N'étant pas réellement évanouie, Amelia, bien que paupières closes, ne perdit pas une miette de ce qui se disait autour d'elle, si bien qu'elle dût se retenir pour ne pas froncer les sourcils à l'évocation du mouchoir maudit. Parce qu'une personne inconsciente ne pouvait pas froncer des sourcils et qu'il ne fallait pas qu'on comprenne que tout ceci n'était qu'une diversion. Même si... franchement, un mouchoir maudit ? Même Amelia, pourtant pas toujours ultra futée dans toutes les situations, trouvait ça complètement grotesque.
Pas les personnes alentours, cela dit. Et cela n'avait pas l'air d'aider April/Piper à évacuer sa sœur qui avait la bonne idée de prétendre qu'elle avait des visions. Amelia n'était pas très à l'aise à l'idée de prétendre pendant trop longtemps qu'elle était inconsciente et regrettait de ne pas avoir convenu d'un signal avec son aînée pour qu'elle se réveille si le plan ne fonctionnait pas. Pourquoi fallait-il toujours qu'elle ait les bonnes idées quand c'était déjà trop tard ?
Amelia tenta de ne pas y penser et se concentra autant que possible sur son rôle, serrant les dents quand des mains inconnues la déplacèrent. Les hommes étaient certes délicats et ne se permirent aucun geste déplacé, l'époque ne les y autorisant pas, mais quand même. Cela faisait longtemps qu'un homme n'avait pas posé sa main sur elle et Amelia aurait préféré que ce soit un autre homme, dans d'autres circonstances.
La pâtissière devenue sorcière garda cependant son rôle et ne vit pas, de fait, que les deux hommes à la charrette avaient pris sa sœur par surprise. Elle sentit, au bout d'un moment, qu'on la descendait de la charrette où on l'avait mise et qu'on la faisait s'agenouiller avant de lui tapoter les joues pour la réveiller (ce qui était parfaitement inutile) alors Amelia usa de ses meilleurs talents d'actrice pour prétendre se réveiller en étant désorientée, même si, dans les faits, elle était seulement désorientée, pas en train de revenir à elle.
Il y avait de quoi être surpris, en effet. April et elle étaient entourées de femmes qui parlaient de texto et utilisaient les vrais prénoms des deux femmes. Mais comme April avait le droit de se relever et que les femmes prétendaient ne pas leur vouloir de mal, Amelia jugea pouvoir se lever elle aussi et fit de même, bien contente de pouvoir détendre ses membres engourdis et son dos endolori par le trajet en charrette.
Bon sang ce que ça faisait du bien ! Amelia manqua de le faire remarquer quand April l'entraina à l'écart pour discuter de tout ça. Tout comme elle, elle redoutait les prochaines "surprises" de cette aventure. Elle avait bien envie de rentrer, de retrouver la fête de Hadès, même si rien de normal ne se produisait jamais à proximité de lui.
- Peut-être que Hades a fait quelque chose - même si c'était involontaire, fit observer Amelia. C'est quand même un dieu. Peut-être qu'il a le pouvoir de voyager dans le temps en ouvrant des fenêtres vers le passé ou l'avenir et que les ballons... Non oublie en fait, c'est débile. Comment des ballons pourraient nous faire voyager dans le passé ?
L'ancienne lionne secoua la tête comme si cela allait aider à chasser son idée grotesque.
- Cela dit elles ont parlé de textos et ça n'existe pas à Salem en 1600 je sais pas combien. Donc elles viennent de notre temps, non ? Elle connait ton prénom quand même... Ouh attends, j'ai une idée ! s'écria la jeune femme avant de retourner vers le cercle de femmes qui les avait... qui les avait, c'est tout.
Amelia ne savait pas si c'était vraiment un sauvetage. Elle se racla la gorge pour attirer leur attention et lorsque la femme qui avait discuté avec April croisa son regard, elle demanda :
- Dites... vous connaissez ma sœur mais du coup, vous me connaissez aussi ?
- Bien sûr, Amelia, répondit cette dernière. Toi aussi tu es en sécurité.
- OK... c'est ce que je pensais, conclut la pâtissière en retournant vers sa sœur qui n'avait que pu entendre leur échange. Peut-être qu'on doit leur faire confiance ? Tu décides, c'est toi l'ainée, t'es plus intelligente que moi, tu te méfies quand il faut se méfier, moi je fais toujours confiance à tout le monde. Vaut mieux que ce soit toi qui sois en charge de notre survie parce que j'ai pas envie de mourir ici. Si on meurt dans le passé, même si on va au paradis, on devra attendre des siècles avant de retrouver nos proches dans l'au-delà et je suis sûre que des siècles c'est très long, affirma la jeune femme avec tout le sérieux du monde.

Là ça devenait vraiment chelou. Suffisamment pour qu'Amelia se mette à penser en empruntant le vocabulaire de son fils Declan. Elle aurait presque eu envie de dire à sa voisine d'église que ce n'était pas Phoebe / elle-même qu'elle devait consulter pour les problèmes liés à son fils mais l'une des femmes de ce couvent. Avec sa connaissance aussi précise de l'avenir, elle ferait un malheur.
Evidemment, ce n'était absolument pas le moment de le faire remarquer. Déjà parce qu'Amelia ne connaissait pas le nom de la femme de l'église mais aussi parce que le danger imminent se devait de rester leur priorité.
Amelia suivit donc April avec obéissance, bien contente qu'elle se soit portée volontaire pour prendre les décisions. Ca c'était une vraie reine ! Ils avaient bien fait de l'éli... April n'avait vraiment été élue, en fait, mais les choses avaient été bien faites quand même que ce soit elle qui soit reine et pas Amelia. Il fallait quelqu'un capable de garder la tête froide et de ne pas s'éparpiller pour gérer ce genre de situation et Amelia n'estimait pas être la femme de la situation.
Pour imiter April, elle tâcha cependant de trouver un bout de bois capable de causer quelques dégâts sans tuer et le serrant profondément entre les doigts de sa main libre. La pâtissière se rappelait avoir un jour assommé un méchant avec un coup de pelle à tartes bien placé, alors un bout de bois pouvait sans doute faire l'affaire, non ?
Il l'aurait assurément pu s'il ne s'était pas transformé comme par magie en un ballon comme, comme ceux qui étaient tombés du plafond après le discours du maire. Coïncidence ? Il se passait déjà trop de choses étranges pour qu'Amelia croit en cette thèse. Elle préférait y voir un signe que leur retour en ville était proche, les ballons gonflables n'appartenant pas à cette époque (en tout cas d'après ce qu'elle savait de l'Histoire).
Amelia était prête à croire que l'homme qui avait remplacé les bâtons par des ballons étaient leur allié mais son immense sourire malsain finit par l'en dissuader. Non, il n'était définitivement pas un ami, même si grâce à lui April et Amelia semblaient en mesure de rentrer chez elle.
Il fallut d'ailleurs quelques instants à cette dernière pour réaliser que c'était elle que son aînée appelait un génie. La jeune femme sentit alors ses joues rosirent de plaisir. Ce n'était pas souvent qu'on lui lançait pareil compliment et un tel compliment de la bouche de sa sœur lui faisait deux fois plus plaisir.
- Je... Oui, on file, finit par acquiescer la jeune femme en imitant April, ses joues roses d'un plaisir malvenu suffisant sans doute pour indiquer le plaisir que lui procurait ce compliment.
Amelia tenait son ballon de toutes ses forces, comme si sa vie en dépendait et, d'une certaine façon, c'était bel et bien le cas.
Evidemment, l'homme au grand sourire les poursuivait, prenant un plaisir sadique à toute cette situation.
- Mais ne courrez pas, je n'arrive pas à viser quand on court ! criait-il derrière elle, donnant à Amelia encore davantage de force et d'endurance pour redoubler d'efforts, elle qui n'était pourtant pas spécialement sportive.
Elle et April courraient droit devant elles et tel était le plan pour le moment. Ce n'était pas un plan parfait mais du moment que les ballons n'explosaient pas, pour le moment, c'était suffisant. Encore aurait-il fallu qu'Amelia ne cherche pas sans cesse à regarder par-dessus son épaule pour s'assurer d'une distance raisonnable entre elles et l'homme. A trop regarder derrière elle, la pâtissière oublia de regarder devant elle et trébucha sur une grosse racine en lâchant la main d'April sous l'effet de la surprise mais aussi pour ne pas l'entrainer avec elle.
La jeune femme se maudissait d'être aussi maladroite et essayait de se relever rapidement - ce qui était loin d'être évident dans cette tenue d'époque - et reprendre leur course effrénée (April s'étant stoppée net en sentant la main d'Amelia lâcher la sienne) quand elle aperçut sur sa gauche une porte qui trônait là tout seule, sans être rattachée à rien du tout mais au-dessus de laquelle un néon rouge indiquait : Par ici la sortie.
Amelia papillonna des yeux quelques instants, le temps que l'information ne monte à son cerveau puis s'écria :
- APRIL C'EST PAR ICI LA SORTIE ! C'EST ECRIT !
Et sans attendre leur reste ou que l'homme à la sarbacane ne les rattrapa, les deux sœurs franchirent la porte...

... L'instant d'après, April et Amelia étaient de retour dans la salle des fêtes de la mairie, entourées d'habitants de la ville et de certains policiers. Amelia reconnut Anastasia Romanov et son air particulièrement blasé qui prenait une déposition un peu plus loin. Elle vit aussi Honey Lemon en compagnie d'un homme afro-américain de près de deux mètres, elle semblant ravie de ce qu'elle venait de vivre, lui beaucoup moins.
Amelia baissa les yeux et s'aperçut qu'elle avait retrouvé sa belle robe rouge achetée spécialement pour la soirée. Ouf, songea la jeune femme. Elle aurait eu de la peine si, à peine achetée, elle avait déjà disparue.
- Je pensais pas être si contente de voir autant de policiers en service à la fête mais en fait, si, je le suis ! Ca fait du bien d'être rentré ! s'écria la jeune femme avec soulagement.
Apercevant Violette Parr à quelques pas d'elles, Amelia s'excusa auprès d'April et fendit la foule pour la saluer et, peut-être, comprendre un peu mieux ce qu'elle venait de vivre.
- Je suis partie en 1692, en pleine chasse aux sorcières. Je sais pas trop pourquoi cette période d'ailleurs... et toi ? Tout va comme tu veux ?
- Mise à part que je failli devenir Jeanne D'Arc et brûler vive, ça va. Le plus important c'est de s'en être sortie en vie.
- Tu as raison, au moins on est revenu ! Mais du coup... tu étais au Moyen Âge ou Jeanne d'Arc c'était seulement une image ? voulut quand même savoir la nouvelle secrétaire de la mairie.
- Non c'était une image. J'étais en France, à Paris. Je n'ai pas retenu la date, désolée. Mais c'était pendant l'incendie du Bazar de la Charité. Et évidemment, qui était dedans ? Bibi ! s'exaspéra Violette en désignant le haut de sa poitrine avec son index.
- Je suis contente de voir que tu t'en aies sortie et j'espère que tu n'étais pas toute seule dans cette aventure. J'étais avec ma grande sœur qui gère très bien les problèmes, alors ça allait... Du coup, c'était... pas du tout prévu par Hadès tout ça, si ? Je crois pas avoir eu de mémo ou d'email qui parlait d'une surprise ou quoi que ce soit, juste... une fête. Tu en sais plus ?
Bien sûr, Amelia était allée voir Violette, qu'elle appréciait énormément et qui avait eu une année difficile, pour s'assurer que la jeune fille allait bien. Mais elle n'était pas mécontente que sa collègue puisse lui fournir des informations supplémentaires si, en tant que petite nouvelle, elle ne les avait pas toutes. On appelait ça faire d'une pierre deux coups et Amelia ne voyait pas en quoi c'était mal.
- Avec Meredith ! répondit d'abord Violette qui n'avait donc, heureusement pas été seule dans cette histoire. En tout cas je suis ravie de voir que vous vous en êtes bien sorties aussi. La période de la chasse aux sorcières ne devait pas être amusante !
Amelia opina, songeant qu'elle avait besoin d'un verre pour s'en remettre. Du ponch, sans doute.
Quant à Violette, elle réfléchit quelques instants en se tenant le menton avant de reprendre :
- Soit c'était pas du tout prévu, soit c'est Hadès qui a voulu jouer un mauvais tour à tous les invités. Il faudrait qu'on aille lui demander. En tout cas c'était une très mauvaise blague et je sens que ça va retomber sur la Mairie tout ça...
- Oui je pense aussi..., déplora Amelia.
Elle prit ensuite congé de son amie et collègue et retourna auprès d'April ainsi que ses autres sœurs, guettant Hadès mais elle ne le revit pas de la soirée. D'ailleurs, Amelia ne s'attarda pas, estimant qu'elle méritait de se reposer après une soirée pareille.
Une fois chez elle, la pâtissière se mit directement au lit dormit comme un loir, préférant ne pas penser aux plaintes que la mairie recevrait inévitablement vis-à-vis de cette drôle de soirée.
Le lendemain, elle vérifia dès son réveil qu'elle était encore à la bonne époque, puis fit passer le café pendant qu'elle cherchait le journal.
Amelia ne fut pas surprise de constater que la soirée faisait les gros titres : Evénement spectaculaire à la Mairie. Un inconnu fait voyager les participants dans le Temps ! Donc ça n'était pas prévu, ni par Hadès, ni par personne, raisonna la jeune femme, persuadée que cette information ne suffirait pas aux habitants pour éviter de contacter la mairie.
Et c'était très bien comme ça ! Les concitoyens d'Amelia avaient le droit, sinon le devoir, d'exprimer leur avis. La mairie était là pour ça, précisément. Peu importait à la pâtissière si ses journées étaient longues, elle souhaitait que son rôle de secrétaire fasse la différence. Elle voulait aider la ville, la rendre meilleure. Et si cela passait notamment par l'achat de post-its de couleur pour Hadès, elle le ferait volontiers !
Plus tard dans la journée, Amelia alluma la télévision pour écouter l'allocution du maire.
- On ignore encore qui est derrière tout ça, mais on a mis tout en œuvre pour que le problème soit résolu au plus vite. C'est pour cela qu'on a pris la décision d'interdire les ballons rouges en ville. Si vous en voyez un, prévenez immédiatement le poste de police. N'agissez pas seuls, recommandait-il en face caméra.
Amelia tiqua, trouvant la mesure absurde et se promettant de le faire remarquer quand elle passerait à la mairie. D'autant plus qu'alors qu'Hadès finissait sa déclaration, la caméra zoomait sur une fillette et son ballon rouge, plaquée au sol par les forces spéciales qui déchargèrent toutes leurs munitions sur le ballon rouge. Un bandeau s'afficha alors en bas de l'écran : Numéro Vert : 007. N'hésitez pas à appeler, on agit. Soyez vigilant.
Amelia tiqua également sur le numéro qui n'était pas sans lui rappeler la saga James Bond que son mari affectionnait tellement. Préférant ne pas y penser, elle éteignit la télévision et laissa un post-it sur le frigo à l'intention de ses enfants pour les prévenir de ne pas toucher aux ballons rouges. Même si c'était absurde, elle ne voulait pas que le SWAT s'en prennent à eux par mesure de précaution.
La pâtissière attrapa ensuite ses affaires pour se rendre à sa boutique et la faire tourner, se demandant si les clients, qui étaient forcément au courant de sa nomination, lui demanderaient de rendre des comptes. C'était probable, conclut-elle une fois derrière son volant. Et c'était sans doute un risque à prendre en acceptant le poste proposé par Hadès.
Il était fort possible que beaucoup de personnes aient vécu de mauvaises expériences la nuit dernière. April et Amelia n'en étaient pas passées loin. Malgré tout, la jeune femme avait le sentiment de garder un globalement bon souvenir de ce moment. Et c'est le sourire aux lèvres qu'avant de tourner le contact dans sa Twingo rouge, elle envoya un sms à son aînée disant :
- N'hésite pas à redire que je suis un génie, je crois que j'aime bien. :) xoxoxo