Tout cela était encore plus flou qu'avant.

"Vous connaissez Winifred personnellement ?" ne pouvais-je m'empêcher de l'interroger. "Ce n'est pas très juste de vous permettre de la juger ainsi. Si il lui manque des repères, il faudrait mieux l'aider à en trouver plutôt que l'ignorer. Elle mérite autant que n'importe qui d'autre d'être écoutée."

Elle était jeune et loin d'être la seule de son âge ayant connu une enfance tragique, mais ce n'était pas une raison pour la voir comme une jeune fille uniquement en manque d'attention. Elle ne se donnerait pas autant de mal uniquement pour avoir de "l'importance". Elle se fichait de ça, même. A moins de chercher à avoir l'intérêt de Balthazar... ce qu'elle avait à présent, mais je n'étais pas certaine que ce soit une bonne chose. Heureusement pour ce Monsieur Tree, je l'avais croisé en premier. Un coup de rasoir aurait pu si vite arriver si il en avait été autrement.

"De toute manière, elle ne m'a rien demandé et je ne suis pas là à sa demande." ajoutais-je pour interrompre le fil de mes pensées. "Ce n'est pas la seule à être concernée par ses petites histoires. Ce serait plus simple si c'était le cas."

Je m'enfonçais dans ma chaise dans un soupir, hésitant à me mettre la tête entre les mains. Elle me donnait l'impression de peser des tonnes.

"Je ne juge pas ses actions. Au contraire, j'aimerais l'aider. Je suis psychiatre. Elle a été ma patiente pendant quelques mois, puis elle a cessé de venir aux rendez-vous, malgré les insistances de sa tutrice. Je ne peux pas la forcer. Elle reviendra quand elle se sentira prête."

J'eus presque un rictus à ce discours, qu'il prononçait d'un ton soucieux malgré tout détaché. Je n'aimais pas les psychiatres. Je n'en connaissais pourtant aucun, mais je trouvais que leur manie à vouloir aider les autres à gérer ce qui se passait dans leur tête était intrusive et presque... effrayante. Et forcément, il fallait qu'il en soit un, alors que Graves était un psychopathe. Le contraste était parfait.

"La magie est capable de choses étonnantes. Après tout, nous nous parlons présentement suite au Sort Noir d'un magicien extrêmement puissant, combiné au talent d'une sorcière remarquable."

Il semblait impressionné par cette malédiction, comme tout le monde dans cette ville, ou du moins une grande partie. Je ne fis qu'afficher une moue, trouvant que ce n'était rien face aux capacités de créer des Titans, ou encore celles de destruction dont ils pouvaient faire preuve. La sorcellerie était différente. Plus vicieuse, à mes yeux. Il bougea l'une de ses tours et je ne réfléchissais pas avant de la faire tomber avec un cavalier, tandis qu'il croisait ses mains devant son visage, focalisé sur le jeu.

"La personne pour qui vous enquêtez doit être extrêmement précieuse à vos yeux."


Je me raidis sur mon siège alors que son regard me transperçait maintenant. Mes sourcils se froncèrent et je restais de longues secondes à le dévisager. Est-ce qu'il cherchait à rentrer dans ma tête, maintenant ? Il n'aimerait pas ce qu'il y verrait. Il s'y perdrait, sans doute. C'était trop dérangé. Et je n'allais pas lui faire le plaisir de le guider, puisque même moi, je ne m'y retrouvais pas.

D'une petite moue, je préférais ne pas répondre et forçais le détachement. Je savais que je n'allais pas le leurrer, mais je préférais éviter de lui donner la moindre piste concernant Balthazar. Je ne cherchais pas à le protéger. C'était autre chose. Je n'étais pas là pour lui, de toute manière, j'étais... Ça n'avait pas d'importance.

"Winifred n'a pas l'air d'avoir besoin d'un docteur, plutôt d'amis et de personnes sur qui compter. Ce n'est pas la même chose." me décidais-je enfin à prononcer en ignorant mon cœur serré et faisant disparaître aussi vite que possible mon air préoccupé.

Étrangement, j'imaginais que j'aurai pu en être une pour elle, si il n'y avait pas un barbier concerné dans cette affaire, ou si j'avais été moins perturbée. Cela aurait pu être possible. Ça l'était éventuellement encore. Je plissais les lèvres, alors qu'il faisait un échec à mon roi, mais le contrait en capturant sa pièce.

"Passer de berger à psychiatre, c'est quand même une drôle de reconversion... Je ne comprends pas toujours la logique de ce Sort Noir. J'ai la chance de ne pas l'avoir subi."

Je n'arrivais pas à me retenir de le faire remarquer et Monsieur Tree eut même un léger rire. Ce n'était pas que je le voyais comme une preuve de supériorité, mais il s'agissait d'une de mes différences et je ne voyais pas pourquoi je n'avais pas à être satisfaite de cette chance que j'avais. Je n'aurai pas supporté avoir plusieurs vies dans ma tête.

"Je suis désolée de vous avoir fait perdre du temps." avouais-je alors, certaine que je ne tirais rien concernant Turpin en lui parlant. "Je vous ai dérangé pour rien."

Ma frustration devait se lire sur mes traits tandis que la partie se poursuivait. Si je n'avais pas eu d'esprit de compétition, j'aurai déjà abandonné, ces mouvements m'ennuyant de plus en plus. Qu'est-ce que j'avais espéré ? Avoir toute une tonnes de révélations que j'aurai pu aller partager avec Balthazar ? Je sentis mon coeur s'emballer. C'était idiot d'attendre que ces "petites histoires" me permettent de repasser un seul moment avec lui en dehors d'un salon de coiffure. Je n'avais pas besoin de ça. Je me faisais du mal pour rien.

"Est-ce que vous auriez... un papier ou quelque chose pour que je vous laisse mes coordonnées ?"

La question m'avait échappé tandis que mes yeux s'étaient relevés vers Joshua. Je lui offrais un sourire incertain et, inconsciemment sans doute, tentait de me rendre la plus douce possible.

"Si jamais vous remarquez quelque chose de... différent ou d'étrange, vous pourrez me joindre comme ça. Peu importe le jour ou l'heure, je serai là."

"Je suis très flatté par l'attention que vous me portez, mais je vous trouve très jeune. J'espère que tout ceci restera professionnel."

Je manquais presque de m'étouffer lorsqu'il sortit le calepin de la poche intérieur de sa veste en prononçant ces mots. Je ne voulais pas qu'il s'imagine que je lui faisais le moindre numéro de charme, ce n'était pas mon intention, mais je n'allais pas le contredire alors qu'il semblait en être touché... Je pouvais considérer cela comme une approche différente de flatterie.

"Je ne manquerai pas de signaler si je remarque quoi que ce soit d'étrange."

J'esquissais un bref sourire en attrapant le stylo qu'il me tendit et m'appliquait à écrire convenablement mon nom et mon numéro sur une page vierge, avant de les faire glisser de nouveau dans sa direction. Il en avait profité pour bouger l'un de ses pions et ma tête se pencha nonchalamment sur le côté alors que je bougeais un de mes fous.

"Échec et mat." énonçais-je avec perplexité tout en lui jetant un coup d’œil.

En avait-il fait exprès ? Ou avait-il été trop distrait par notre conversation pour mettre toute sa concentration sur une simple partie ? J'optais pour la première option. Je ne croyais pas à la probabilité de la chance du débutant, mais je ne posais pas la question, puisque laisser planer le mystère contentait quand même ma fierté.

"Jolie et pleine d'esprit. Une perle rare." fit-il remarquer en se frottant le menton et en relevant son regard vers moi.

J'ouvris la bouche pour prononcer un "je sais" dénué de toute modestie mais m'abstenais à la dernière seconde. A la place, je souriais franchement en replaçant une mèche de mes cheveux et positionnais nos pièces à leur place initiale.

"Ce fut un plaisir de vous rencontrer, Joshua." concluais-je d'un ton poli en me redressant de ma chaise une fois la tâche accomplie. "A bientôt."

Il me semblait évident que j'allais être amenée à le recroiser, sans pour autant que j'en sois certaine. Je ne me retournais pas en quittant le club mais restais un instant sur le trottoir une fois de retour à l'air libre. J'hésitais longuement, ne sachant si je devais continuer à m'acharner à vouloir m'immiscer dans cette histoire après cet entretien, alors même que j'estimais que je n'en avais aucun droit. Je n'étais pas directement impliquée, alors pourquoi m'imposer cette charge supplémentaire ? Ca se terminerait forcément mal. Je me sentirais coupable de ne pas avoir été là pour... Winifred, entre autre, si les choses dégénéraient.

C'était stupide de ma part de perdre du temps à me remettre ainsi en question. Ca ne me mènerait à rien, je ne faisais que m'auto-justifier en vain. Je savais déjà qu'avant la fin de la journée, j'aurai contacté un garde pour se charger de surveiller ce Monsieur Tree... rien que quelques jours. Par sécurité. Ce serait plus fort que moi.


To be continued...
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