“Et voila !”

Dolorès tendit avec un grand sourire une pile de documents à son frère, qui s’amusait à tester la nouvelle corde de pendus qu’ils avaient reçu. Soit disant écologique et bio, faite en fibres de chanvres. En vérité, Aguistin s’en fichait totalement, du moment que cela faisait son travail correction, c’est à dire bien pendre la personne. Si cette dernière avait une conscience écologique de dernière minute, tant mieux pour elle. Bon, tant mieux pour lui aussi, vu qu’il vendait quand même 5% plus cher qu’une bonne vieille corde en corde. Il était entrain de faire le noeud coulissant quand la jeune femme arriva, secouant les documents devant son nez.

“Le contrat de partenariat avec Mademoiselle Maanteekor est rédigée !”

En voila une bonne nouvelle ! Depuis qu’il avait rencontré Dewenty, au détour d’une pierre tombale en plein mois de novembre, il avait harcelé Dolorès pour qu’elle rédige les papiers qui stipulait que l’ancienne manticore pouvait vendre ses poisons dans leur boutique. Il avait vraiment eu un coup de coeur amicale pour elle. Il l’avait invité à prendre le goûter et une bonne tasse de thé -pas empoisonné pour le coup- dans sa maison du cimetière et ils avaient parlé de tout et de rien, avant de se rendre compte qu’ils avaient de nombreux points communs. Surtout un très important, la perte de leurs ailes. Il avait pu pleurnicher sans qu’on ne lui fasse de reproches, sans qu’on ne lève les yeux au ciel. Dew le comprenait parfaitement et rien que pour ça, il s’était dit qu’elle allait devenir son amie ! En plus d’un partenaire commercial d’une redoutable efficacité. Toujours dans cette gamme de produits bio et pour les bobos désireux de partir la conscience tranquille, Dolorès avait commencé à teaser l’arrivée de ces poisons fait maison et les questions étaient allées bon train sur les réseaux sociaux et leur site internet, principale source de visites.

Souriant à sa soeur, il allait vers elle quand il se rappela qu’il avait un peu la corde au cou. Forcément, tombant dans le vide, la corde se serra et il commença à suffoquer. Le pire dans toute cette histoire ? C’est que voyant Dolorès rigoler, il faisait exactement la même chose, mais rire entrain de se faire pendre n’est pas vraiment la meilleure des solutions. Il commençait à sentir l’oxygène se raréfier dans ses poumons et son sang converger vers les parties basses de son anatomie. Les réflexes de sa pauvre enveloppe charnelle se mirent aussitôt en place, ses mains essayant de défaire la corde au niveau de son cou. Les angoisses qui le constituaient se mirent quant à elles à sortir de lui, un voile noir l’enveloppant quand une seconde peau. C’est à ce moment là que la zombie décida de venir lui mettre une chaise sous ses pieds, évitant ainsi la catastrophe. Oh pas que voir mourir son frère était traumatisant, ils se tapaient assez dessus pour en avoir eu le privilège. Oh non ! Elle voulait juste éviter que les angoisses échappent totalement à son contrôle, cherchant à aller toucher des nouvelles victimes et avec l'hôpital en face … Encore là, ce n’était pas si embêtant, vu qu’au final c’était eux, et surtout Aguistin qui récolterait les ‘lauriers’ mais elle ne voulait tout simplement pas gérer la panique. Elle l’aida ainsi à enlever la corde, qui lui avait laissé une jolie marque rouge qui en excitera plus d’un.

“Bon tu vois, je te l’avais dis qu’elles sont aussi solide que les anciennes !”
“Ouais ! On va voir si elles se vendent bien on investit encore plus. En tout cas elle donne aussi une bonne érection !”

Dolorès lui donna un coup sur la tête avec le dossier qu’elle avait.

“Tss … fait en sorte que tu ne l’ais plus quand tu vas voir Dewenty ! Je n’ai pas envie qu’elle renonce au contrat à cause du fait que tu ne sais pas te tenir !”
“Bah je pourrais aller me toucher mais j’ai pas le temps ! "

Elle lui donna le dossier dans un geste brut, lui collant contre sa poitrine, le regardant d’un air sévère.

“Ne fais pas tout foirer …”
“Non mais dis donc ! Pour qui tu me prends ! Je suis super sérieux dans le taff et puis Dewenty c’est mon amie ! Alors juste ferme ta gueule !”

Et c’était reparti, la fratrie Marban allait encore s’engueuler. Ils pouvaient s’aimer à la folie comme se tirer les cheveux à l’image des enfants se disputant dans la cour d’école. Gardant le dossier, il lui tira la langue avant d’aller le ranger dans sa sacoche.

“Ça va j’m’appelle pas Greg quoi !”

La jeune femme acquiesça avant d’aller reprendre son poste en caisse, la sonnette de la porte d’entrée venant de retentir. Il était l’heure pour lui d’y aller. Lui faisant un petit clin d’oeil après avoir remis correctement sa chemise et la veste de son costard, il passa tout près du pauvre client, lui susurrant à l’oreille un petit à bientôt qui lui fit baisser la tête. Aguistin était connu comme le loup blanc dans toute la ville. Son entreprise de pompes funèbres avait grossi en même temps que le nombre d’habitants augmentait dans cette ville si particulière. Et quoi de mieux que le fils de la Mort en personne pour gérer ces particularités. Si seulement ils savaient ce qui se cachaient derrière la grande façade et les baies vitrées. Mais justement, Aguistin savait particulièrement bien gérer son business et tout roulait comme sur des roulettes depuis qu’il avait tué Finkelstein.

Décidant d’aller en ville à pied, il sortit une cigarette de son manteau pour la fumer tranquillement, le long de son chemin. Il n’était pas loin des 11h30 et il espérait sincèrement que le magasin de Dewenty ne soit pas fermée. Il voulait l’inviter à déjeuner, un déjeuner très particulier. Une surprise dont il était sur qu’elle apprécierait. Enfin il espérait, mais Aguistin était parfois sur de lui pour certaines choses, surtout quand elles relevaient du macabre. Et si la boutique présentait porte close il reviendrait dans l’après midi. Saluant d’un geste cordial des gens qui lui disaient bonjour, grimaçant à ceux qui le regardaient d’un mauvais oeil, comme le mauvais présage qu’il était, il arriva bien vite devant la devanture rose bonbon…. C’était pourtant la bonne adresse, celle qu’elle avait marqué sur le contrat … qu’est ce que c’était que ça … Il cligna plusieurs fois des yeux pour se rendre compte de la chose … Il hésita à pousser la porte mais il devait en être sûr. L’intérieur était bien pire ! Il y avait des choses mignonnes de partout. Pas qu’il n’aimait pas les peluches, au contraire, en vérité il les adorait. Pas pour rien qu’il avait serré en premier dans ses bras Viktor quand il avait été crée. Mais le rose ! C’était trop de rose. Il appréciait les petites touches, là il avait l’impression de se retrouver dans l’estomac d’une gamine shooté à la licorne.

“Dew ?”

Il appela la jeune femme, sa voix résonnant dans la boutique. Il s’avança, regardant les cupcakes puis les quelques créations qu’il y avait de présenter. Bon s’il s’était trompé, que ce n’était pas la personne qu’il était venu voir, il prendrait certainement un truc pour Dolorès. Il savait que pour le coup, sa soeur était fan de tout ce qui pouvait être mignon et qui touchait au kawaï. Heureusement, Dewenty était bien là, apparaissant, radieuse, derrière le comptoir.

“Saaalut ! Regarde ce que je t’apporte !”

Il se glissa vers elle, déposant le dossier qu’il avait préalablement sortie de sa belle sacoche.

“C’est le contrat ! Pour qu’on officialise notre travail ensemble ! Tout a été marqué dedans comme on avait convenu ! Ça va être vraiment bien !”

Il dévoila ses trop nombreuses dents pointus, d’un blanc éclatant avant de faire un petit bond, très enjoué par la situation.

“Et tu sais quoi ? Je t’invite à déjeuner pour fêter ça !”

Il tapa dans ses mains comme un enfant content de sa nouvelle avant de remettre comme il faut sa veste de costard.

“Je te dis pas où c’est une surprise ! J’espère que tu vas apprécier, je me suis basé sur notre discussion pour te sélectionner le meilleur des choix.”

Et il espérait que ça soit vraiment le cas. Il avait tout bien préparé pour lui faire plaisir. Ah le petit oiseau ! Une fois dans ses pattes, considériez vous comme cuit à jamais ! Vous ayant mis vous même la corde au cou ou un boulet au pied. C’était qu’il y tenait à ses amis le petit Aguistin, et il rivalisait d’ingéniosité pour leur faire plaisir. Alors déja quand Dewenty, avec son beau sourire, lui annonça que sa journée ne pouvait être que plus illuminé, il ne put s’empêcher de gazouiller. C’était effectivement parfait. Après avoir fait à nouveau un tour dans la boutique, ne sachant pas rester à sa place plus de trois minutes consécutives quand il était dans cet état là, devant garder la surprise qu’il lui avait fait, il tapa encore dans les mains.

“Allez un petit indice …”

Il se rapprocha d’elle, s’appuyant sur le comptoir pour atteindre son oreille.

“Je t’amène dans un endroit où la viande est 100% qualité et où la fraîcheur est la règle !”

Il pouffa comme un gosse fier de sa blague. Après tout, il n’avait dit que la vérité, l’entière est unique vérité. Il y avait de la viande, qui était de qualité, bon pas toujours mais pour aujourd'hui il avait choisi les meilleurs morceaux et la fraîcheur était de mise, c’était la règle L’une des seuls qui s’autorisait à respecter, pour le bien être de ses salariés. Lui n’était absolument pas dérangé par l’odeur des cadavres en putréfaction. Chacun ses gouts.

“Ooooh mais ça c’est très bien ! On va pouvoir le mettre en produit phare de la semaine si tu veux ! Et faire une bonne communication dessus du style …”

Il commença à réfléchir tout en faisant quelques grimaces.

“Aussi éphémère que la vie, le “Rapidos” vous fera faire un gros dodo en moins de dix minutes chrono !”

Oh que c’était bien cette phrase ! Il s’empressa de sortir son téléphone portable pour la noter sur l’option bloc note pour ne pas l’oublier quelques minutes après avant de lever la tête et de la pencher sur le coté.

“Oui ! Mon crédo c’est la qualité ! Et je suis le seul à pouvoir tester sans problème.”

Il ricana, un sourire mauvais sur le visage alors qu’il regardait Dewenty s’éloigner de lui pour aller ranger sa caisse et la fermer à double tour.

“On a reçu des nouvelles cordes, en chanvre, un truc bio pour les bobos dépressifs. Lolo m’a dit que le vegan c’était à la mode donc autant surfer sur ça pour avoir plus de clients ! Et franchement c’est pas mal ! Un peu rêche sur la peau mais ça fera des échos pour ceux qui aiment avoir mal.”

Instinctivement il passa la main à son cou, sur la trace qu’il s’était faite lui même, un léger sourire malsain sur son visage.

“Oh que oui … mais j’ai même pas eu le temps de me branler parce que du coup je voulais pas être en retard … Pour toi ! T’as vu un peu cet honneur ?”

Il rigola. Son rire se rapprocha plutôt du croassement guttural que de la mélodie enchanteresse. Alors qu’il attendait Dewenty qui prenait son manteau pour le suivre, il jeta un vif coup d’oeil à son portable pour voir si Dolorès ne l’avait pas appelé. Non rien. C’était parfait.

“J’ai pas pris la voiture ! On va pas très loin !”

Le bâtiments des pompes funèbres étaient effectivement en bordure de centre ville, ce qui ne nécessitait pas vraiment de prendre la voiture. Oh il aurait pu, cela aurait fait augmenter le nombre de morts sur les routes mais l’essence coutait chère, et ce n’était pas vraiment la priorité dans les dépenses de son budget.

“Moi me mettre la corde au cou de cette manière ? Pouah ! Non ! Le mariage c’est nul ! Pas besoin d’un truc comme ça quand tu chéris une personne. Et rentrer dans une église ? Pff je le fais que pour deux choses ! Les cérémonies de départ et m’amuser à souiller les confessionnals. Pas que les prêtres me fuient un peu …”

Il n’avait pas pu lui répondre dans la boutique alors il avait préféré le faire maintenant qu’ils marchaient tranquillement, sous le soleil du mois de Mars. Il faisait encore frais et Aguistin enfonça ses mains dans les poches de son classieux manteau noir.

“Et toi ? Niveau corde au cou alors ?”

Il fit un petit geste évocateur au niveau des sourcils, alors que le coin de sa bouche se retroussait à un rictus. Aguistin adorait les ragots, les commérages, les bavardages ! Il était un fan de la presse à scandale, là où l’on apprenait les meilleures choses selon ses dires. Il écouta attentivement Dewenty, hochant la tête à ses propros avant de s’arrêter. Au final ils étaient arrivés sans effort à force de parler.

“Tadaaaaa”

Il pointa d’une façon très magistral le calicot des pompes funèbres, commençant à sautiller sur place. Il rentra dedans, jetant un coup d’oeil à la montre. 12h15. Parfait. Il n’y avait plus personnes, tous étant partis à leurs pauses déjeuner. Regardant que Dewenty le suivait toujours, il la laissa rentrer en premier dans l'ascenseur par gentillesse, chose qui n’était pas donnée à tout le monde de voir. Il dodelinait de la tête en attendant d’arriver au -1, sifflotant gaiement, très content de sa surprise. Et quelle surprise ! Après qu’ils soient sortis, continuant dans le couloir blanc et froid, il poussa les doubles portes pour laisser apparaître la morgue .. et une table, aménagé d’une façon digne des plus grands restaurants.

“Si Madame veut bien se donner la peine de s'asseoir !”

Tirant la chaise, il vérifia qu’elle soit confortablement assise avant de partir en trottinant vers l’un des grands réfrigérateurs et de sortir un grand plateau. Essayant de ne pas faire de catastrophe, sa poisse n’ayant pas encore frappé aujourd’hui, il le posa délicatement une fois revenu, sur la table.

“En entrée, foie gras d’américain de 36 ans. Il est légèrement sucré, c’est très bon. Avec le petit chutney d’oignons à coté une tuerie ..”

Le plat était bien présenté. Aguistin avait clairement fait des efforts. Le foie était cru, beaucoup plus gros que d’ordinaire, couchés en tranches sur quelques feuilles de salades et le fameux chutney d’oignons.

“C’est Dolorès qui l’a fait, elle aime bien faire des conserves l’hiver pour le printemps et l’été ! Alors je l’ai pris pour assaisonner, le goût se marie très bien.”

Tout en parlant, il était allé chercher les assiettes et les verres, ayant sorti aussi une bouteille de vin pour la jeune femme, revenant lui … avec un cacolac …

“J’espère que tu apprécies ! Et attends tu n’as encore rien vu, je salive d’avance pour le plat et le dessert !”

S’asseyant enfin à table, il mit sa petite serviette blanche autour de son cou tout abimé. Il aurait été fort dommage qu’il salisse son costume avec du sang !

“Alors … que me racontes tu de beau et de nouveau ?”