« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver.
Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve
sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)

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 Dans l'oeil de l'orage (Erwin & Alexis)

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Erwin Dorian
« If the crown should fit, then how can I refuse? »

Erwin Dorian

| Avatar : Rufus Sewell

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- Pour ma victoire? C'est adorable, trésor... Même si en toute modestie, je dois admettre, qu'au-delà de cela, je suis un prestigieux modèle pour mes concitoyens"
(Alexis pense-t-elle qu'il est parti trop loin? Sûrement! On approuve)

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| Conte : Coeur de Princesse/Le Prince et le Pauvre
| Dans le monde des contes, je suis : : Preminger

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Dans l'oeil de l'orage (Erwin & Alexis)  _



________________________________________ 2021-06-02, 23:50 « If the crown should fit, then how can I refuse? »




« Des nuages de l'Erreur s'amoncellera plus tard l'orage de la passion. »



Sa voiture garée sagement, un peu plus à l’écart que le troupeau automobile ordinaire de la pauvreté, Erwin en verrouilla les portes, non sans jeter un dernier regard à la portière qui lui renvoyait son lumineux reflet. Il se sourit à lui-même puis pivota dramatiquement pour entreprendre la remontée du parking qui amenait jusqu’à l’édifice long et d’un moderne dénué de chic qui englobait l’horizon. Les lettres noires incrustées dans la façade annonçaient « CENTRE HOSPITALIER DE STORYBROOKE » et leur vision lui arracha une moue contrariée. Le notaire fréquentait rarement ces lieux. Il possédait une excellente santé physique et psychologique et il était logique qu’il en soit ainsi puisque toute sa personne incarnait l’excellence… Malgré cela, il ne parvenait guère à s’empêcher de ressentir un léger malaise face à l’incarnation même de la souffrance. Cela s’expliquait par l’époque dont il était issu qui cultivait un vide colossal et atterrant de médecine rudimentaire et les épidémies en foison et mortelles qui couraient par delà les contrées, emportant et défigurant leurs victimes. Si ces dernières avaient, depuis, quasiment disparu de la surface de la Terre, leurs spectres dansaient encore dans les yeux que ceux qui les avaient craints et vues. A fréquenter ou frôler la misère humaine ne serait-ce que pour une occasion radicalement différente à la perspective de la mort, il ne souhaitait pas que l’ombre de la maladie n’en profite pour tenter de se saisir du si plaisant morceau qu’il devait représenter à ses yeux… De toute manière, hors de question de s’éterniser là. Après tout… cela devait nécessiter quoi ? Cinq minutes tout au plus ? Le temps d’apposer l’appareil, d’observer la chose à la caméra et l’affaire se retrouvait réglée… De toute manière, le suspense n’existait pas réellement dans son esprit, il n’était question que d’une vérification.
Midas avait fait part de ses réserves quant à sa présence dans les lieux mais il l’avait détrompé assez rapidement. Il y avait réfléchi, suffisamment pour être persuadé qu’il s’agissait de la meilleure des choses à faire. Il devait y être. Aussi désagréable que cette situation paraissait à ses yeux, il devait y être. S’il avait laissé Alexis assister à la première, celle-ci revêtait un caractère bien plus décisif qui outrepassait les sentiments et l’émotion qu’une naissance était censée apporter et nécessitait sa présence. Attendre le verdict un téléphone à la main l’aurait rendu affreusement dépendant de cette nouvelle. En s’y trouvant, il la vivrait pleinement. Midas avait fini par se rendre à son avis. Le chien restait profondément affecté encore par le manquement qu’il avait commis à son égard et Preminger savait qu’il veillait de son mieux à se conduire de la manière la plus irréprochable au possible jusqu’à la naissance pour que cette « trahison » ne soit plus qu’un « vilain souvenir désagréable ». En réalité, sa rancune à l’égard de son caniche était bien diaphane et s’était bornée à une crise de colère cette fameuse terrible journée portant surtout sur l’irrémédiable bêtise qui avait conduit l’ancien canidé à lui dissimuler ses soupçons, en le privant ainsi d’une marge de manœuvre qui l’aurait peut-être amené à devoir éviter de se trouver séant à présent. Mais qu’à cela ne tienne, le jeu avait bougé et les choses se trouvaient différentes… Puis qu’il ait encore la conviction profonde qu’il valait mieux que cet enfant n’entre pas dans leur vie ou surtout dans la sienne et la liaison qu’il avait installé avec la libraire, force était de constater qu’il n’avait rien fait non plus pour s’y opposer. Il disposait de moyens moins directs et beaucoup plus irrémédiables pour le faire mais il n’avait pas considéré cette éventualité avec beaucoup de sérieux. A sa manière, il acceptait la chose. Aussi surprenant que cela pouvait paraître. Comme un pacte vivant. Concept quelque peu effrayant mais malgré tout réel.
Arrivé sur le perron de l’hôpital, il s’arrêta soudainement, pivotant sur ses talons pour jauger les rangées hasardeuses des voitures pour y guetter celle de sa maîtresse sans succès. Renonçant à offrir une brève seconde de son Temps à cette observation des plus hasardeuse, il les délaissa pour lever le menton, offrant avec plaisir son visage à lumière chaude et enveloppante du soleil. Le mois offrait une température des plus savoureuses, dénuée de tout vent traître. Les météorologues annonçaient une semaine des plus agréable propice aux garden party de la haute société, comme il l’avait remarqué à Georgia ce matin encore, assez heureux de la perspective de la reprise des soirées mondaines.. Il rouvrit les yeux, replaçant ses cheveux soigneusement sur sa nuque, par pure coquetterie et non besoin, sans pour autant prendre la peine de redescende le visage. Ses yeux dorés un bref instant contemplèrent le Soleil avec une malice familière pour mieux se déposer sur l’horizon, pensivement. Quiconque l’aurait aperçu de loin, l’aurait ainsi trouvé, nimbé dans son apparente lumière, se gorgeant des rayons pour mieux les emprisonner. Son costume d’un brun presque fauve semblait s’en colorer davantage. Il paraissait attendre et pourtant ne rester semblable qu’à une apparition altière.
Il entendit néanmoins vrombir un petit moteur qui suffit à le tirer de sa rêverie orgueilleuse pour que ses paupières aux aguêts ne survolent le couple qui avançait vers lui, une main dans celle de leur enfant, puis se fixer sur le véhicule qui effectuait sa marche arrière. De sa place, il reconnut au-delà de la voiture, le profil concentré d’Alexis puis la vit bientôt s’en extraire, pour marcher vivement vers lui, non sans avoir récupéré quelques documents administratifs qu’elle tenait en main. Il ne leva pas la main pour la saluer, cela aurait été fort curieux de sa part… A l’inverse, se contenta-t-il de l’observer le rejoindre, s’autorisant à lui sourire lentement lorsqu’elle se présenta soudain face à lui.

- « Bonjour ma chère… ! »

Sa main s’empara de sa main valide de la jeune femme déposant un léger baise-main sur le dos de celle-ci avant de lui rendre rapidement sa liberté. Il avait gardé une distance des plus réglementaires entre eux outre ce petit passe-droit à toute prudence et jaugea la jeune femme, les yeux quelque peu plissés par la luminosité. L’échéance qui motivait sa présence en ces lieux lui sauta à la figure et pourtant il ne l’oubliait jamais… Malgré tout, cette situation, cette Erreur, cet enfant parvenait à se rappeler subitement plus encore qu’une seconde précédente à sa mémoire, enveloppant son esprit dans une prise de conscience exiguë… Aujourd’hui était le premier des Jours. Le premier qui confirmerait ou non l’écriture d’un Futur… Et Preminger s’en révélait particulièrement avide. Il attendait, tournant et retournant l’échéance dans son esprit, sachant pertinemment ce qu’il en serait. Cela ne pouvait être que cela. Tout possédait un sens, une ironie du sort qui s’était inscrite jusqu’à dans leurs chairs en l’espace d’une journée. Un bond dans le Futur pour causer ce dernier. Cette vision avait changée des choses, énormément et il lui venait parfois de se questionner sur la cause qui avait transformé un simple laser-game en une projection de nombre d’entre eux dans un Futur potentiel…. Seul Chronos détenait la réponse. Et il ne lui semblait pas qu’Alexis lui ait posé la question…
- « Comment te sens-tu ? » demanda-t-il en penchant la tête sur le côté « C’est le grand Jour! Qu'en et Qui sera-t-il? »

Il désigna d’un geste évanescent l’endroit où se dissimulait encore l’Erreur à sa vue, sans pour autant y attarder ses yeux. « A vrai dire, cela commence à se voir de plus en plus ». Le secret de la grossesse d’Alexis n’était plus ou du moins, l’évidence sauterait bientôt aux yeux des âmes pures qui n’avaient rien remarqué. Il fallait dire...qu’elle ne cherchait pour ainsi dire pas réellement à le dissimuler non plus, au regard des tissus et des robes et ensembles choisis. Et il savait très bien que le choix des vêtements et des coupes n’étaient pas le fruit du hasard. Il s’en moquait un peu et la laissait vivre sa grossesse comme bon lui semblait, tant que la beauté vestimentaire restait de rigueur. C’était son moment à elle, quelque chose qu’il n’enviait pas mais qui semblait compter énormément pour elle. Alors, la laissait-il profiter sans mot dire à ce sujet, l’observant constituer et préparer cette arrivée avec une tendresse attentive.
Il se satisfaisait néanmoins que la jeune femme parvienne malgré cet état à mettre ou du moins à essayer de ne pas orienter en permanence le sujet de conversation sur cet enfant. Pour ainsi dire, l’orgueil de l’ancien ministre s’en trouvait flatté et se congratulait d’éclipser aisément l’Erreur par sa simple présence.
Et au-delà de cela, la jeune femme ne risquait de pas de s’ennuyer… Devenir propriétaire était une chose particulière, dans un investissement aussi colossal, les travaux ne manquaient pas si la jeune libraire tenait absolument à transformer dès aujourd'hui ce petit lieux en son petit coin de paradis personnel. Elle tentait de suivre le rythme, sans réellement se reposer sur sa situation de femme enceinte, s’investissant dans ses projets avec une obstination qu’il lui connaissait déjà. Elle possédait cette propension à foncer, se donner franchement avec abnégation, jusqu’à un épuisement certain parfois…
Il tourna un peu le buste vers l’entrée, inclinant la tête pour l’inciter à franchir les portes.

- « Y allons-nous ? »

Il ne fallait pas trop traîner au risque de se rendre en retard… Hors de question de reporter le rendez-vous, il n’avait pas annulé les siens pour se déplacer inutilement, il voulait sa réponse et il l’aurait.
Ils pénètrent dans le hall d’entrée principal de l’hôpital, sorte de grand espace principal large tapissé de murs blancs et crèmes où seuls quelques patients vêtus de simples pyjamas marchaient individuellement. Un peu plus loin, l’accueil principal regroupait quelques clients déphasés. Il fronça le nez discrètement puis tourna son attention sur Alexis, lui glissant à voix basse :

- « Je te laisse nous guider, trésor, je crois que tu es déjà venue... »

La discrétion nécessaire dans ces lieux qui faisait régner dans l’établissement un silence profond permettait les échanges à voix basse, peu perceptibles aux oreilles d’autrui. Au moins gardaient-ils une certaine connivence cachée qui rendait cette petite balade un peu plus palpitante qu’ordinairement. Oh évidement, il ne comptait pas jouer de manière bien plus dangereuse avec le feu. Sa présence bien que justifiable juridiquement, se révélait déjà particulière, aux yeux du commun, Erwin ne comptait pas non plus surenchérir. Aussi, maintenait-il une distance des plus respectables entre la jeune femme, une ligne de proximité qu’il ne franchirait pas.
Il jetait parfois quelques coups d’œil affûtés à sa brune maîtresse au détours des couloirs , dévisageant son visage droit, y décelant une légère tension qu’il comprenait sans peine, au fur et à mesure que leur destination approchait.
Ils s’arrêtèrent bientôt devant une enseigne désignant une porte et un panneau invitant les patients à patienter en salle d’attente. Plus loin, une secrétaire médicale semblait recenser les arrivées, pianotant sur le clavier de son ordinateur à une vitesse considérable :

- « Je vais en salle d’attente m’occuper des places, je te laisse t’annoncer si tu veux. » lui proposa-t-il en penchant la tête pour le lui murmurer à l’oreille infusant son parfum dans l'environnement proche de la jeune femme.

Après un sourire d’encouragement à peine esquissé sur les lèvres, il poussa la porte de la salle d’attente s’éclipsant promptement pour mieux se soustraire à l’attention de la secrétaire. Si une telle attitude ne convenait pas à la vanité altière du notaire- qui hurlait d’envie de se pavaner à énoncer son nom- elle se révélait aux yeux de l’ancien ministre nécessaire à la préservation au mieux de son anonymat au mieux du rôle factice qu’il endossait. Le père de cet enfant se serait annoncé avec Alexis, c’était l’attitude logique que l’on attendait de ces hommes prêts à revêtir le statut auprès de leur enfant à naître, une simple connaissance, un simple ami en revanche se serait reculé, par pudeur, laissant la future jeune mère annoncer sa présence sans souligner l’attention sur sa personne. Un ami ne venait que par fonction de pur soutien, il ne recherchait pas l’attention, il en donnait… Alors, il convenait de contenir l’aspect le plus flamboyant de sa personne…
La pièce qu’il pensait trouver vide comprenait déjà deux couples. L’un ignorant son entrée continuait de s’extasier sur le ventre volumineux de la future mère lui arrachant une moue instinctive qu’il contrôla, l’autre couple releva la tête, lui adressant un timide bonjour.

- « Bonjour à vous également » répliqua-t-il d’une voix onctueuse à leur encontre, non sans gratifier le précédent couple d’un nouveau coup d’oeil sec.

Il possédait une mémoire conséquente des visages et pouvait affirmer qu’aucun ne constituait sa clientèle. Trop jeunes et trop pauvres pour acquérir, sans le moindre doute. Il choisit néanmoins deux sièges non éloignés d’eux mais qui possédaient l’avantage de se trouver dans un angle que leurs yeux ne pouvaient appréhender sans tourner la tête franchement vers lui. A la différence des places les plus éloignées qui n’auraient pas manqué de se trouver dans leur champ de vision. Le plus tranquillement du monde, il croisa les jambes et entreprit de pianoter d’un air indifférent sur son téléphone jusqu’à ce que la porte de la salle d’attente ne s’ouvre à nouveau. Il releva les yeux de son occupation, lui désignant du regard la place vide à sa droite à la jeune femme et la laissa s’asseoir sans manifester la moindre attention particulière à son arrivée. Ce ne fut que lorsqu’elle fut assise qu’il tourna la tête vers elle :

- « Alors, tout est en règle ? Les papiers aussi ? » interrogea-t-il à voix basse du ton le plus professionnel qu’il possédait.
Puis croisant les jambes, il se pencha vers l’avant pour contempler les documents qu’elle portait encore dans ses mains « Hum… Je pense qu’effectivement, il y a lieu de présenter ça. En revanche, cela, je ne pense pas... »

Pointant sa main droite sur le papier, sur une ligne d’écriture qu’il ne prit même pas la peine de lire, il en profita pour effleurer légèrement de son index gauche la main gauche de la jeune femme. Au regard de leur position, l’acte était invisible et le moindre intérêt subit à leur attention des autres couples lui aurait permis de le cesser à la seconde pour réadopter une posture des plus conventionnelle. Qu’auraient-ils vu sinon un individu désignant quelques documents afin d’aider une de ses amies visiblement désorientée ? Rien d’autre. Il pouvait prendre le risque… L’attitude d’Alexis le réclamait malgré tout.

- « Il faudra nous arrêter quelque part, au minimum pour prendre un café et manger quelque chose une fois l’examen fini, tu es à jeun ce matin n’est-ce pas ? » Il demandait une chose qu’il savait pertinemment pour lui transmettre l’invitation qui s’y cachait. Son contact n’avait pas cessé et il avait tourné son visage pleinement jusqu’à son visage pour fondre ses yeux dans les siens « Le résultat est important mais il sera bon, quel qu’il soit, n’aie crainte… Ce qui doit advenir, advient toujours.» murmura-t-il sans ciller de sa voix plus douce.

Il ignorait si elle en mesurait l’impact mais il la ressentait on ne pouvait plus angoissée de ce qui serait annoncé, bien qu’elle tâchait de le dissimuler à ses yeux scrutateurs. Sans doute craignait-elle de le voir pâlir voir se muer en un esclandre vivant et haineux au prononcé du sexe de l’Erreur… Que nenni. Il l’attendait bien plus qu’elle en définitive, avec une impatience où se mêlait dégoût et frénésie, qu’on lui annonce SA misérable petite arrivée… Un pas supplémentaire dans sa Destinée… Et pour elle, la beauté de se voir confirmer la faisabilité d’un Futur féerique digne des plus beaux contes de fée. Et comment en aurait-il pu en être autrement puisqu’il s’agissait de se tenir à ses côtés ?
Pesant de son poignet droit sur le bras de la jeune femme comme pour l’inciter à abaisser les documents à niveau de son genou, il en profita pour déposer l’autre sur le haut de son genou.
Ce n’était que très peu mais elle saurait en apprécier le sens, comme la seule impulsion d’encouragement dont il disposait ici à visage découvert. Une brève étreinte cachée et sage mais qu’il voulait comme un point d’ancrage à la situation qu’ils étaient prêts à vivre tous deux…

- « Mademoiselle Alexis Child ? » la voix claire de la médecin s’était élevée dans la pièce, tandis que la porte du cabinet s’ouvrait dans le même trait de temps découvrant le visage rond et aimable de sa propriétaire.

A la première seconde, il avait retiré sa main, prestement, empêchant de l’autre la moindre chute de documents administratifs provoqué par l’arrivée surprise de la médecin. Il lui adressa un signe de tête cordial et dépassionné, laissant la libraire se lever en premier pour se diriger vers le docteur. Seulement alors fit-il de même, ajoutant à son allure somptueuse une dose factice de modestie malhabile et honnête, pour mieux demander :

- « Cela vous dérange-t-il si j’assiste à l’examen, Docteur ? Comme cela vous arrange, bien évidement... » Levant les bras légèrement comme pour souligner son impuissance, il fit néanmoins deux pas dans le cabinet même discrètement, puis laissa son regard se planter dans ceux de la médecin, accentuant le sourire cordial que revêtaient ses lèvres tout en « Mais Mademoiselle préférerait… Je peux la comprendre, après tout, c’est une étape importante, une présence parfois est rassurante. Comment refuser cela ? »

Sans se départir de son sourire, sentant la bataille gagnée d’avance avant même d’avoir commencée…il entra tout pleinement dans le lieu…
Cette petite pièce exiguë bourrée de matériels médicaux où se révélerait l'Avenir.

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Alexis E. Child
« Allez dans la Lumière.
C'est au détour d'une Ombre
que nous attends le Mal. »


Alexis E. Child

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Tu es comme tu es... mais malgré les erreurs, tu me rends parfois la vie de maman célibataire plus douce...


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Edition Octobre-Novembre 2020

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Dans l'oeil de l'orage (Erwin & Alexis)  _



________________________________________ 2021-06-03, 23:32 « Allez dans la Lumière. C'est au détour d'une Ombre que nous attends le Mal. »




Dans l'œil de l'Orage


C’était une belle journée. Pas un seul nuage dans le ciel, le temps était bon. Les oiseaux avaient largement pris leur place à Storybrooke, sifflotant gaiement le Printemps qui était désormais bien installé et qui glissait lentement vers l’été. 7 Juin 2021. C’était la dernière journée de mes 27 ans et elle était d’une importance capitale. Si ce genre de météo avait l’habitude de m’énergiser, de me faire croire en la vie et l’avenir, je devais bien avouer qu’aujourd’hui pourtant, le temps n’avait aucun impact sur moi. Est-ce que j’étais stressée ? J’aurai plutôt dit terrorisée. Buvant tranquillement ma tisane dans ma véranda, j’observais le grand jardin de la maison dans laquelle j’avais emménagé quelques jours plus tôt. Il restait beaucoup à faire et j’avais encore un peu de mal à m’adapter à tout cet espace, mais j’appréciais sincèrement le lieu où je prenais mon petit déjeuner tous les matins. Assise en tailleur sur le canapé en osier, j’avais alors senti un petit coup porté sur mon ventre. Riant de cet effet, j’avais posé ma main avec douceur sur la paroi rebondie en précisant tendrement :

— Salut toi, je t’ai réveillé ? C’est le grand jour...

Je continuais à lire mes livres sur la grossesse et j’avais appris que lors du 5e mois, bébé avait tendance à profiter du maximum de la place qu’il avait pour faire bouger ses petits muscles. Je m’étais préparé mentalement au moment où je le sentirai la première fois, pourtant, je n’avais pas pu m’empêcher de fondre en larmes le jour où s’était arrivé, à la librairie. La cliente m’avait félicité, elle avait été même plutôt compréhensive face à ce que je ressentais et m’avait laisser pleurer de tout mon soûl jusqu’à ce que je laisse Danny s’occuper d’elle, beaucoup trop impliquée dans mon moment avec mon bébé. J’avais pourtant aussi craint l’étrangeté du moment, la douleur, la sensation d’avoir un alien dans le ventre mais rien de tout cela ne m’était venu en tête à cet instant précis. Ce n’était ni douloureux, ni étrange c’était juste... merveilleux. Bébé pouvait m’entendre aussi et entendre les sons, ce qui avait tendance à le réveiller très facilement. On m’encourageait à lui parler et à lui faire écouter un maximum de musique, ce que je faisais avec plaisir, déjà pour me sentir moins seule dans cette grande maison, ensuite parce qu’on rangeait toujours mieux en musique. Pour toute réponse à ma question, j’avais alors senti une petite bosse sous ma main qui m’avait émue instantanément.

Pour dissiper mes premières larmes, j’avais fini par me lever pour aller m’habiller, un chemisier violet léger qui allait parfaitement avec le printemps et une jupe de grossesse blanche accordéon qui m’arrivait aux chevilles. C’était tout de même le plus simple pour éviter de finir complétement nue tout en dégainant mon ventre à la gynécologue le plus rapidement possible. Quant à la couleur... Erwin avait décidé de venir avec moi, c’était ma façon de lui rendre aussi hommage. Après avoir rassemblé mes documents, avoir soufflé quelques minutes, j’avais pris la voiture pour me rendre à l’hôpital.

Erwin était déjà là. Je l’avais aperçu à l’entrée de l’hôpital, la tête levée vers le ciel, profitant sans doute des rayons du soleil. J’avais pris un instant pour constater que son costume lui allait bien et un sourire était né sur mes lèvres, me détendant légèrement l’espace d’un instant. Il était là... j’ignorai pourquoi cette vision me donnait brusquement une bouffée de joie supplémentaire, comme si je m’étais refusé d’y croire jusqu’au bout, de peur d’être déçue et pourtant, en cet instant, je me sentais soutenue, de la plus belle des façons, ce qui scellait aussi la promesse qu’il m’avait faite en se la faisant à lui-même : cet enfant ne grandirait pas sans lui.

— Bonjour...

Il avait pris ma main rapidement et je l’avais laissé faire, scrutant un instant les alentours pour me rendre compte, sans aucune surprise qu’il avait veillé à la même précaution. J’avais eu un sourire gêné et amusé à son baisemain. Puis j’avais hoché la tête d’un air courageux :

— ça va... j’ai envie de vomir. Ça m’était plus arrivé depuis un certain temps mais ça va passer. Quand... on aura au moins le début de réponses à ces questions.

J’avais tenté de sourire pour dédramatiser la situation sans grand succès avant de préciser, avec une profonde sincérité.

— Merci d’être là... c’est important pour moi.

Je n’avais pas bougé d’un pouce malgré mon envie dévorante de me rapprocher de lui, de me blottir ne serait-ce qu’une seconde dans ses bras et sentir une paix intérieure que je n’avais pas. Mais ce n’était pas prudent. Je m’étais alors contenté de le regarder dans les yeux en déglutissant avant d’entrer dans l’hôpital... et sentir une bouffée de tension m’assaillir de nouveau. Je sentais parfois son regard soucieux glisser sur mon visage. Sans doute sentait-il mon appréhension mais je me doutais qu’il n’en saisissait pas l’ampleur. Comme il me l’avait si souvent précisé, il n’avait pas la fibre paternelle, il ignorait ce que cela représentait pour moi. Bien sûr, il y avait déjà cette appréhension du sexe de l’enfant, ce qui scellerait notre futur à trois d’une façon sans aucun doute bien différente en fonction du résultat mais il y avait aussi tout le reste. La première fois, il n’était pas plus grand qu’une crevette, même moins et n’avait encore rien de semblable à humain. Un embryon tout du moins, une petite chose vivante dont on m’avait dit si peu de choses. Mais aujourd’hui, je le verrai, réellement, beaucoup plus précisément que je ne l’avais encore jamais vu. Si j’avais déjà fondu en larmes en entendant son petit cœur battre puissamment la première fois, j’appréhendais cette rencontre étrange encore plus définie que la précédente. C’était aussi là qu’apparaîtrait possiblement les premiers problèmes. Et s’il lui manquait un membre ? Et s’il n’était pas viable ? Et si... et si... je n’avais cessé de faire des cauchemars plus atroces les uns que les autres à l’approche de ce rendez-vous et c’était ici que beaucoup de choses se jouerait.

Je l’avais guidé plus machinalement que je ne l’aurai voulu à travers les couloirs et les étages, bien trop prise dans mes pensées. Et s’il lui manquait un pied ? Ou qu’il avait une queue ? J’avais lu quelque part que certains humains naissaient avec des queues... pourquoi je pensais à ça ? Est-ce que mon stress pouvait lui faire du mal ? Et si son cœur s’emballait par mon stress ?! Déjà qu’il battait plus vite que le mien...

— Je vais en salle d’attente m’occuper des places, je te laisse t’annoncer si tu veux.

J’avais pris une profonde inspiration pour me calmer, hochant la tête vigoureusement d’un air entendu pour qu’il comprenne que j’avais entendu mais que j’étais incapable de répondre. S’il y avait bien une chose que je détestais, c’était que les personnes me répétaient encore et encore leur évidence dans un moment pareil. J’avais juste besoin de silence, d’être seule un instant, pour me recentrer. Mais Erwin n’était pas comme ça. C’était quelque chose qui se révélait un redoutable avantage dans ce genre de situation. Quand j’étais sous pression à ce point, je n’arrivais plus supporter mon environnement, les gens de manière générale et les empathes avaient tendance à m’étouffer encore plus d’attention jusqu’à ce que j’explose, comme une cocotte-minute, ne comprenant pas que j’avais besoin de l’exact opposé. Mais Erwin n’était pas empathe ni grandement sensible à l’Autre. Ce qui pouvait être de l’égocentrisme mal placé dans bien des cas, était mon meilleur allié dans ces moments. Lui seul comprenait qu’il fallait juste me laisser de l’air. Et en parlant d’air. Je ne l’avais pas senti se rapprocher de moi lorsque j’avais inspiré pour me calmer mais je l’avais compris avec un léger sursaut en sentant son parfum envahir plus puissamment mes narines. Malgré lui, cela avait eu le don d’agir comme un anti-dépresseur et j’avais pris le temps de me fixer sur cette odeur quelques minutes. Je n’étais pas en panique... ce bébé allait parfaitement bien et nous étions ensemble... tout irait bien.

— Bonjour, Alexis Child. Je suis le rendez-vous de 10h30.

— Je vous laisse patienter en salle d’attente, le médecin viendra vous chercher.

J’étais donc entrée dans la salle d’attente, murmurant un bonjour timide à l’attention des deux couples qui étaient déjà installés. L’un des deux couples semblait fusionnelle. La femme devait entrer dans ses derniers mois de grossesse pour sa troisième échographie et son copain semblait vouloir se greffer au ventre d’une façon qui en était presque inquiétante. Ils avaient tourné vers moi un regard désolé que je commençais à connaitre plus que par cœur. Derrière l’empathie apparente, il y avait surtout un jugement non dissimulé “la pauuuuvre elle fait un bébé toute seule alors que nous, nous somme la famille du bonheur”. N’y prêtant aucune attention, j’avais continué ma route, passant devant le second couple, moins experts, pour qui cela devait-être la première écographie. Les deux tentèrent de m’observer discrètement mais je remarquais l’éclat curieux dans les yeux qui devaient les aider à définir qui était Erwin pour moi. Ne me laissant pas intimider pour autant, je m’étais assise là où il me l’avait montré, croisant mes jambes tant que je le pouvais encore, mes papiers à la main. J’avais relevé les papiers en tournant vers lui un regard concentré pour correspondre à son ton professionnel, ce qui finit par dissuader les curieux que nous pouvions être en couple. J’avais presque envie de leur préciser qu’il était nécessaire pour moi d’avoir mon notaire avec moi le jour de l’échographie pour directement coucher le sexe de l’enfant sur le testament au cas où je venais à mourir en couche. Le genre d’humour noir qui m’aurait grandement détendu, dédramatisant toute la situation mais auquel je n’avais pas le droit sous peine de choquer l’assemblée.

— Tout est en règle, oui...

J’avais alors senti son doigt effleurer ma main et j’avais dû utiliser toute la concentration du monde pour ne pas réagir du tout. Son contact me faisait un bien fou. J’avais envie de fermer les yeux, d’expirer profondément mais cela n’était pas du tout adapté à la situation qu’il était en train de dépeindre aux autres. J’avais aussi envie d’éclat de rire, complice, face à toute cette mascarade que nous devions mettre en place et qui m’amusait tout de même... le goût de l’interdit avait toujours un petit goût épicé que j’appréciais grandement. Je mourrai envie aussi d’être plus proche de lui, de lui montrer par un retour de geste à quel point son soutien me faisait du bien et à quel point j’en avais besoin. Je n’avais que légèrement bougé mon poignet, caressant un instant à mon tour son doigt de l’intérieur de ma main.

— Il faudra nous arrêter quelque part, au minimum pour prendre un café et manger quelque chose une fois l’examen fini, tu es à jeun ce matin n’est-ce pas ?

La question m’avait surprise, un peu trop pour m’empêcher d’avoir une réaction mais je m’étais reprise très vite. Je n’avais eu qu’un léger sursaut et mes yeux s’étaient un instant agrandit sous le coup de la question. Je n’avais pas besoin d’être à jeun... et je ne l’étais pas... Mais j’avais rapidement compris par le regard qu’il avait plongé dans le mien que sa phrase était bien plus une invitation qu’autre chose. Quant à savoir s’il me pensait vraiment à jeun pour ce genre d’examen, je pouvais lui pardonner facilement si tel était le cas... il était loin d’avoir la fibre paternelle, c’était le moins qu’on pouvait dire.

— Oui... Je le suis. Je pense qu’effectivement ce ne sera pas de refu, je me sens un peu faible...

J'espérai qu’il comprenne le sous-entendu de ma phrase, plus proche de ma peur psychologique que d’une réelle faiblesse physique et comme pour y répondre, il avait tenté de me rassurer :

— Le résultat est important mais il sera bon, quel qu’il soit, n’aie crainte… Ce qui doit advenir, advient toujours.

Je devais bien avouer qu’il avait réussi à m’apaiser. J’avais hoché la tête à plusieurs reprises, comme pour lui spécifier mon accord, espérant de tout cœur qu’il le pensait réellement. Tant pour moi que pour lui. L'aimer malgré le handicap pour moi, l’accepter même s’il était un garçon... pour lui. Egoïstement pourtant, cette pensée ne parvenait pas encore à percer parfaitement dans mon esprit, bien trop concentrée sur le danger que ce petit être pouvait être pour lui-même.

— Mademoiselle Alexis Child ?

— Oui ?

J’avais relevé la tête prestement en décroisant mes jambes, tandis qu’Erwin retirait la main qu’il avait posé sur mon genou avec douceur pour m’apaiser un peu plus. Je m’étais alors levé d’un bond à la vue de ma gynécologue. A première vue, elle avait l’air d’une femme d’une grande expérience, légèrement rigide mais elle avait jusqu’alors su se montrer toujours extrêmement rassurante à mon encontre, même pendant le désastre avec Norbert et Hadès. Elle m’offrit alors un sourire rassurant en se décalant pour que je puisse sortir de la salle d’attente en première. Avant que je pusse ouvrir la bouche, Erwin s’était proposé dans la consultation et pour toute réponse, elle avait tourné la tête vers moi d’un air interrogateur.

— Euhm... oui, je préférerai qu’il vienne... Promis il se tiendra mieux que ceux de la dernière fois...

Je l’avais marmonné, un peu gênée et elle avait hoché la tête d’un air entendu en passant un instant sa main au niveau de mon dos pour m’inviter un peu plus à rejoindre son bureau. Comme la plupart des gens, elle devait sans aucun doute s’imaginer que j’étais une mère célibataire à qui la présence de ses amis la rassurait à chaque échographie. Erwin l’avait également vendu comme cela et je n’avais pas du tout voulu détromper cette supposition. Le plus gênant et le plus comique aussi, était sans aucun doute que celui qu’elle prenait pour un de mes amis qui me soutenait face à un futur père absent, était en réalité le père de ce bébé...

— Allez, on y va, Alexis ?

Après m’avoir posé quelques questions à son bureau sur ma santé générale, s’être enquit de savoir si j’avais bien pris tous les rendez-vous que je devais prendre comme celui avec l’anesthésiste ou les cours de préparation à l’accouchement, elle m’avait montré d’un signe de main le divan obstétrique avant de proposer à Erwin un tabouret à mes côtés. Pendant qu’elle mettait ses lunettes carrées, j’en avais profité pour relever mon chemisier et baisser ma jupe au maximum pour lui permettre la mise du gel.

— C’est le grand jour aujourd’hui, n'est-ce pas ? Avant que je ne commence, est-ce que vous souhaitez connaître le sexe de votre bébé ?

J’avais hésité un instant, n’osant pas regarder Erwin de peur de paraître suspecte. Déglutissant, j’avais hoché la tête avec un petit sourire peu rassuré.

— On se détends, tout va bien se passer. Attention, c’est froid.

Elle m’appliqua alors le gel et j’en avais profité pour tourner la tête avec Erwin, me plonger un instant dans ses yeux, rapprochant discrètement ma main de la sienne, posée sur le divan afin qu’elles se touchent. N’y tenant plus j’avais alors tourné la tête vers mon médecin :

— ça... ça vous ennui si je lui prends la main... je...

— Vous le faites comme vous le sentez, c’est plutôt à votre ami qu’il faut demander.

Elle l’observa par-dessus ses lunettes un instant avant de poser enfin la sonde sur mon ventre. Au même moment, ma main s’était refermée sur la sienne, fortement, avec une certaine tension. Un coup d’électricité assez violent nous avait alors percuté au contact de nos mains et j’avais retiré la mienne vivement avec un petit cri de surprise et de douleur.

— Désolée...

— Allez, on respire bien, on se détends et on regarde l’écran, c’est par ici que ça se passe.

Après un dernier regard d’excuse vers Erwin, j’avais repris sa main dans la mienne avant de tourner enfin la tête vers le petit monde qui grandissait en moi.

Tout était parfait. Absolument parfait. A mesure que l’examen se réalisait, je commençais à me détendre sincèrement, desserrant ma prise puissante sur la main du père pour quelque chose de plus doux, riant aux quelques boutades que le Docteur Rawling me lançait, laissant même échapper quelques larmes de soulagement. Son petit cœur allait bien, il se développait bien, il ne manquait pas un seul membre, il n’avait pas une tête en trop bref, il était PARFAIT sauf que...

— C’est un petit sportif ce bébé, il bouge beaucoup... Mais pas dans le bon sens, il refuse de se retourner...

— C’est grave ?!

— Non rien de grave mais... je ne vois pas le sexe dans cette position... Vous le sentez beaucoup en ce moment ?

— Oui... Surtout la nuit... Mais donc on voit rien ?

Je m’étais redressée un peu plus pour observer l’écran. Maintenant que j’étais sûre que mon enfant allait bien, savoir son sexe était devenu ma plus grande préoccupation et même si on était toujours préparé à l’idée de ne pas savoir à la seconde échographie, le cas de figure me semblait brusquement impossible à accepter. Une fille ou un garçon, ce qu’elle voulait mais qu’elle choisisse, qu’elle ne nous laisse pas comme ça !

— Ah... attendez, vous avez impulsé un mouvement, il bouge...

Elle avait alors déplacé la sonde tandis que je tentais de bouger un peu plus, priant tous les dieux pour qu’il se retourne vraiment et au bout d’un moment...

— Le voilà le petit filou... on ne peut moins équivoque... c’est un garçon.

— C’est...

— Un garçon, oui oui, je suis formelle. Vous voyez cette petite partie sur l’écran ? C’est son sexe.

Elle prit un instant pour m’expliquer le tout, la position du bébé, les parties que je devais voir. J’étais brusquement dans un état second, puissant, émouvant. Je voyais sa petite tête mieux que jamais, je pouvais presque voir son visage avec une telle précision que j’avais l’impression qu’il me suffisait de toucher l’écran pour le toucher. C’était d’ailleurs ce que j’avais fait, malgré moi, sans vraiment m’en rendre compte. Ce ne fut que lorsque mes doigts touchèrent l’objet et sa petite joue que je me rendis compte de ce que je faisais et que je retirais ma main brusquement.

— Oh, désolée.

— Ce n’est rien. Vous n’êtes pas la première à le faire et sûrement pas la dernière. C’est normal. Vous faîtes connaissance avec votre fils.

Mon fils. Les derniers mots avaient eu le don d’ouvrir les vannes. J'avais expiré misérablement un sanglot et les larmes s’étaient à couler avec puissance. Plus qu’habituée, le docteur Rawling m’avait tendu le paquet de mouchoirs, toujours très proche de la table, d’une main experte.

— Prenez le temps qu’il faut, je vais éteindre mais je vais vous donner les photos, comme la première fois, d’accord? Essuyez vos larmes, le gel et on se retrouve dans quelques minutes.

— Oui... Merci.

J’avais observé l’écran jusqu’à la dernière seconde, au moment où elle avait retiré la sonde. Il était en bonne santé, il était parfait... il était Il. C’était comme si brusquement, mon monde prenait encore une autre dimension. Je commençais à comprendre pourquoi il ne pouvait y avoir que trois échographies : chacune d’entre elle était un véritable bouleversement, de ceux qui ne nous laissait pas indemne. Plus d’échographie pouvait sans aucun doute tuer un être. La première m’avait fait réaliser que je portais le monde, que je créais la vie au creux de mon être. Entendre le battement de son cœur avait été le son le plus merveilleux que je n’avais jamais entendu de toute ma vie. La seconde me faisait réaliser que je le portais LUI. Il n’était plus juste un être abstrait, une petite chose qui poussait au creux de mes reins... Il était mon fils, MON fils. Et brusquement je prenais alors conscience que mon présent se rapprochait un peu plus de ce Futur. Mon fils... comme celui que j’avais vu là-bas. Retrouvant un souffle normal petit à petit, essayant mes larmes j’avais alors tourné la tête vers Erwin avec douceur :

—Est-ce que... ça va ?

Je ne savais pas comment agir, comment réagir face à lui. Je venais de vivre le moment dans sa main mais je savais que la force de mes émotions, il ne pouvait que les observer, sans réellement les partager ou les comprendre. Je ne me sentais pas assez forte pour accepter la terrible réalité mais je n’avais aucune envie de le laisser à l’écart. Lui aussi avait dû sans aucun doute voir le Futur se profiler... dans le bon... et le mauvais... Comme pour chasser cette pensée, j’avais posé ma main livre sur sa joue pour la caresser. Nous étions désormais seul et j’avais presque jailli hors du divan, me penchant vers lui pour me jeter sur ses lèvres, puissamment, à pleine bouche, ayant besoin de ce contact face à ce que je venais de vivre, de voir, ce que nous avions créé. Après l’instant intense, je lui avais murmuré :

— Je t’aime tellement...

Sentant l’émotion me reprendre, j’avais reniflé comme pour empêcher mes larmes de couler, décrochant mes yeux des siens, pour commencer à ressuyer le gel sur mon ventre. Je ne pouvais pas que penser à moi, il avait peut-être aussi besoin de temps, pour diriger, vivre la situation et l'accepter. Il fallait peut-être mieux que nous soyons séparé, il avait peut-être besoin d'espace et je m'étais toujours promis de veiller aussi à ce qu'il voulait ou avait besoin dans ce domaine...

— Si... Si tu veux sortir quelques minutes pour... pour vivre la nouvelle comme tu en as besoin, tu peux. Elle va juste me donner le nouveau rendez-vous, les photos, me dire deux trois choses et ce sera fini... Je peux te retrouver en bas si tu veux et... on ira boire un café ?

J’avais tourné les yeux vers lui, presque suppliant, effrayée à l’idée qu’une nouvelle colère monte en lui, tentant de lui rappeler la promesse qu’il m’avait faite, celle d’aller boire et manger quelque chose après, rester ensemble. Je sentais qu’il ne reviendrait pas sur sa décision concernant l’enfant et pourtant, une nouvelle peur commençait à s’immiscer en moi, une peur de voir ce que j’avais vu dans le Futur, une peur que je ne parvenais pas encore à analyser ni à observer mais qui allait me ronger dans les prochaines heures, comme le plus intense des poisons.

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« If the crown should fit, then how can I refuse? »

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________________________________________ 2021-06-08, 23:34 « If the crown should fit, then how can I refuse? »




« Des nuages de l'Erreur s'amoncellera plus tard l'orage de la passion. »



La porte du cabinet s’était refermée derrière eux, plus rapidement qu’il ne l’aurait cru et son corps s’était raidit, réfrénant un bref et instinctif mouvement vers l’extérieur. Non pas qu’il souhaita prendre la suite mais… Ce moment possédait bien plus de solennité qu’il ne l’aurait souhaité. De loin aurait-il préféré s’installer théâtralement sur la chaise, bavasser de quelques phrases onctueuses avec la gynécologue, scruter le poste et l’information par intermittence, le reste des secondes concentré sur son miroir et le reflet parfait des lignes suaves qui traçaient son visage. Mais, il ne pouvait pas. Cette conduite aurait été pour le moins incongru pour un ami accompagnant une femme enceinte à un tel rendez-vous et...force était de constater qu’il demeurait pour le moins fébrile, d’une cause toute à fait différent de sa maîtresse. Il se remémorait l’instant fatidique où la princesse Anneliese était apparue à ses propres noces, figeant l’instant dans une horreur maîtrisée avant que le Sort Noir ne vienne tout emporter. Cette information possédait une importance capitale… Parce qu’il la voyait comme telle mais tout de même.
Il s’était assis sur la chaise positionnée non loin du divan avant même qu’Alexis ne s’y allonge, écoutant avec attention, la question de la gynécologue. Voulaient-ils connaître le sexe du bébé ? Evidemment. Il était surtout venu pour ça. La réponse d’Alexis fut plus longue à venir et il se borna à scruter la médecin d’un sourire encourageant et neutre, refusant de dévier son magnifique visage une brève seconde vers la libraire, se refusant au moindre geste d’encouragement suspect. S’il tournait la tête, elle y plongerait. Dans les faits, en apparence, cette décision ne lui revenait pas, y prendre part d’une quelconque manière que ce soit aurait paru...incongru. Fort heureusement, elle aussi, y ressentant l’importance, avait veillé à ne pas le regarder.
Du coin de l’oeil, il avait néanmoins perçu le hochement de tête de la jeune femme et s’était alors permis de diriger vers elle un sourire jovial et enthousiaste, vite effacé. Ses émotions passaient, fugaces, vite remplacées par l’attente.
Il avait surpris la manœuvre d’Alexis, la trouvant dangereuse. Un frôlement léger pouvait être involontairement, une main qui demeurait posée jusqu’à frôler la sienne sans qu’aucun n’y trouve à redire était en revanche bien plus problématique. Si tenté que la médecin y prenait garde.

- « Ca...ça vous ennuie si je lui prends la main...je... »

Il avait pincé les lèvres dans une grimace amusée mais crispée, l’espace d’une brève seconde, réprimant un rire. Oh, il était on ne pouvait plus flatteur de voir qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de rechercher son contact et par la même occasion, il comprenait aussi le besoin puissant de sentir leurs peaux se retrouver afin d’y trouver le soutien de sa présence effective dans les lieux. Mais il était également on ne pouvait plus catastrophé de la question en elle-même. Si le geste précédent n’avait pas été remarqué, il ne pouvait que l’être à présent…

Vous le faites comme vous le sentez, c’est plutôt à votre ami qu’il faut demander.

Ignorant le regard de la gynécologue qui s’élevait par dessus ses montures, il avait sourit le plus gentiment possible à destination d’Alexis, déclamant avec le naturel le plus désarmant possible :

- « Mais fais, ça ne me dérange pas. Je suis là pour le soutien de toute manière »

Puis son regard avait dérivé de l’océan profond des yeux de la libraire pour venir se poser sur la médecin, tandis qu’il esquissait un bref haussement d’épaule accompagné d’un sourire attendri qui symbolisait implicitement « la pauvre, elle est un peu déboussolée... ». Tout irait bien. Ce n’était qu’une simple contemplation…
Et pourtant, il la sentait d’une nervosité grandissante, toute électricité dehors, comme en témoignant le coup que provoqua le contact de sa main déposée sur la sienne. Il retint un cri de minuscule effroi et pourtant, il l’avait craint. Alexis était sujette à ces petits coups d’éclat involontaires et non maîtrisés, de plus en plus régulièrement depuis son retour de l’Autre Monde. Si cela semblait être occasionné par le retour de son pouvoir, d’une manière bien plus instable qu’auparavant, la grossesse n’arrangeait rien. Les humeurs se voyant un peu décuplées, son pouvoir s’en agitait… Ce qui n’était pas spécialement pour déplaire à l’ancien premier ministre. Cela résidait la moindre des compensations pour une arrivée si piteuse : au moins grâce à cet enfant, il n’avait besoin d’aucun prétexte pour observer le pouvoir qu’elle détenait. Et si chaque démonstration se révélait être bien minime, cela n’en demeurait pas moins captivant.

- « Ce n’est rien… Ce n’est rien... » murmura-t-il doucement s’autorisant à plonger son regard de braise vers elle, la rassurant sur son éventuelle souffrance que la situation exacte qu’elle traversait.

Et il le pensait. Tout irait bien. Il n’y avait rien de particulièrement dramatique dans la situation présente : il suffisait d’observer une petite télévision où seraient retransmis de piteuses images déformées. Sûrement n’y verrait-on rien et il suffirait de se contenter de hocher la tête hypocritement.

Allez, on respire bien, on se détends et on regarde l’écran, c’est par ici que ça se passe.

Il avait opiné rapidement de la tête, comme un individu enthousiaste, singeant cet imbécile de Julian de ses souvenirs et la manière stupide qu’il avait d’encourager autrui comme si les autres ne lui devaient rien. La parfaite apparence du ami idéal, n’ayant rien à se reprocher. Tout juste la gynécologue pourrait être envisager l’hypothèse que la jeune femme n’espérait pas la même chose… Mais rien de son propre côté.
Puis il avait lui-même écouté, au départ avec une indifférence mâtinée de mépris puis s’était pris au jeu de l’écoute des informations avec une certaine aigreur. Son cœur allait bien ? Bravo, hélas il l’avait que trop remarqué puisque ce dernier avait tôt fait de se former sans qu’on ne le désire, il aurait été étonnant qu’il fasse le privilège de s’en aller aussi promptement qu’il était arrivé. Il manqua même de chasser d’un air désinvolte et autoritaire le sujet de la question des handicaps et des malformations. Mais pour qui le prenait-on ? Imaginer une seule seconde qu’il puisse produire un enfant de mauvaise qualité, en voilà une offense intolérable à Preminger. Quand bien même il pardonnait à la gynécologue de ne pouvoir le considérer comme potentiel géniteur à cet enfant, il restait tout de même particulièrement braqué, au-delà de l’apparent flegme qu’il servait en façade. Si elle avait su à qui elle avait eu affaire, il pouvait parier que ce sujet n’aurait même pas mérité une vérification quelconque…Oh bien évidement, Preminger connaissait la science et la loi de l’ADN pour en avoir acquis les notions de son existence maudite. Pour autant...lorsque cela s’appliquait à LUI...cela se révélait différent.
Il s’autorisa de tourner la tête vers Alexis, pinçant néanmoins les lèvres en apercevant des larmes de soulagement perler au bord de ses paupières… Y avait-elle réellement cru ? Cela ne possédait pas le moindre sens… Sauf à considérer que tout ce qui sortait de ses entrailles se révélait être vicié… Ce qui… se révélait être hypothèse potentielle également.
De toute manière, il n’aurait pas été question de tolérer le moindre petit souci physique… Déjà que l’Erreur et son visage sans saveur l’indisposait alors…

C’est un petit sportif ce bébé, il bouge beaucoup... Mais pas dans le bon sens, il refuse de se retourner...

Il ne manquerait plus que ça… Qu’il se mette à courir et bondir partout comme un petit lapin de garenne… Et en plus, il tentait DEJA de faire l’intéressant. « Tu vas bouger… Et plus vite que ça... » songea-t-il en fronçant quelque peu les sourcils en scrutant l’écran. La tension dans la main d’Alexis s’était accentuée et il y avait sûrement impulsé sa propre impatience, en renfermant un peu plus fortement encore celle-ci dans la sienne. Pas de quoi lui broyer les doigts mais il n’avait lui-même que cette prise discrète pour s’exprimer muettement.

- « Je suis persuadé que tu vas savoir bientôt » décria-t-il en parallèle du ton le plus joyeusement opposé de la tension qui le secouait…

Alexis elle-même avait impulsé un mouvement, dirigeant son impuissance vers la gynécologue. C’était se tromper d’ennemi. La pauvre petite bonne femme n’y était pour rien… C’était l’Erreur. « Tu vois qu’il est déjà insupportable... » aurait-il pu railler dans une circonstance différente. Mais il ne le pouvait. Alors s’était-il contenté de déposer sa seconde main sur son épaule dans une volonté d’apaisement. Il ne servait à rien de piquer une crise et elle était déjà dans un état de nervosité conséquent pour se rajouter une dose… Bien sûr, visiblement il était venu pour rien… Mais… il y avait au moins eu du positif à sa présence : il avait été là et elle s’en était satisfaite… Et puis, cette facilité à leur adresser une tentative pathétique de moquerie justifiait bien qu’il s’agissait de ce petit énergumène…

Ah... attendez, vous avez impulsé un mouvement, il bouge...

Sa tête avait pivoté un peu plus rapidement qu’à l’ordinaire, avec une dose de satisfaction. Au moins, comprenait-il déjà qu’il ne valait pas mieux jouer avec ses nerfs ni ceux de sa mère… Le moment s’éternisa un peu, dans un silence pesant, seule la gynécologue bougeait encore, déplaçant la sonde avec attention.

Le voilà le petit filou... on ne peut moins équivoque... c’est un garçon.
C’est...
Un garçon, oui oui, je suis formelle. Vous voyez cette petite partie sur l’écran ? C’est son sexe.

Déjà le docteur s’élançait pour commenter l’ensemble, expliquant et desservant une flopée d’informations et de détails dont Alexis s’abreuva instantanément.
Lui. Il était resté là. Le corps et l’esprit en retrait. Prenant la mesure de l’information transmise. Le coin externe droit de sa bouche s’était relevé dans un sourire proche d’un rictus. Y avait-il là une certaine dose de satisfaction quant à la certitude de se voir placé vers l’un de ses Futurs ? Ou à l’inverse, la nouvelle le dégoûtait au point que son aversion se reflétait sur son visage. Il ne savait pas réellement. Un peu des deux, sûrement. Il méditait la chose, contemplant le petit corps, tandis que son attention s’éveillait un peu, se mettant en mouvement pour à son tour scruter le petit être à la recherche d’un signe, une ligne, d’un trait proche de sa propre beauté. Mais il n’en trouva aucun. Ce bébé ne ressemblait surtout à rien d’autre que tous les bébés à cet âge. Il ne possédait pas de critère particulier, aucun semblant de grandeur… C’était un être. C’était l’Erreur.
« Fou comme c’est microscopique en soit »...songea-t-il. Créé à partir de si peu de choses. A bien des égards, l’être humain se révélait être bien décevant et animal.
Mais il en demeurait vide, froid de toute l’émotion vive et émue qui avait saisie sa maîtresse. Il ne s’était pas attendue à la ressentir, il se savait bien trop peu investi par l’arrivée de cet..enfant dans leur vie pour percevoir un degré d’émotion affective. Il avait cru, en revanche, que peut-être le fait de constater l’existence de la vie lui aurait tiré une dose légère d’importance mais non. Il restait ainsi, en surface, observant la main d’Alexis effleurer l’objet…recherchant un contact qui adviendrait pourtant, hélas, déjà bien assez tôt.
Puis elle s’était effondrée en sanglots, subjuguée… Une rencontre unique…oui. Il voulait bien comprendre qu’il devait y avoir quelque chose de profondément impressionnant de porter la vie. Bienheureuse avait été sa mère, en revanche, de l’avoir porté LUI. Evidemment ce n’était pas comparable, mais cela revenait à porter son enfant… Son enfant. Son… fils. Il n’avait pas besoin de faire d’effort pour que les traits de l’Erreur surgissent devant son esprit. Ces traits là, il ne pouvait pas les oublier… Ils noircissaient son ciel de leur pâleur maladive.
Elle, en revanche, se trouvait à des années de ces considérations narcissiques. Alexis était chargée d’amour. C’eut été un trait de caractère qu’il aurait pu trouver détestable voir méprisable si au-delà de lui être utile, il ne venait pas contrebalancer un sens pratique avisé et raffiné. Il lui pardonnait d’être si généreuse, après tout, elle l’était de bonne manière, ne gaspillant pas son crédit et sa confiance aveuglément en la distribuant à tous sans discernement.
Sa main était toujours dans la sienne et il avait, de son pouce, tracé un cercle invisible mais palpable sur sa peau. Si elle en était heureuse de la vie qui se créait en elle, alors, soit. Après tout, cela n’était en rien ahurissant compte-tenu du lien instinctif qu’elle avait noué avec ces enfants dans le Futur et l’affection qu’ils semblaient avoir pour elle. Elle était destinée à aimer celui-ci. Bien qu’il espérait pleinement que la Alexis du Futur ait appris de lui une certaine froideur clairvoyante à son égard, à son contact.
Il lui avait désigné d’un coup de menton au profit du paquet de mouchoirs que la gynécologue tendait à la jeune femme dans une pose affectée et compatissante qu’elle devait réserver à nombre de clientes, sans pour autant que cette attitude ne soit artificielle, c’était bien plus l’effet d’années de pratiques et d’habitude du déversement d’émotions qui saisissaient ses patientes.
Il l’avait suivie du regard jusqu’à ce que cette dernière ne quitte la pièce pour procéder au développement des « photographies » de cet être même pas né, laissant Alexis exhaler les larmes supplémentaires qui secouaient sa poitrine, sans dire un mot. Ils ne restaient plus qu’eux. Et...l’Autre. LUI. Ca y était, la confirmation se révélait être totale, l’absolue certitude avait été énoncée clairement et les contours du chemin emprunté n’avaient de cesse que de se dessiner au fur et à mesure des secondes, au fur et à mesure que ce petit être croissait dans son ventre. Il était un jour où il régnerait.
Il n’en n’avait jamais douté. Mais la vie lui avait offert le cadeau considérable de pouvoir en goûter un somptueux avant-goût, lui fournissant les clefs et les pièces de ce Futur possible… Pièces dont l’Erreur était au moins annonciateur au mieux impactante.
Alexis remua un peu à ses côtés, plus apaisée de pleurs et il pivota la tête, y rencontra son visage encore humide de son doux emportement. Ses yeux bleus brillaient d’une lueur différente intense qui la dépassait encore mais elle tâcha d’articuler, demandant de sa voix la plus douce :

Est-ce que... ça va ?
« Tu n’as aucune raison de t’inquiètes pas pour moi à ce sujet. Oui. Ca va. Et toi ? »

Il n’avait pas eu le temps d’esquisser un geste supplémentaire ou de compléter son interrogation d’une question supplémentaire qu’il avait senti sa main sur sa joue se poser dans une caresse puis l’avait vu jaillir, englobant l’ensemble de son champ de vision pour fondre sur ses lèvres, tandis qu’il l’accueillait dans un petit rire espiègle. Puis le lui avait rendu, avec un empressement moins vivifié par l’émotion maternelle qui la transcendait littéralement mais avec une satisfaction réelle. Elle avait besoin de lui à cet instant précis, de ressentir sa présence plus puissamment que jusqu’alors, expiant par ce baiser les bourrasques internes que cette révélation lui causait, le lui faisant ressentir à défaut de lui permettre de les comprendre. Lui célébrait un peu la conduite de son Destin. Puis la prudence reprenant le dessus, il entoura le bas de son visage de ses mains, entourant son menton de ses paumes, l’écartant un peu de son visage sans pour autant ne parvenir à l’éloigner à une distance respectueuse :

- « J’ai ma réponse... » plaisanta-t-il dans un souffle, ses yeux plongés dans ceux de la jeune femme.
Je t’aime tellement...
« Quelle sage tu fais » lui répondit-il tendrement tandis que la lumière de ses yeux dansait d’une flamme orgueilleuse dénuée de mal « Te voilà mère d’un fils. »
Si... Si tu veux sortir quelques minutes pour... pour vivre la nouvelle comme tu en as besoin, tu peux. Elle va juste me donner le nouveau rendez-vous, les photos, me dire deux trois choses et ce sera fini... Je peux te retrouver en bas si tu veux et... on ira boire un café ?

Etait-elle en train de le chasser ? Il avait incliné la tête, saisissant sur son visage l’éclair vif et prompt du spectre de l’angoisse. Une crainte causée non pour lui mais par lui. Elle craignait qu’il s’agace, ne fasse preuve de colère à la découverte de cette nouvelle, lui proposant alors une porte de sortie pour ménager ses humeurs et ses colères, les respectant et s’en préservant.
Sans desserrer son étreinte, il avait secoué la tête lentement, sans rompre le contact oculaire :

- « Je suis un modeste accompagnateur, ce jour. Un simple ami n’a pas besoin de temps pour se remettre d’une émotion, ni de vivre la nouvelle » objecta-t-il avant d’ajouter de manière plus concentrée « Je peux me contenir. Et JE n’en n’ai pas besoin. Pas pour le moment. Si j’en ressens l’envie, je le ferais. Mais... » il avait incliné encore son visage vers le sien, abaissant la tête encore « Mais tout est en ordre. Je ne porte nulle colère en moi à la venue de ce fils. Ce qui doit advenir, adviendra. Et ce qui devait advenir est advenu. Il convient juste d’en tirer les enseignements».

Il l’embrassa, s’emparant délicatement de ses lèvres pour y infuser le calme réel qu’il ressentait en lui, tâchant d’y apaiser la tension qui émanait de son corps frémissant par sa propre tranquille sérénité. Une sérénité qui abritait son être et son ambition. .Tout était bien, sans heurts, ni vague. Il y avait longtemps qu’il avait accepté. Avant même cette visite. A la minute où il avait admis l’existence de cet enfant, il avait su...Su qu’il n’acceptait pas n’importe lequel, mais l’Autre, Lui, l’Erreur.
Rompant son contact, il caressa le creux de sa joue dans un sourire :
- « L’endroit n’est guère propice aux étreintes quelles qu’elles soient, il y a d’autre lieu pour donner profusion à ton transport mais… N’aie pas peur. J’ai accepté cet enfant, je l’attends à présent. Il est en excellent santé, comme il fallait s’y attendre, ne corrompt pas ta joie dans des craintes liées à ma personne, c’est entendu, trésooooor ? »

Il le pensait réellement à vrai dire. Elle n’en n’avait nulle raison, quand bien même sa crainte se trouvait d’une certaine manière justifiée par sa réaction initiale. Et pourtant, il avait tempéré ses ardeurs acérées et piquantes lorsque se présentait le sujet de l’enfant depuis l’Annonce. A défaut de vouloir, à défaut de s’enthousiasmer, il admettait cela comme une sorte de petit caprice déraisonnable et sincère qui agitait la jeune femme. Elle s’attachait à cet enfant, bien… Elle s’enthousiasmait de son arrivée, formidable. Elle s’émouvait de le ressentir un peu en elle, grandiose. Il n’en ressentait rien mais se contentait de lui sourire avec une indulgence exclusivement dédiée.
Il s’écarta d’elle, lentement, détachant ses mains pour réadopter leur posture initiale, à juste raison, puisque la porte ne tarda pas à s’ouvrir laissant réapparaître le docteur à présent affublée d’une enveloppe qui contenait forcément les photographies pour le moins vides de séduction et de beauté du petit être…
Il resta en retrait pour le reste, écoutant la prise prochaine du rendez-vous, puis salua le médecin d’un signe de tête des plus cordiaux, soulignant qu’elle faisait là « un magnifique métier, si poignant ! » puis s’en fut, laissant derrière lui une impression des plus agréables.
Ils réarpentèrent les mêmes couloirs blancs et froids qu’à leur arrivée, débouchant avec plus de facilité sur le hall qui desservait l’entrée. Le soleil n’avait pas quitté le ciel quand bien même quelques petits nuages frêles et légers en parsemaient le bleu.

- «  Chose promise, chose due : Nous allons déjeuner ? J’ai pensé que tu aimerais opter pour un restaurant un peu diversifié ? J’en ai repéré un, non loin d’ici. Cela te ravigotera un peu et puis, ils font tout type de nourriture, il y aura forcément là-dedans des plats adaptés aux femmes enceinte et les mets semblent raffinés.… » proposa-t-il en désignant la sortie du parking avant de river son attention sur la jeune femme « Tu prends également ta voiture ou préfères-tu que je conduise ? Peu m’importe, nous pourrons tout à fait repasser ici dans les temps avant mon premier rendez-vous de l’après-midi, je l’ai suffisamment décalé pour te ménager tout le temps qu’il te fallait… »

Il agita ses clefs dans l’air dans un mouvement altier puis la laissa décider. De toute manière, le restaurant proposé se situait à moins de cinq minutes de là.
Ils y arrivèrent rapidement et furent parfaitement accueilli, il devait l’admettre. Un serviteur au petit soin leur présenta une table et il s’y installa avec un petit soupir d’aise :

- « Enfin nous voici posés. Incroyable comme il me semble avoir particulièrement agité aujourd'hui, alors qu’en réalité tout ceci n’a suscité nul effort. Je suppose que la curiosité joue parfaitement son rôle en ce qui me concerne. Finalement, cela reste un examen peut douloureux et très simple, en définitive. Je suppose qu’il est si célèbre qu’on s’attend à ce qu’il s’y passe énormément.. Mais tu me diras que c’est le cas… » ajouta-t-il en levant l’index avec malice « Donc, ce fils. Fort bien… As-tu déjà pensé la décoration de sa chambre de manière neutre ? Ou finalement l’essentiel va-t-il être acheté à présent ? Il faut penser à la décoration… Il paraît qu’actuellement, les jeunes parents raffolent d’inscrire le prénom de l’enfant sur le mur de la chambre… Je n’en suis pas friand mais… en revanche, j’apprécie les serviettes brodées. Jadis, nous avions tous cela à notre naissance. Nous devrions peut-être nous en charger dès à présent, non ? »

Il l’avait demandé innocemment, sans se rendre compte qu’il évoquait là le prénom de cette Erreur. Et qu'ainsi faisait il réveillait les tremblements de l'orage qui dansaient derrière l'ombre du soleil.

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C'est au détour d'une Ombre
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Tu es comme tu es... mais malgré les erreurs, tu me rends parfois la vie de maman célibataire plus douce...


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________________________________________ 2021-06-12, 12:40 « Allez dans la Lumière. C'est au détour d'une Ombre que nous attends le Mal. »




Dans l'œil de l'Orage


Malgré mon angoisse et mon cœur battant, il n’avait pas eu un soupçon d’énervement. Aucun éclat de voix, aucun geste d’impatience, pas même une lueur dévorante dans le fond de ses yeux. Juste cette même lueur d’orgueil que je voyais dans ses yeux à chaque fois que je lui disais que je l’aimais. A chaque fois, il y répondait avec un peu d’humour et cela avait le don de me faire rire. Aujourd’hui pourtant, cela avait eu plus d’une vertu : cela m’avait aussi apaisé et soulagé. C’était notre truc depuis ce fameux soir, depuis la première fois que je le lui avais dit. Ces trois petits mots m’effrayaient autant qu’ils me fascinaient. Ils me semblaient si difficile à dire la première fois, comme un passage irréversible, comme un pass droit vers un chemin plus éclairé, où je comprenais mieux mes sentiments mais sur lequel était également inscrit en lettre d’or “félicitations, tu vas souffrir”. L’Amour était un sentiment étrange, puissant, pour lequel j’avais tellement de tendresse mais aussi tellement de crainte. A chaque fois c’était la même chose, je combattais l’évidence qui se dessinait chaque jour un peu plus, je me refusais d’y voir ce que mon cœur me soufflait déjà malgré moi. Et puis un beau jour, je décidais de prendre mon courage à deux mains, de devenir aventurière, d’avouer mes sentiments. Ce moment me faisait toujours l’effet de dompter un cheval sauvage, puissant, à la crinière de feu, au corps d’eau, qui déplaçait des bourrasques de vent et des mottes de terre sur son passage. Un moment de puissance absolu qui me demandait aussi une concentration intense, l’envie de parcourir le monde sur son dos, tout en ayant peur de tomber à la moindre cabriole. C’est ce que j’avais ressenti, ce soir de décembre, dans le Futur, quand j’avais pris conscience d’à quel point il comptait pour moi.

Depuis qu’il l’avait accepté, m’autorisant plus de kilomètres sur cet étrange cheval sauvage, tout me semblait plus simple. Je ressentais souvent le besoin de l’exprimer, pas parce que j’avais besoin de l’entendre en retour, juste parce que j’avais besoin de m’en rendre compte, de lui faire partager, de le graver dans le marbre de ma vie. Je l’aimais. Chaque jour un peu plus et plus puissamment, jusqu’à découvrir cet Être de lumière, fait de nous deux, qui me faisait me rendre compte d’à quel point nos moments pouvaient être précieux, à quel point ils pouvaient créer... jusqu’à créer la vie... et à l’accepter. De son côté, il y avait toujours cette orgueil présente, que je connaissais bien chez lui, comme une seconde peau, doublée de la flatterie naturelle de se sentir et de se savoir aimé. Je n‘avais pas besoin de plus, juste de cet éclat, de ses bras, ses lèvres, et ses taquineries. Je n’en attendais rien. Comme pour le reste, comme pour cet enfant. Chacun avait le droit d’aller à son rythme, je n’avais aucune envie de me demander ce qu’il ressentait réellement pour moi, si c’était normal ou pas qu’il ne me réponde pas. Ce qu’il faisait pour moi était bien suffisant à mes yeux et je n’avais rien besoin de plus que de nous. Nous trois. Ce qui expliquait aussi que je n’avais rien attendu, me contentant de nettoyer le gel tout naturellement, en riant à sa boutade.

Redevenue sérieuse, je m’étais enquise de son état, lui proposant de sortir au besoin mais il avait balayé ma proposition d’un revers de main imaginaire. Je devais bien avouer que son objection était pertinente... je n’arrivais même plus à penser que ce type de réaction de sa part pouvait être suspecte. Pour moi, depuis cette annonce, il n’y avait que nous et je voulais qu’il puisse être lui-même. Mais lui n’oubliait pas... qu’il n’y avait jamais “que nous” ou très rarement quand nous n’étions pas dans l’un de nos lieux à l’abri. Pourtant, plus que d’objecter sur cette situation, il avait aussi précisé qu’il n’en avait pas besoin et j’avais pris quelques secondes pour scruter attentivement le moindre de ses tics faciaux, la lueur dans ses yeux pour tenter de voir s’il se contentait de me rassurer ou s’il le pensait réellement. Il semblait sincère et je décidais de le croire, hochant la tête lentement, nos fronts se touchant presque à présent, bien qu’il me maintînt autant qu’il le pouvait à distance. Il n’était pas en colère... il n’y avait rien en cet instant qui me soulagea plus mais pourtant, ce petit bonheur fut rapidement teinté d’un nouveau doute... “Ce qui doit advenir, adviendra. Et ce qui devait advenir est advenu.” Que voulait-il dire par là ? J’ignorais pourquoi mais cette phrase avait raisonné en moi avec quelque chose de désagréable, comme un écho du passé ou plutôt du Futur... notre Futur ? Celui que nous avions vu ? Pensait-il réellement que cet enfant était la preuve que tout était écrit à l’avance ? Que nous avancions dans cette destinée ? Isaac avait dû avoir 9 ou 10 ans... nous étions de 10 ans dans le passé... j’étais enceinte peu de temps après ce Noël... Était-il vraiment celui qui gesticulait dans mon ventre ? Et pourquoi cette pensée me laissait-elle alors un goût. Comme pour tenter de refouler ce qui arrivait dans mon esprit sans que je ne l’explique, j’avais décidé une nouvelle fois de m’en sortir avec humour, rebondissant aux “enseignements” que l’on devait tirer.

— Lesquels ? “La prochaine fois, mets une capote” ?

J’avais eu un léger sourire espiègle qui s’était transformé l’espace de quelques secondes en un éclat de rire franc. Mais celui-ci vint mourir entre les lèvres d’Erwin qui m’embrassait une nouvelle fois, avec plus de douceur et de calme que je ne l’avais fait, me guidant dans cette direction pour que j’en fasse autant. Fermant les yeux, je m’étais laissé porter par son baiser jusqu’à ce qu’il en rompe le contact. J’avais alors répondu à la suite avec un hochement de tête unique, quelque peu rigide mais vigoureux, comme convaincu de ce qu’il me proposait. Au même moment, la porte s’ouvrir et je pris soin d’utiliser la millième de seconde qu’il nous laissait avant que la gynécologue ne nous voie pour m’éloigner d’Erwin, afin que notre posture semble plus “amicale”. Le docteur me tendit alors les photos et je me mis à jouer nerveusement avec l’enveloppe que je tenais dans les mains, retenant mon envie furieuse de les contempler immédiatement. Nous fixâmes le troisième et dernier rendez-vous d’échographie, me confirma que tout allait pour le mieux et après quelques minutes nous étions de nouveau en bas de l’hôpital, à l’endroit exact où tout mon stress de la matinée avait réellement commencé. Avec un sourire sincère, j’hochais la tête enthousiaste à sa description du restaurant :

— Tout cela me semble parfait Maître Dorian, vous devriez peut-être vous reconvertir dans l’achat de lieux publics.

Je lui souris une nouvelle fois tandis qu’il me proposait d’y aller avec sa voiture ou de prendre la mienne. Je pris un instant de réflexion, considérant les deux choix. J’ignorais pourquoi mais pour la première fois, j’avais bien envie de me retrouver seule. Je ne compris la raison de ce choix qu’à l’instant où il prononça ses derniers mots : “pour te ménager tout le temps qu’il te fallait”. C’était ça... il me fallait du Temps... et je voulais le ménager. C’était pas du tout ce qu’il venait de dire mais ça avait réveiller en moi la réponse à mon questionnement intérieur. Avec douceur je lui précisais :

— Je vais prendre ma voiture, ce sera plus simple. Au moins si nous débordons, tu pourras repartir directement pour le travail et ce sera moins suspect si jamais nous sommes vus... ou suivi... même si je vois pas pourquoi on nous suivrait.

J’avais eu un petit sourire à cette pensée, l’idée même d’être suivie me semblait complétement impossible et pourtant, j’étais bien plus suivie que je ne le pensais... parfois par Erwin mais parfois par Hermès.

— Donne-moi l’adresse je me charge du reste.

Nous nous étions séparés le temps de quelques minutes et j’en avais profité pour m’engouffrer dans ma voiture, tête la première, avant d’observer le départ d’Erwin dans le rétroviseur. Je savais pertinemment pourquoi je voulais être seule. Tout en insérant la clé dans le contact, j’observais machinalement l’heure qui s’inscrivait sur le tableau de bord afin d’être certaine de ne pas prendre trop de Temps. Puis n’y tenant plus, je récupérais les photographies de mon échographie pour les sortir de leur enveloppe et les observer un instant. Erwin n’aurait pas compris, je ne voulais pas l’embarrasser ou l’agacer avec cela plus que de mesure. Pourtant, j’avais besoin d’encore un moment avec mon fils. Un moment rien qu’à moi, à nous. J’étais déjà accro. Il m’avait fallu que ces quelques minutes si précieuses où son visage devenait déjà un peu plus réel pour que j’eusse l’impression de ne plus pouvoir me passer de lui. La première échographie m’avait semblait si abstraite, il ne ressemblait pas à grand-chose, une espèce de croisement entre un haricot rouge et un dinosaure. Mais cette fois-ci, il commençait à prendre des traits humains et il avait un sexe, il se précisait dans mon esprit et dans mon ventre : j’avais un fils. Je serai bientôt “mère d’un fils” comme le disait si bien Erwin. Un sourire béat sur le visage, je pris quelques secondes pour l‘observer, le toucher du bout des doigts avant de ranger les photographies rapidement mais avec soin dans leur enveloppe et de les mettre dans la boîte à gant. Un nouveau regard vers l’horloge m’informa que je m’étais pris en tous 7 précieuses minutes pour l’observer et je m’étais mis ensuite en route, profitant du fait que ce ne soit pas trop loin pour rouler avec sécurité.

Je m’étais installée en face de lui tandis qu’on nous tendait les cartes et j’en profitais pour l’écouter avec attention. Il faisait bon, j’avais envie d’un carpaccio, me souvenant avec une certaine frustration que cela faisait désormais partie des plats bannis pour les prochains mois. J’avais voulu objecter au fait qu’il semblait insinuer qu’il ne se passait pas grand-chose à une échographie mais il m’avait fait taire d’un lever de doigt, se corrigeant lui-même Avec un sourire indulgent, j’avais posé ma main droite sur sa gauche, la caressant doucement avant de lever les yeux vers lui :

— En tout cas, je suis contente que tu y aies éprouvé une certaine curiosité tout de même... De mon côté je me sens... épuisée, pourtant j’ai pas fait plus que toi.

J’avais eu un petit rire nerveux, tachant de me détendre à mesure que les minutes passaient. Même si la visite de l’intérieur de mon ventre avait apaisé nombre de mes doutes et de mes peurs, je sentais que la pression que j’avais accumulé avait du mal à s’échapper. Lorsque le serveur était venu nous demander si nous souhaitions boire quelque chose pour démarrer, je lui avais demandé un grand verre d’eau pétillante, bien fraîche, histoire de m’aider à me remettre les idées en place. De son côté, Erwin avait poursuivi en parlant de la chambre du petit et je devais dire que bien que je ne le montrasse pas, l’idée qu’il puisse avoir envie de poursuivre sur ce terrain m’avait parue surprenante. Je voyais que le sujet du bébé était loin de le passionner, il ne m’avait jamais menti sur ce sujet et je ne lui en voulais pas. Pourtant, quand nous nous mettions à en parler, il prenait tout de même sa promesse à cœur, en parlant pendant de longues minutes sans que cela ne lui pose de problème apparent. Je savourai de plus en plus ces moments, évitant de me rajouter le stress inutile qu’était ma gêne à l’idée d’en parler. Il était un grand garçon et même un grand garçon orgueilleux, je savais que je pouvais compter sur lui pour ne pas parler de ce qu’il ne voulait pas parler et s’il était enclin à poursuivre la conversation, c’est qu’il en avait réellement envie. Tout de dépliant ma serviette pour la poser sur mes genoux, j’avais grimacé à la tendance dont il m’avait parlé, approuvant ses dires d’un hochement de tête :

— Il n’aura pas son nom dans sa chambre... je... je ne suis pas très fan de l’idée non plus pour être honnête. On ne fait pas ça dans une chambre d’adulte, je ne vois pas vraiment l’intérêt de le faire dans une chambre d’enfant, c’est comme si on avait besoin de lui placarder son nom comme on met un collier à un chien... je trouve ça limite gênant. Enfin bref.

Je lui avais souris avant de prendre une gorgée de mon verre d’eau.

— Pour ce qui est de la chambre, j’ai déjà quelques meubles oui... Pour le reste, je ne sais pas encore quelle couleur je vais lui attribuer et je n’ai pas encore toutes les décorations... Je vais finir par me décider mais... ça n’a rien à voir avec le sexe du bébé. Je n’ai pas envie d’avoir une chambre bleu ciel pour un garçon et rose bonbon pour une fille, même si ça revient à la mode en ce moment, je suis pas vraiment enthousiaste à l’idée de le stéréotyper. Je préfère que sa chambre soit jolie, un point c’est tout.

J’avais hésité un instant à ajouter la suite. Je ne voulais pas le froisser en ne lui proposant pas dans la mesure où il avait lancé la conversation de lui-même mais je n’avais pas non plus envie de l’agacer à lui proposer cela. Je n’avais pas envie qu’il se méprenne sur mes intentions. Je savais qu’il avait de toute façon toujours un avis sur tout et que la décoration d’intérieur semblait être une grande passion chez lui, je voulais juste lui faire plaisir en lui laissant sa voix au chapitre sans pour autant qu’il pense que je voulais l’attacher un peu plus dans la préparation qui était mienne. Coupant la poire en deux, j’avais fini par préciser :

— J’hésite en réalité entre deux styles radicalement différents. J’ai trouvé la dernière fois un papier peint bleu nuit sublime, avec des sortes de lys en or dessus qui m’avait l’air magnifique. Le mélange des deux était plutôt chic et pouvait aussi donner un air tendre pour les nuits. Mais d’un autre côté, j’hésitais pour le vert amande et du blanc...

J’avais laissé ma phrase en suspens, prenant bien garde de ne poser aucune question mais lui laissant tout le loisir de commenter au besoin. En dépit de son aversion pour le prénom du bébé sur le mur, il avait proposé en revanche qu’il ait une serviette brodée à son nom. Cette parole me ramena brusquement à un souvenir d’enfant que j’avais oublié depuis un certain temps. J’en avais une de la sorte chez Maman, une serviette pour les mains, jaune, où il était écrit dessus “Enora” en lettre rouge, bordée de roses et de coccinelles. Qu’était-elle devenue cette serviette ? Détachant mon verre de mes lèvres, je lui avais souris avec gentillesse :

— C’est une chose qu’on peut envisager oui, j’aime beaucoup l’idée. J’en avais aussi une de là où je viens. C’est un symbole de nos deux histoires...

— Nous devrions peut-être nous en charger dès à présent, non ?

J’avais manqué de m’étouffer avec ma salive, tentant de dissiper mon malaise en récupérant rapidement mon verre d’eau pour y boire une nouvelle gorgée. Fuyant son regard je pris le temps qu’il me fallut, manquant de le boire en entier pour trouver comment me sortir de ce pas. La seule chose qui me vint alors fut :

— Tu penses vraiment que la serviette brodée c’est la priorité là ? Enfin, si tu veux qu’on regarde on peut mais... on a encore le temps, non ?

Et puis sur une serviette brodée au nom du bébé... il fallait un NOM au bébé ! Et je réagissais brusquement que je n’y avais jusqu’alors pas songé sérieusement une seule minute. Bien trop bloquée sur l’idée de faire accepter ma grossesse à son père, mon entourage, j’en avais complétement oublié ce détail, me complaisant dans les images potentiel de ce que j’avais déjà vu du Futur. Pas un seul prénom de garçon, pas un seul prénom de fille. J’étais enceinte de 5 mois et mon bébé n’avait aucune identité là où la plupart des parents devaient avoir au moins des millions de noms en tête... j’étais une mauvaise mère, j’allais être une mauvaise mère, c’était évident, comment je n’avais pas pu penser à un truc aussi EVIDENT que le prénom de mon bébé ?! Est-ce que j’avais envie de me bloquer dans la facilité et lui donner l’identité de celui-ci que j’avais vu dans le futur, est-ce que je voulais vraiment celui du Futur ? Après tout, ce petit garçon était merveilleux mais il me semblait si triste, constamment, car constamment rabaissé par son père et sa petite sœur. Et si jamais il ne lui ressemblait pas en grandissant, est-ce que je serai déçue ? Est-ce que je m’en voudrais de lui avoir donné l’identité d’un autre ? Et si jamais il lui ressemblait est-ce que je n’aurai pas peur de le faire devenir aussi triste ? Mais qu’est-ce que j’avais fait ? Pourquoi j’avais voulu garder ce bébé ? La question me venait en tête comme un boomerang en pleine figure tandis que je posais mon verre pour observer Erwin. Il serait un mauvais père, c’était évident et j’étais la pire des mères à vouloir cela tout de même. J’étais qu’une fille absolument égoïste et inconsciente, je n’avais pas pensé une seule seconde au bien être de ce bébé, je n’avais pensé qu’à moi, qu’à mon envie et à présent je n’avais même pas un nom à lui offrir.

— Est-ce que vous avez choisi messieurs, dames ?

J’avais brusquement sursauté en entendant la voix lointaine du serveur. Tendant de me donner contenance, j’avais posé une mèche de cheveux derrière mon oreille en précisant :

— Euhm non, désolée, je n’ai pas encore eu le temps de regarder la carte euh...

— Prenez votre temps, je reviens dans quelques minutes.

Je lui avais alors sourit avant de tenter de récupérer la carte du menu. Ma main croisa alors la fourchette et le couteau sur ma route et un éclair avait brusquement jailli devant moi, s’évanouissant dans l’espace tandis que je relevais brusquement les mains en hurlant de douleur et de surprise une nouvelle fois.

— Non mais c’est pas vrai !

Je l’avais marmonné rageusement en secouant les mains, massant les parcelles de peau qui avaient été meurtries, les dents serrées. Après un instant que j’avais pris me calmer, loin du regard d’Erwin ou de ses pensées, j’avais fini par articuler à son encontre sans le regarder pour autant :

— ça m’arrive tout le temps en ce moment...

C’était le cas. C’était épuisant. J’avais l’impression que depuis que ma grossesse prenait de plus en plus de place dans ma vie, je ne contrôlais plus rien. C'était encore pire que lorsqu’Hypérion avait bloqué et freiné mes pouvoirs, ça en devenait sérieusement dangereux même pour moi, et pire... pour le bébé peut-être. Il m’était arrivé de me réveiller en sursaut parce que les appareils électroniques de la maison s’était mis à fonctionner sans que je le demande, il arrivait parfois le soir que la tension électrique de la maison vacille et je me prenais des décharges électriques de plus en plus forte. C’était un cauchemar... sans doute quelque peu lié à ma grossesse et à mes émotions mais un cauchemar quand même. Le serveur était revenu pour prendre notre commande, ce qui m’avait apaisé quelques instants, me concentrant sur mon estomac.

— Vos paccheris aux tomates cerises, les tomates sont grillées ?

— Non, elles sont crues...

— Ce serait possible de me les faire griller et retirer la roquette ?

— Bien sûr madame, vous souhaitez tout de même la mozzarella di buffala ?

— Oui, s’il vous plaît.

Je lui avais tendu la carte avec un faible sourire avant de me lever.

— Excuse-moi, je vais juste me laver les mains...

… En espérant ne pas m’électrocuter par la même occasion. Je l’avais pensé tellement fort qu’une ombre avait assombris mes yeux tandis que je me dirigeais vers les toilettes. J’avais pris le temps de me laver les mains soigneusement, évitant le miroir dans un premier temps avant de m’y observer franchement. Soufflant pour tenter d’évacuer la pression, j’avais séché mes mains avant de les posées, encore fraîches, sur mes joues quelques secondes pour faire redescendre la pression. J'étais bonne pour les laver une seconde fois, mais je m’en fichais, ça me calmait. Après un instant mes yeux étaient descendus sur mon ventre et j’avais posé ma main pour en caresser la rondeur un instant. Comme s’il ressentait toute ma tension, mon fils avait posé ce qui devait être un pied ou une main sur la paroi, il était encore beaucoup trop petit pour que je puisse le comprendre clairement. Emue, j’avais rejoint ma main sur la petite bosse. Est-ce qu’il ressentait mon stress ? Tous les livres disaient que oui, en plus d’être une mauvaise mère, je lui faisais du mal... et lui était encore là pour tenter de me rassurer à sa façon.

— Ca va aller... je te promets que ça va aller... On va te trouver un super prénom et tu seras un petit garçon heureux.

Pour toute réponse, la petite bosse disparue et je me rendis alors compte que j’avais les yeux humides. Prenant du papier essuie-mains, j’avais alors pris soin de les sécher sans retirer mon maquillage avant de souffler quelques minutes et me laver une nouvelle fois les mains. De retour à table, j’avais souri à Erwin avec un air d’excuse :

— Je suis désolée... il me faut... un peu de temps je crois. J’ai beaucoup de choses à penser et mine de rien, je m’emmêle un peu les pinceaux.

Je n’avais pas envie de lui rajouter mes soucis, sachant qu’il ne les appréhendait pas. Je craignais toujours la petite phrase cinglante “c’est TOI qui l’a voulu”, celle qui aurait sans aucun doute le don de me faire bondir, mais pourtant, il ne me l’avait jamais dite. Jusqu’à maintenant en réalité, il avait été beaucoup plus avenant et prévenant que je ne m’y étais attendue... et c’était peut-être ce qui me déboussolait le plus. J’avais eu d’abord l’impression que je me débrouillerai seule et que de ce fait, je me devais d’être forte et impassible. Mais j’avais tout de même vue en lui un allier... et je me permettais d’être plus sensible, plus fragile aussi... ce qui n’était pas lui faire un cadeau, j’en avais conscience. Déglutissant, j’avais alors remarqué que le sirop de violette que j’avais commandé venait d’arrivé et je l’avais pris avec une certaine gourmandise, une recherche de réconfort. Posant le verre avec un sourire timide, je lui avouais enfin :

— En réalité... je... je n’ai pas de prénom pour le bébé pour le moment...Je n’y avais pas pensé jusque-là. C’est stupide, on se dit toujours que 9 mois c’est long, qu’on a le Temps de voir les choses venir mais en réalité quand on y est, on a l’impression que les 9 mois se transforment en 9 semaines tant j’ai de choses à penser... J’ai... j’ai déjà mis un peu de Temps à l’accepter et à le dire, du coup j’avais pas du tout l’idée de chercher un prénom. Et maintenant je réagis que c’est un garçon, qu’il est déjà bien formé et je me rends compte que j’aurai dû m’y mettre beaucoup plus tôt. Pleins de couples ont des prénoms de filles et de garçons en tête jusqu’à la seconde écographie... et moi j’ai rien. Je... je sais pas trop ce que je veux en fait...

J’avais habillement contourné le problème que me posait “Isaac”. Je n‘avais pas envie de lui dire la raison de ma peur à ce sujet, parce qu’elle serait forcément maladroite. Je ne voulais le porter responsable de rien et pourtant dire “j’ai vu comme ce gamin était malheureux à cause de son père et je veux pas condamner mon fils au même sort” le mettait forcément en porte-à-faux. Il m’avait promis qu’il ne serait pas cruel avec lui et j’avais envie de le croire. Mais je n’avais pas non plus envie de nous rajouter des problèmes et une vue sur cette enfant qu’il n’avait peut-être pas. En réalité, j’avais été si habille à contourner le problème qu’Erwin ne pourrait s’empêcher de tomber dedans malgré moi, malgré lui, malgré nous.

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________________________________________ 2021-06-21, 23:35 « If the crown should fit, then how can I refuse? »




« Des nuages de l'Erreur s'amoncellera plus tard l'orage de la passion. »



Une chambre d’enfant ne nécessitait pas de placarder un prénom sur un mur, oui. Il détestait cela et s’en trouvait satisfait de l’entendre écarter cette proposition avec autant de rejet que lui. Cette sorte d’ostentatoire aux formes de propagande mêlée à un mauvais goût primaire… Ridicule. Surtout que déjà, se voir rappeler en permanence sa présence par son nom écrit sur un mur… Comme s’il parvenait à en faire abstraction… Et il n’était même pas encore né, ce vicieux petit être qui s’était glissé sans crier gare dans sa vie. Pourquoi diantre aurait-il fallu encore placarder son prénom pour augmenter sa pollution visuelle de l’atmosphère ? Déjà qu’il aurait tôt fait de s’en accaparer auditivement… Pour cela, il se félicitait de ne pas vivre avec Alexis… Il aurait détesté que ses si précieuses nuits soient gâchées par des braillements insupportables…
Alexis mentionna les chiens et il se mis à sourire, temporairement distrait de son cheminement de pensée…

- « Tout à fait… En plus, j’ai toujours nourri un dégoût certain pour ceux qui inscrivaient leur nom sur le collier de leur chien. Summum du mauvais goût en plus de les prendre pour des imbéciles. Le mien n’en possédait pas, il avait un panel de sublimes nœuds en soie, son préféré était d’un violet tirant sur le fuchsia, il fallait voir les cabrioles arrogantes qu’il faisait une fois ce dernier attaché à son cou… D’ailleurs, il a toujours su quel était son nom, je n’avais même pas besoin de l’appeler… Quelle admirable petite créature il était. Toujours sur mes talons, sauf qu’en y s’agissait de pourchasser le chat …Si je ne le trouvais pas, c’était qu’il était à ses trousses. Il n’a pourtant jamais porté la moindre dent sur ce petit félin» il avait eu un rire amusé, les images dansants au creux de ses yeux pour poursuivre. Il s’en était fallu de peu pourtant, les occasions n’avaient jamais manquées d’être gâchées par l’arrivée d’un tiers, parfois Geneviève, parfois cette idiote d’Anneliese… Et lui prenait toujours garde à sembler s’en catastropher… Un temps si ancien qui lui semblait pourtant si proche, si palpable encore. « Mais je m’égare clairement ! Donc, la chambre…  »

Il s’était mieux positionné, l’écoutant ensuite évoquer sa vision de la chambre d’enfant , son envie de ne pas le stéréotyper. Stéréotyper cet enfant ? Peuh, quelle importance ? Après tout, vêtu de bleu, rose, rouge ou même bariolé, il serait bien en peine d’attirer l’attention sur lui quand IL se trouvait dans une pièce. Peu lui importait en vérité :

- « A mon époque, les couleurs n’étaient guère appropriées particulièrement à un sexe. Si la mode venait au rose, l’ensemble des courtisans s’en vêtaient sans la moindre grimace. En définitive, cette époque a bien plus engendré ses systématisations et associations, sur ce point en tout cas… » Sans se départir de son sourire, il avait écouté les propositions, chassant une miette de pain imaginaire sur leur table vide, avec une flegme royale, comme s’il convenait de prêter une oreille attentive à un fait considérable qu’on venait lui soumettre. « Ma préférence va au vert amande en ce qui me concerne. » décréta-t-il après une seconde de réflexion « C’est assez tendre pour un enfant, une couleur non agressive pour la rétine. Bien évidement, le premier est diamétralement plus chic,….mais cela reste un bébé. Dans la journée, le bleu peut être brutal, la nuit de toute manière, il sera dans le noir. Et puis, si le soleil se reflète sur les lys d’or, cela risque de l’éblouir… Peut-être plus tard, mais pas maintenant à mon humble avis.  »

Et puis le premier est bien trop royal pour lui. Après tout, il n’était guère son héritier et le petit enfant qu’il avait rencontré dans le Futur ne semblait avoir aucun goût pour l’ostentatoire, il traînassait avec les domestiques… Le vert amande ne consistait pas en un choix si piteux. Ce ne résultait qu’à approuver sa seconde option.
Alexis semblait attendrie de découvrir que la serviette consistait en un souvenir commun…

- « Si tu en avais une également, raison de plus, effectivement, c’est un lien de rattachement.» confirma-t-il avant de renchérir amusé face à l’incompréhension que semblait vivre la jeune femme au point de presque s’étouffer alors qu’il évoquait les préparatifs de cette commande « Mais bien sûr qu’il faut s’y prendre dès à présent. Si tu veux une serviette ne serait-ce que décente, comment peux-tu espérer le faire sans un minimum se renseigner d’abord sur les fournisseurs le tissu, la consistance, la taille, puis ensuite, il faudra réfléchir à la couleur de la serviette, puis celle de broderie, la taille, la police d’écriture, faire des essais, savoir si on assortit cela de petits agréments, cela va nécessiter un temps considérable au contraire ! Mieux vaut démarrer tôt, si tu désires avoir l’esprit pleinement apaisé à l’accouchement ! »
- « Est-ce que vous avez chois, Messieurs Dames ? »

Il releva les yeux vers le serveur, agacé. En réalité… Il n’avait même pas encore contemplé plus que cela la carte, l’ayant juste parcouru rapidement, avec empressement tout à ses réflexions diverses. Comme Alexis se chargeait d’éconduire l’individu pour la même raison, il se décida alors à saisir le menu pour contempler les diverses propositions qui s’étalaient avec pour vocation de séduire l’estomac le plus réfractaire. Oui, il y avait de belles choses… De quoi avait-il subitement envie ? Il éliminait les repas trop fades, tout juste bons pour les marauds lorsqu’une lueur vive et subite le fit relever les yeux du menu.
Le petit hurlement que poussa Alexis confirma son impression : elle venait de générer un éclair, s’y brûlant par mégarde en tentant de saisir un de ses couverts.

- « Rien de grave, très chère ? » interrogea-t-il les yeux fixés sur la main qu’elle massait à présent les dents serrées.

Voilà qui était nouveau. Inédit, même. D’aussi longtemps qu’il pouvait se souvenir, il ne se remémorait pas une fois où son pouvoir s’était dirigé contre elle-même. Il n’avait même pas cru cela possible. N’aurait-elle pas du y être hermétique car la Source ? Il l’ignorait mais se rendait compte qu’il était parti sur cette analyse directement, sans envisager l’hypothèse contraire. Il n’avait vu son pouvoir que comme une bénédiction pour elle, capable de blesser autrui sans la moindre répercussion sur son propre être. En souffrait-elle réellement au point que sa chair en subisse les meurtrissures ou se révélait-elle être simple conducteur ressentant parfois les souffrances sans se l’y inscrire durablement ?

« Ca m’arrive tout le temps en ce moment… »
  «Tu es déboussolée, cela doit augmenter tes pouvoirs et leur porosité avec l’extérieur dont les objets métalliques… »

Il s’apprêtait à poursuivre quand il aperçut l’ombre du serveur se profiler, à nouveau, non loin de là, se dirigeant vers leur table. Il aurait pu le renvoyer sèchement, mais cela n’aurait consisté qu’à leur accorder un sursit avant qu’il ne revienne encore à la charge. En définitive, le renseigner sur leurs choix respectifs permettait bien mieux de garder éloigner de leur table toute personne extérieure aux discussions qui pouvaient s’y jouer. Il avait laissé Alexis passer commande, retenant une légère grimace de dépit, lorsque celle-ci lui avait tendu la carte avant de s’éclipser aux toilettes. Elle fuyait…
Lorgnant alors rapidement sur les boissons tout en tendant son propre menu sous l’oeil patient du serveur, il se décida :

- « En apéritif, apportez-moi un Ultraviolet, puis, je prendrais….oh !  Bruschetta à l’aubergine grillée et stracchino en ce qui me concerne, voilà qui me paraît des plus prometteurs ! Accompagné d’un vin rouge, celui-ci : le meilleur de votre carte. J’espère qu’il est aussi somptueux que vous en vantez les mérites.. » glissa-t-il sournoisement, dans un sourire fin.
- « Oh vous ne serez pas déçu, Monsieur… Il enthousiasme chaque visiteur… Il possède une pointe d’amertume rehaussée par une dose fruitée agréable en bouche. Le Chateau Marmont aurait été parfait également. C’est un magnifique accompagnement avec l’aubergine, une douceur teintée d’acidité. Mais… Vous pouvez faire confiance à notre premier prix, c’est le numéro 1 de notre carte, ce n’est pas pour rien… »
- « Nous verrons cela, alors ! Il me tarde taaaant... » roucoula-t-il observant l’individu s’éloigner avec une assurance ridicule et misérable.

Comme l’être humain était pathétique… Il attrapa son verre, avalant une gorgée d’eau face à la place vide laissée par Alexis, précipitamment. Elle avait eu peur. Peur de son geste, de sa portée, de son risque.. Sa sorte de suite prouvait que la situation lui échappait bien plus grandement qu’elle tentait de le montrer… Et au-delà de cela… elle avait eu peur de quelque chose auparavant. Cet éclair n’avait pu jaillir sans raison. Oui, sa maîtresse se trouvait sujette à des humeurs variables depuis quelques temps et surtout à une sensibilité accrue mais jamais une manifestation de son pouvoir n’était tirée du néant. Car son pouvoir ne venait pas d’ailleurs : il venait d’elle. La première de la journée par l’effleurement de leurs mains s’expliquait par l’angoisse qui tétanisait la jeune femme à l’idée de l’échographie et de ses réactions au cours de celle-ci. A présent, qu’est-ce qui avait causé celui-ci ? Elle aurait du être détendue, plus à l’aise...et pourtant il lui était apparu qu’elle n’avait eu de cesse que de se tendre progressivement, sans pour autant manifester la moindre hostilité. Des peurs voguaient en elle et toutes causées par cet enfant. Il l’engloutissait de l’intérieur cet indésirable petit être…
Un bruissement de tissu passa à ses côtés et bientôt Alexis reprit place devant lui, dans un sourire d’excuse qui ne parvenait pourtant pas à masquer sa nervosité.

« Je suis désolée... il me faut... un peu de temps je crois. J’ai beaucoup de choses à penser et mine de rien, je m’emmêle un peu les pinceaux. »
« Ce n’est rien… » son regard était tombé sur la main de la libraire tandis qu’elle s’emparait des boissons que venait apporter le serveur, contemplant avec plus de concentration les marques rouges qui témoignaient de la brûlure… Il avait remercié d’un mouvement le serveur lorsque ce dernier lui avait déposé sa propre commande puis attendu que ce dernier s’éloigne pour interroger «  Nous ne sommes pas obligés d’aborder le sujet maintenant, nous sommes avant tout ici pour passer un bon moment, tu peux ainsi décider de ne pas y répondre même si j’apprécierai le savoir.... Lorsque tu dis que cela t’arrive...tout le temps en ce moment….T’ais-tu déjà fait mal à cause de tes pouvoirs ? Avant aujourd'hui ? »

Il s’empara de son verre, détournant le regard d’Alexis pour lui laisser la latitude de choisir ou non de répondre à sa question. Il savait que la libraire possédait une nature bien plus friande de la discrétion que d’expansion. Elle se plaignait peu, ne se plaignait pas de son sort, renfermait tout en elle comme une coquille, portant ses fardeaux sur son seul dos, craignant d’en assommer ceux qui la prenaient en affection. Elle préférait de loin se consacrer à leur problème. Elle était ainsi...désintéressée. Une faiblesse qui lui ferait bien mal. Il n’avait pas de difficulté à imaginer ne serait-ce que l’incroyable souffrance que lui procurerait l’inéluctable arrivée de Chronos un jour prochain. Il conviendrait qu’elle s’endurcisse un peu… Et pourtant...devenir mère ne semblait pas la solution idéale à l’éveil qu’il lui destinait…
Il avait dégusté avec plaisir un peu de sa propre boisson, écarquillant les yeux lorsque la question du prénom revint sur le tapis.. subitement

- « Co..mment… Comment cela nous n’avons pas de prénom pour cet enfant ? » répéta-t-il surpris, rejetant un peu malgré lui la tête vers l’arrière déconcerté « Mais… N’avait-il pas un prénom ? »
- Messieurs dames sont servis…

« C’est d'une gentillesse...Maintenant déguerpissez... »
Les mots lui brûlèrent la lèvre mais ne dépassèrent pas le stade de ses pensées. Mais il ne les cracha pas comme le dictait son envie, préférant s’interrompre subitement, son visage faisant apparaître à la va-vite un sourire aimable, alors que le serviteur déposait devant lui une assiette remplie de victuailles. Une odeur s’en élevait, attisant son estomac. Oui, la faim le tenaillait, il devait l’admettre. Contrairement à Midas qui avait craint que la vue de l’Erreur ne lui coupe l’appétit et donne un goût aigre à toute nourriture, en définitive, cela n’avait rien entaché.
Pour ainsi dire, il s’était contenté de le toiser un peu, constatant que l’appareil ne permettait pas de distinguer les traits du visage avec suffisamment de précision pour écarter ou confirmer le visage qu’il avait eu… Il savait QUI il était. Il connaissait son prénom...son identité. Avant même qu’il ne naisse.

- « Oh mais que tout ceci me semble appétissant… Merveilleux. Merci mon brave. Vous pouvez disposer. » commenta-t-il en saisissant sa fourchette. « Bon appétit, Trésooooor »

Il piqua un morceau, promptement, s’en délecta avant de poursuivre, fixant Alexis, qui semblait attaquer son plat dans un entrain bien moindre :

- « Nous avons été interrompu. » sonna-t-il théâtral « Donc je disais. Sauf erreur de ma part…. Cet enfant est déjà pourvu d’un prénom. Isaaaaac. Un prénom assez raffiné dans ma contrée. Et étymologiquement, cela signifie « et Dieu a sourit ». »

Un tic titilla le coin de sa bouche, nerveusement. Elle ne comprendrait pas s’il venait à s’en expliquer, s’il venait préciser qu’il avait, en l’occurrence, bien plus sourit jaune en apprenant sa venue. Bien que particulièrement vrai, cette remarque risquait de la peiner et de la froisser davantage. Non pas qu’il craignait sa colère, mais il respectait son choix suffisamment pour éviter de lui donner en permanence à subir la désapprobation qui pourtant ne le quittait guère. D’une certaine manière, elle souffrait déjà suffisamment. Il picora une nouvelle portion de son assiette puis rajouta :

- « J’ignorais que tu n’aimais pas. Je pensais même qu’il te plaisait. Pour ma part, j’ai toujours apprécié particulièrement ce prénom. Qui l’eut cru… ? »

Il prononça la dernière phrase bien plus interrogativement… A sa propre intention. Puis s’arrêta un instant, pensivement. Oui. Qui l’eut cru, après tout ? Il s’était toujours refusé à avoir un enfant. Dans le Monde auquel il appartenait cela allait de soit. Le Futur Roi, le Futur Mari de la Princesse Anneliese ne pouvait pas fonder une famille avant de dérouler son plan, cela aurait constitué une faute de parcours impardonnable. Et dans son monde comme dans celui-ci...il n’en voulait pas.
Il s’était toujours dit que si cette catastrophe venait à s’opérer, il la détruirait avant même qu’elle ne voit le jour. Qu’à l’inverse, si elle venait à survivre, il ne lui accorderait pas une miette d’attention…. Alors songer à choisir un prénom !
Le plus affreux aurait pu trouver grâce à ses yeux tant il accordait de dédain à cette vie nouvelle qui s’apprêtait à prendre corps… Et pourtant… Cet enfant...devait s’appeler Isaac. Il était une pièce de ce Futur potentiel dont il ne voulait pas se détourner. Il était l’Erreur, cet enfant indésiré et indésirable qu’il avait admis néanmoins.
Cet enfant devait s’appeler Isaac. Et étonnement, le Futur avait choisi pour lui ce prénom qu’il trouvait si élégant. Il avait choisi...le prénom qui lui serait venu spontanément à l’envie s’il avait du en choisir un.
Non. Pas le Futur. « J’écris mon Destin. »
Ce n’était pas le Futur qui avait choisi le prénom de cet enfant...cela avait été lui. Alexis avait du approuver et valider, mais il su que la proposition ne venait pas de la libraire…
Il se mis à poursuivre, pensivement, déposant l’ambroisie de ses yeux sur les iris bleus de la jeune femme :

- « Vois-tu… C’est un charmant prénom, élégant et chargé d’Histoire. Du Passé...et du Futur. Ne manque que le Présent… » il inspira un bref filet d’air et interrogea « Alors...pourquoi pas ? Pourquoi non ? Isaaaaac » il répéta le prénom, dans un souffle lentement, laissant sa langue en marquer toutes les syllabes, tandis que ses yeux s’illuminaient un peu. Un début de sourire releva le coin de sa bouche, puis il attrapa sa coupe pour en éponger la soif. « A vrai dire, je n’arrive pas à imaginer quelqu’un d’autre que cet enfant. Ai-je tort...peut-être mais il me semble qu’il n’est pas question de choix mais d’un fait. D’une espèce d’évidence... » il se caressa lentement la lèvre de l’index pensivement, sans quitter sa maîtresse des yeux « L’échographie n’a fait que le confirmer. Pour qu’il advienne dans ce Futur il ne pouvait qu’avoir ce présent… Et fait non négligeable : Il m’est impossible d’arriver à considérer que les enfants que nous avons vu sont interchangeables. Le contexte dans lequel ils évoluent peut l’être, mais les êtres que nous avons rencontré ? J’en doute réellement. »

Sa main droite chevaucha la nappe pour s’arrêter à proximité de celle d’Alexis. Une tension semblait irradier d’elle si bien qu’il imagina aisément l’armure en champs magnétique qui se fondait dans l’entièreté de son corps. Il ne désirait pas encore expertiser la sensation désagréable d’une décharge incontrôlée mais..il n’avait pas besoin de le craindre. Suspendant sa main, un bref instant, il lui donna la possibilité d’anticiper le geste sans même effleurer sa peau, d’en imaginer les contours, le toucher sans rompre le contact oculaire puis finit par glisser ses longs doigts fins sur son poignet gracile dans un toucher soyeux.

- « Nous pouvons faire le choix de ne pas les appeler dans nos vies, mais nous l’avons fait. Une fois que nous décidons de le faire, comment pourrait-il en advenir d’autres ? Pour celui-ci… Les dates coïncident et le symbole également.  Conçu dans la Nuit du Futur…Quelle ironie.» il marqua une pause, portant son verre à la bouche de sa main pour apurer son sourire cynique mais qui demeurait doux à l’encontre d’elle. L’acidité ne lui était que purement destiné… A Lui. Sa main droite avait enserrée délicatement le poignet d’Alexis le conservant entre ses doigts comme un objet précieux et parfois son index remontait le long de sa chair pour venir effleurer le dos de sa main.
Il finit par poursuivre, lançant à voix haute les interrogations qu’il avait vécu et qui n’avaient pu que la traverser également

- « Un prénom change-t-il un enfant ? Si nous le nommons autrement, empruntons-nous un chemin encore jamais traversé ? Ou nous retrouverons nous au même point à un détail près ? Cela ouvre-t-il une porte pour mieux en refermer d’autres ? Ne prête-t-on pas au battement d’ailes d’un papillon un pouvoir démesuré ? Ou sous-estimons nous au contraire sa force ?
Et plus que tout… Qu’en est-il de toi, mon cher trésor ? Après tout, Alexis...tu aimais cet enfant…En désires-tu un autre ? En imagines-tu un autre ? Parviens-tu à le faire ? »


Il sonda son visage fin et angoissé avec une intensité nouvelle, subitement saisi. Pouvait-elle réellement rejeter le prénom de l’Erreur ? Et ce faisant, cela changerait-il toute l’Histoire ? Il se trouvait persuadé que non. Il écrivait le Futur. Son Futur. Et son Futur était de gouverner le Monde. S’il pouvait gommer le visage de ce petit marmot, il le ferait sans la moindre hésitation… Mais son prénom ? Non. Il était significatif. Et qui plus est, il en aimait les sonorités. L’unique chose qu’il appréciait chez cet enfant.

- « Mais...peut-être me suis-je fourvoyé… Peut-être que tu ne désires juste pas nommer cet enfant ainsi ? Peut-être préfères-tu… Qu’en sais-je ? Ursule ? C’est assez plaisant également…Et poétique. Je pensais que tu trouverais néanmoins cela beau : Isaac. » soupira-t-il lentement « Mais rien ne presse. Evidemment. Je désirais simplement te faire part de mon avis. De mon envie aussi. Oui… Cela lui conviendrait parfaitement à mes yeux… Avec une telle clarté ».

Il dévia la tête, la tournant vers la fenêtre pour y observer le Soleil qui brillait encore radieusement, avec éclat dans le ciel limpide qui se dégageait. Oui. Il pouvait faire cette minuscule petite concession pour obtenir ce qu’il désirait. Qu’est-ce que l’Erreur s’il obtenait enfin la Couronne ? En mieux encore que ce qu’il avait eu l’occasion d’expertiser. Même l’existence de ce misérable petit être ne parvenait pas à salir la perfection de son ciel. L’Avenir. Son Avenir se voulait RADIEUX. Prêt pour la Lumière sombre qu’il projetterait sur le Monde. Oh que tout ceci était enthousiasmant !

- « Je pourrais venir ce soir. Un peu plus tard qu’à l’ordinaire, je dois finir un dossier… Un patrimoine placé dans une solution assez délicate que je dois étudier puis redresser en conséquence pour en exploiter le meilleur, afin que son propriétaire fructifie…Cela va me prendre un peu de temps mais rien qui ne me fasse passer une nuit blanche. » il opina pour lui-même puis ajouta « Si tu retournes à la librairie, tu pourras m’avertir si ma commande est arrivée ? D’ailleurs, il faudra que tu me dises comment tu envisages ensuite de gérer l’ensemble une fois que tu seras...un peu plus indisposée au travail quotidien du fait de l’ampleur de la situation. As-tu besoin de faire recours à un gestionnaire ad hoc ? J’en connais au besoin... »

Il avait changé de sujet de manière légère. L’heure tournait… Il contemplait son plat vide à la seconde où le serveur se dirigea vers eux, à nouveau:
- « Avez-vous bien mangé ? Le vin a-t-il été à votre convenance Monsieur ? »
- « Oh, évidemment il est assurément plus savoureux que nombres des restaurants. Il est agréable. Loin de l’éloge gargantuesque qu’en fait la carte, néanmoins. Mais agréable, je le concède. » articula-t-il dans une mine affable où la condescendance perçait en sous-ton presque insondable derrière le sourire aimable et conséquent qu’il servit au serviteur qui finit par lui sourire avec admiration « Néanmoins, je note que vous le vendez avec une belle aisance. Si vous conservez cette aisance mais que vous y ajoutez une once d’impartialité parsemée d’une dose de votre avis personnel si pointu concernant le choix du dessert que nous devrions entreprendre, je suivrais votre proposition...Après tout, pour le connaître...c’est vrai, le Château Marmont aurait été une belle option...Alors… »

Il laissa sa phrase en suspend sachant qu’il saisirait le reste… L’appel de l’argent, l’appel du pourboire… Cela fit mouche que l’individu se lança bientôt dans une tirade dithyrambique concernant plusieurs choix potentiels, prenant grand soin de prendre le temps d’écouter chaque demande. Preminger l’écouta avec « bienveillance ». Au moins, cela encouragerait Alexis à se sentir plus à l’aise dans ses interrogations liées aux aliments qu’elle pouvait consommer… Elle en faisait tout un soin particulier que l’ancien ministre trouvait particulièrement inutile mais qu’il ne contestait pas pour autant. Elle faisait ce qu’elle voulait. Le jeune serveur finit par s’éloigner et il savait ce qu’il lui destinait. Un billet de 200 dollars. Voilà qui n’était pas cher payé mais qui impressionnerait sans contester ce jeune petit innocent…
Il repoussa son verre puis sourit à Alexis, plissant les paupières avec satisfaction :

- « Aaaah, il y a des talents partout, non ? Mon Trésor… Tu es bien pâle tout de même… Tu te fais trop de soucis… Tu devrais peut-être prendre ton après-midi pour te ressourcer un peu… Libère-toi un peu de temps....Profite du Soleil en attendant le crépuscule... »

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Alexis E. Child
« Allez dans la Lumière.
C'est au détour d'une Ombre
que nous attends le Mal. »


Alexis E. Child

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Tu es comme tu es... mais malgré les erreurs, tu me rends parfois la vie de maman célibataire plus douce...


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Edition Octobre-Novembre 2020

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________________________________________ 2021-06-27, 00:20 « Allez dans la Lumière. C'est au détour d'une Ombre que nous attends le Mal. »




Dans l'œil de l'Orage


Il m’observait, incrédule. J’avais fui son regard aussi vite que je l’avais plus, tandis que ses mots avaient une certaine résonnance dans ma tête. “N’avait-il pas un prénom ?” c’était tout ce que je redoutais, pour des milliers de raisons et je ne pouvais plus fuir, j’étais déjà allée aux toilettes, grillant mon joker lorsqu’il m’avait demandé si je m’étais déjà blessée par mon pouvoir auparavant. J’ignorais pourquoi j’avais fait ça, c’était qu’une question sans importance, il l’avait posé avec une véritable douceur, une réelle inquiétude me semblait-il mais cela avait été la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. Est-ce que je m’étais déjà blessé ? Oui, surtout au début, lorsque j’avais appréhendé mes pouvoirs pour la première fois, oui encore quand ils étaient devenus instable, est-ce que j’avais plus peur à présent de me faire du mal ? Assurément. Et en posant sa question, il m’avait ramené à ce soir-là, celui qui me hantait depuis plusieurs mois à présent et dont je rêvais parfois. Je revoyais Vaiana encaisser l’assaut, un cri mourant sur ses lèvres sans jamais les dépasser à cause du choc, je voyais ses cheveux voleter autour de son visage avec volupté tandis qu’elle s’effondrait au sol, inerte. C’était moi qui avais fait ça. J’avais déjà fait du mal avec mes pouvoirs mais jamais jusqu’alors je n’en avais véritablement pris conscience car j’avais toujours eu l’impression que j’avais fait ce qui était juste ou que je n’avais pas le choix, en légitime défense. Pourtant cette fois, c’était une amie que j’avais blessée et j’avais failli la tuer...

— Bon appétit, Trésooooor

— Bon appétit, mon Amour.

Je l’avais précisé sans minauderie aucune, bien plus avec la gorge sèche et une déglutition compliquée. J’avais tenté de dissiper mes doutes, effacer le visage de Vaiana de mon esprit, oublier le problème du prénom avec un mot doux à son encontre mais rien n’y avait fait. C’était un système de défense pourtant bien rôdé mais qu’Erwin n’avait pas encore assez expérimenté pour s’en douter. J’avais du mal avec les compliments et les mots doux, à moins qu’ils deviennent une habitude, il m’était toujours difficile d’exprimer mon amour aux personnes qui m’étaient chères, même si je faisais de plus en plus d’effort en ce sens et que je sortais ce que je ressentais plus souvent maladroitement de ma bouche. Mais Erwin avait une place particulière dans mon cœur, sans doute aussi particulière que Regina et de la même façon que je ne l’appelais “Maman” que lorsque je souhaitais noyer le poisson ou que j’allais mal, je prenais le même chemin avec Erwin et les surnoms affectueux que je lui offrais. Mais le mot doux n’était pas suffisant, parce que je m’étais sentie incapable de manger directement ma paccheri et que je l’avais bougé avec ma fourchette pendant quelques secondes, beaucoup trop longues pour qu’il ne revienne pas à la charge.

Isaac. Pour lui, c’était l’évidence même. Cet enfant s’appelait Isaac. Pourquoi de l’entendre de sa bouche me faisait si mal brusquement ? C’était stupide mais mon cœur s’était mis à battre encore plus fort sous l’impulsion du stress. Si je doutais fortement du Futur que nous avions vu, il semblait le prendre presque pour argent comptant semblait-il. Maintenant que j’y pensais, il n’avait pas semblé surpris en entendant que c’était un garçon. Je ne pouvais pas attendre de lui qu’il saute de joie ou qu’il s’accommode du sexe de l’enfant dans la mesure où il n’en voulait aucun des deux, ni fille, ni garçon. Mais il n’avait pas même semblé surpris, encaissant la nouvelle plus... comme s’il savait déjà la Vérité. Pour lui, c’était une évidence, je le voyais à présent, il n’avait jamais été question de quelqu’un d’autre qu’Isaac et il adoubait mon bébé en ce sens. Je l’observais un instant, mes yeux courant le long de ses traits avait de planter ma fourchette avec un peu plus de force que je ne l’aurais voulu dans l’une des pâtes avant de l’enfourner dans ma bouche. Je l’écoutais alors me parler de ce prénom, son étymologie, son symbole, son histoire aussi et ce qu’il en pensait. Il semblait plutôt aimer. S’était-il figuré que dans ce Futur, il avait lui-même choisi ce prénom ? Pendant ma visite de ce monde, je m’étais longtemps demandé qui en avait été à l’origine. “Mes enfants” portaient tous deux des prénoms anciens et si celui de Rose faisait clairement référence à ma mère et à mes origines, bien que plus caché, il en était de même pour Isaac. J’avais toujours aimé ce prénom, il avait été l’un de mes héros d’enfance dans les contes que me lisait Maman. En grandissant parmi mes Frères et Sœurs, je m’étais rendue compte que c’était un prénom respecté, digne héritier de notre volonté de protéger les mondes entre eux, de les unir. Isaac était un personnage des trois grandes religions monothéistes, le nom d’un de nos fervents frère astrophysicien, Newton et même celui d’un autre, venu bien plus tardivement en notre sein après avoir quitté la Mère Patrie, qui avait inventé (ou peut-être avait-il eu affaire à ces populations) tout un pan de la science-fiction moderne : Asimov. Nous avions donc tous deux des raisons bien différentes de l’appeler ainsi mais je me rendais compte à présent qu’elles convergeaient puisque le prénom nous séduisait égalitairement.

Il l’avouait clairement à présent, il ne parvenait pas à imaginer un autre enfant que celui qu’il avait vu... n’arrivait-il pas à en imaginer une autre relation aussi ? Ce pauvre enfant chétif, meurtri, apeuré, cela ne lui posait aucun problème que cet enfant soit véritablement dans mon ventre. Ca n’avait rien à voir avec une fibre paternelle, c’était de la cruauté, pure et dure... quiconque aurait vu ce spectacle désolant ne l’aurait pas souhaité... Mais j’étais sans aucun doute beaucoup trop dure avec lui, après tout, il n’avait pas assisté à toutes les scènes que j’avais vu, il n’avait pas entendu tout ce qu’Isaac m’avait dit. Rose semblait heureuse de son père, peut-être avait-il su redresser la barre avec le second enfant ? Peut-être même l’avait-il voulu ? Et si c’était le cas, de quoi je m’inquiétais alors ? C’était comme si ce petit garçon dans mon ventre était donc le troisième de nos enfants, il avait pris le temps de s’habituer aux deux premiers, mieux, il l’avait même accepté. Le fait qu’il veuille lui donner le même prénom relevait peut-être plus d’un goût personnel que d’une perfidie résolue. Il fallait que je me calme, Erwin avait raison, j’étais beaucoup trop tendue.

— Le contexte dans lequel ils évoluent peut l’être, mais les êtres que nous avons rencontrés ? J’en doute réellement.

La fin de ses paroles avait fini de me sortir de ma rêverie, de ma torpeur aussi. Je le regardais plus intensément, plus sincèrement, moins perdue dans le vague. Il avait raison après tout. Le contexte pouvait être différent... il pensait donc qu’il pouvait se comporter autrement, que cet enfant aurait une autre vie... Sans comprendre vraiment pourquoi je me rendais compte que je respirais mieux brusquement, pas à la perfection mais toujours mieux que quelques secondes auparavant. Je tentais de m’ancrer là-dessus mais je n’y parvenais pas, Erwin était insatiable.

Par pitié, tais-toi, je t’en supplie...

Je le pensais avec tellement de force mais je n’arrivais pas à le formuler à mesure qu’il me sondait de son regard puissant et interrogateur, à mesure que son flot de question m’envahissait. N’en avais-je pas suffisamment ? Fallait-il qu’il me rajoute toute cette tirade philosophique en plus de cela ? Je me sentais groggy, assommée, comme si je venais de boire une bouteille entière de whisky. Je ne savais plus où j’étais ni comment je m’appelais, je ne parvenais plus vraiment à comprendre la portée de ses mots. Il était en train de m’étouffer et il le faisait malgré lui, ce qui me faisait tenir, me retenir de lui hurler au visage qu’il fallait à présent se taire. Alors pour éviter de faire une nouvelle bêtise, j’avais attrapé mon verre de violette avec une force quelque peu démesurée, le portant à mes lèvres sans ménagement pour en boire plusieurs longues gorgées. J’avais manqué de m’étouffer en entendant sa seconde proposition. J’ignorais si elle était sincère ou pas mais le peu de beauté que je lui trouvais m’aida à concevoir un sourire, puis un rire qui fit baisser la pression qui montait pourtant inexorablement.

— Ursule ?! Non merci, sans façon, mais c’est sympa d’avoir participé.

Je lui avais lancé un sourire en coin, légèrement moqueur pour lui montrer que je rigolais, bien que mon expression restât encore faible face à toute cette tempête qui se déchaînait dans mon esprit.

— Je... je ne pensais pas qu’Isaac te plaisait à ce point, pour être honnête. J’ai toujours beaucoup aimé ce prénom, pour plusieurs raisons mais je ne savais pas que tu partageais ce goût... remarque, c’est logique d’un côté... que tu aimes aussi je veux dire...

J’avais suspendu ma phrase, ne me sentant pas l’envie de la terminer... ni même le besoin d’ailleurs. J'étais persuadée qu’Erwin comprendrait le sous-entendu. Il était évident que je n’aurai pas choisi un prénom pour notre enfant seule. Je ne voulais pas l’inclure sans qu’il le veuille, ce qui expliquait aussi mon oubli jusque-là, mais s’il en ressentait le besoin de participer et de donner son avis, jamais je n’aurai pu donner à cet enfant un nom que son père désapprouverait. Alors si ce fils du Futur portait ce prénom, c’est que d’une façon ou d’une autre, nous l’avions approuvé tous les deux.

— En tout cas je vais en tenir compte mais... tu as raison : rien ne presse.

En répétant ces mots, je m’étais fait la réflexion étrange de voir que le choix de la serviette lui semblait nettement plus pressant que de lui trouver un prénom après tout le laïus qu’il m’avait fait sur le tissu, la qualité, bla bla bla. J’effaçais pourtant bien vite cette réflexion de mon esprit, j’étais déjà assez tendue comme ça, il était inutile de m’en ajouter. Tout en me massant le front, j’avais senti poindre une petite tâche rosée, réaction directe à ma tension que je tentais de ne pas intensifier en la grattant. Faisant retomber ma main sur la table, je lui avais souris faiblement en déglutissant :

— Je crois que j’ai juste besoin d’un peu de Temps. Ça fait beaucoup de choses pour une journée, mais je te promets qu’on fera le nécessaire pour la serviette... On pourrait même peut-être ajouter une couverture au kit, ça se fait aussi les couvertures de naissance...

J’avais terminé mon plat tout en pensant à cette couverture, mon esprit divaguant un peu faire des pensées plus douces, plus calme. Je relevais alors brusquement la tête vers Erwin quand je l’entendis me proposer de passer le soir-même. Encore une raison de calmer mes nerfs. Un sourire sincère était né à la commissure de mes lèvres tandis que je rapprochais ma main de la sienne sur la table, sans le toucher pourtant, le bout de mes doigts effleurant juste doucement les siens.

— Ce serait vraiment super que tu puisses venir... Passe quand tu veux, je serai là de toute façon, je n’ai rien de prévu ce soir.

J’avais hoché la tête d’un air entendu lorsque me demanda de vérifier sa commande tout en terminant mon verre de sirop, fronçant les sourcils à sa dernière proposition.

— Un gestionnaire ad hoc, c’est pas le truc que tu mandates quand tu as des difficultés financières ? Je suis pas en banqueroute, je suis enceinte hein... Et puis... j’ai des employés géniaux, ça va aller, je sais que je peux leur faire confiance, ils ont bien tenu le truc pendant un mois sans savoir où j’étais passé alors surmonter ma grossesse et mon accouchement, ça devrait aller...

J’avais eu un petit sourire convaincu malgré le doute qu’il m’ajoutait en plus. Expirant pour éviter de sentir une nouvelle bouffée de stress m’envahir, je lui précisais :

— Ça te dirait qu’on parle de ça plus tard ? Ne le prends pas mal, mon cœur mais... tu m’étouffes avec toutes tes questions depuis tout à l’heure j’arrive plus à suivre là et si en plus tu me précise que je risque de faire faillite, je sens que je vais exploser... on peut faire une pause, inspecteur Dorian ?

J’avais haussé un sourcil avec un petit rire avant de m’humidifier les lèvres, je n’avais pas encore eu le temps de digérer la moitié philosophique de son discours que déjà il me parlait d’économie. Fort heureusement pour moi, le serveur choisi alors ce moment pour venir nous interrompre pour s’enquérir de l’expérience dégustative à laquelle nous venions d’assister. J'avais laissé la parole à Erwin, me contentant d’appuyer certains de ses dires avec un sourire et un hochement de tête avant de l’observer un peu plus dépitée lorsqu’il commença à faire, ce que j’appelais dans mon for intérieur “son chieur”. Il ne pouvait pas s’en empêcher, c’était une situation que je trouvais drôle même si elle me mortifiait toujours pour la victime qui en faisait les frais. Pourtant, le jeune homme semblait se plier à l’exercice avec un enthousiasme certain et je n’avais pas pu m’empêcher de secouer la tête de gauche à droite avec un air qui signifiait clairement “tu n’es pas possible” en direction d’Erwin quand j’avais vu le serveur s’éloigner. Sentant sa remarque sur mon visage, j’avais posé ma main dessus, stupidement, par réflexe, comme si mes doigts avaient été capable d’en sentir la pâleur...

— Ah... Oui, tu as raison, il faut que je me calme...

J’avais pris un instant pour réfléchir à sa proposition, prendre une après-midi de congé. Ce n’était peut-être pas une si mauvaise idée, j’étais intenable et s’il voulait revenir le soir, je me devais au moins d’être un peu plus sympathique. Il n’y était pour rien après tout. J’avais fini par hocher la tête d’un air entendu :

— Je crois que c’est ce que je vais faire, je vais passer en début d’après-midi pour voir si tout va bien et regarder ta commande et je rentrerai me reposer. Mais je pense que déjà mon dessert va me permettre d’y voir plus clair.

Je lui avais lancé un sourire gourmand avant de tourner la tête en direction du serveur que j’avais vu arriver du coin de l’œil. Il déposa devant moi la tarte fine abricots-romarin que j’avais commandé avec ma boule de glace et après l’avoir remercié et souhaité un bon appétit à Erwin, j’avais enfourné la première partie de ce délice dans ma bouche. Je devais bien avouer que ce genre de dessert avait le chic pour me détendre. J’adorai les tartes, c’était sans aucun doute un de mes gâteaux préférés. Les fruits avaient toujours été un dessert merveilleux, surtout accompagné de sucre, de beurre et de glace à la vanille et je devais admettre que celui-ci ne faisait pas exception. Plus que de me régaler, il m’avait aussi apaisé, le reste du repas, me faisant revenir à des discussions plus légères, lui proposant de me donner ses meilleurs contacts pour la serviette et la couverture puis parlant d’autres sujets, plus personnels, qui tournait plus autour de nous que du bébé. Je l’avais quitté à contre-cœur, un peu de remord dans le cœur. J'avais pourtant éviter de le lui montrer à l'aide d'une boutade sur le méga pourboire qu'il avait laissé au serveur, de façon insensé :

— Monsieur se refuse rien, dis donc...

Lorsque je stressais j’étais incapable de rester de bonne compagnie et je ne doutais pas d’avoir un peu entaché son moment même s’il ne m’avait rien dit. Je me promettais alors de me rattraper le soir-même tout en montant dans ma voiture, ignorant encore que cette promesse, bien que sincère, ne pourrait pas être tenue.


Le début de l’après-midi s’était pourtant bien passé. La commande d’Erwin était arrivée le matin-même et j’en avais profité pour lui envoyer un SMS pour le lui préciser, tout en spécifiant que je reprenais le carton chez moi pour lui éviter un détour. Je devais bien avouer que les premières heures avaient été calme et quand Danny était arrivé à 17h, je lui avais spécifié, à lui et Belle que je préférai rentrer pour me reposer, la matinée ayant été riche en émotion. Tout en déposant la commande d’Erwin dans mon coffre, je soupirais presque de ne plus avoir qu’à monter les marches de mon immeuble pour me retrouver chez moi. Les pensées et les questionnements d’Erwin ne m’avaient pas vraiment quitté et bien qu’ils eussent pu sortir de mon esprit jusqu’alors, tout me revenait avec de plus en plus de force à mesure que les heures passaient. Je remarquai en montant dans ma voiture que le temps s’était alourdi. Les rayons du soleil filtraient toujours mais de gros nuages avaient commencé à apparaître dans le ciel, recouvrant son joli bleuté d’un gris plutôt opaque. Grimaçant face à cette vision, j’avais mis la clé dans le contact en soupirant. Il m’avait conseillé de prendre le soleil et voilà que celui-ci me fuyait. Ce serait un bain alors, un bon bain pour me détendre. En arrivant à la maison, je m’étais rapidement débarrassée de mes vêtements, faisant couler l’eau dans la baignoire, attendant toujours que la nouvelle me soit livrée. J’avais troqué mes habits pour un jogging le temps que tout soit en place, sortant de quoi cuisiner un peu pour m’occuper l’esprit et préparer mon repas du soir. Une fois le bain prêt, j’avais coupé l’eau, un peu trop chaude comme prévu, lui laissant le temps de refroidir le temps que le reste du repas soit près. Vers 18h30, j’étais alors monté dans la salle de bain, j’avais allumé quelques bougie, ouvert légèrement la fenêtre pour sentir la brise agréable du printemps et avait récupéré mon livre du moment avec un verre de citronnade. Tout se passerait bien, il n’y avait pas à s’inquiéter.

J’avais émis un rire en entrant dans l’eau sentant du mouvement dans mon ventre avec un plus de vigueur que depuis quelques heures.

— Tu kiffes la vie ? C’est quoi le soucis ? Maman, se mets dans l’eau et pouf c’est la fête ? Deux fois plus d’eau pour toi tout seul ?

Pour toute réponse, j’avais senti un nouveau mouvement qui s’était vite calmé. J’avais alors entamé ma lecture avant de battre en retraite quelques vingtaines de minutes plus tard, alors que je lisais pour la quatrième fois consécutive la même phrase sans m’en rendre compte. J’étais épuisée de me torturer ainsi les ménages, incapable de me calmer sans pour autant savoir ce qui me stressait à ce point à présent. Je l’avais tant enfuis en moi que je ne parvenais même plus à comprendre si c’était le contrecoup de l’échographie ou la discussion qui avait suivi. Pourtant, la réponse ne tarda pas à me sauter à la figure, tandis que mon bébé bougea une nouvelle fois plus violemment, me faisant faire un bond de réflexe :

— Isaac !!

C’était là... c’était sorti. En pleine torpeur, j’avais pris un instant pour contempler le mur en face de moi, terrorisée par ce que je venais de dire, le souffle court. C’était ça, l’abominable Vérité. C’était ça qui me torturait depuis le début de l’après-midi. Cela faisait des mois que je me mentais à moi-même à mesure que mon ventre s’arrondissait, que mon corps se développait, que le sien se créait. Il était Isaac. Je l’avais espéré. Je l’avais presque rêvé. A chaque fois que je l’imaginais, je voyais le visage de ce garçon rencontré à Noël et ce matin-même... c’était à lui que j’avais pensé. Rien qu’à lui.

Qu’en est-il de toi, mon cher trésor ? Après tout, Alexis...tu aimais cet enfant…En désires-tu un autre ? En imagines-tu un autre ? Parviens-tu à le faire ?

La voix d’Erwin me revint en écho. Non je ne parvenais pas à le faire, non je n’imaginais personne d’autre. Mon fils avait les traits fins de celui que j’avais vu, les yeux dorés de son père, une ressemblance frappante avec celui-ci et des cheveux aussi bruns que les miens. Est-ce que j’aimais cet enfant ? J’en avais plutôt été attendrie, je n’étais pas restée assez longtemps pour les aimer mais je savais que je l’aimerai si c’était lui qui venait à naître. Je l’aimais déjà. Et c’est précisément parce que je ne parvenais pas à le faire, que je n'en imaginait pas un autre, que j’avais peur, j’avais peur de tout. Et si je m’en faisais une telle image que s’il venait à ne pas lui ressembler, je le rejetterai à la naissance ? J’avais lu que certaines femmes n’arrivaient pas à faire le lien avec leur bébé lors de l'accouchement et n’arrivait pas à aimer leur enfant. Et si jamais ça m’arrivait parce qu’il n’était pas lui ? Est-ce que j’arriverai à supporter le fait d’avoir donné à mon fils, mon vrai fils, le prénom d’un autre que je voyais à chaque syllabe ? Et si jamais c’était lui ?! Et si jamais je le condamnais à ce que j’en avais déjà vu : la tristesse, la maltraitance, le manque d’amour. Est-ce que je n’aurai pas le droit de l’embrasser ? Est-ce qu’il me repousserait avec la même force ?

Sans vraiment m’en rendre compte, je m’étais brusquement levé de mon bain, enroulant une serviette autour de mon corps. Ça ne servait à rien d’y rester plus longtemps de toutes les manières, il ne me faisait pas l’effet escompté. Je remarquais alors que le temps s’était fortement assombri au dehors, me forçant à allumer la lumière pour y voir plus clair. Un rapide coup d’œil sur ma monte m’annonça 19h30. J’étais tout de même parvenue à rester une heure dans cette eau et j’avais pourtant l’impression de n’y être resté qu’un quart d’heure. Vidant le syphon, je m’étais alors mise dans la douche pour rincer ce qui me rester de mousse, lavant mes cheveux et frottant avec vigueur sur ma peau pour tenter de me défaire de tout ce stress et ce questionnement... en vain. En sortant de la douche, je m’étais alors stoppée net en entendant au loin le tonnerre gronder pour la première fois. Quelque chose de léger, épars mais suffisamment bruyant pour m’alerter et me laisser perplexe : ils n’avaient pourtant pas annoncé d’orage pour ce soir...

Alors...pourquoi pas ? Pourquoi non ? Isaaaaac

J’avais serré les dents, entendant sa voix toujours plus présente en moi tandis que je démêlais et essorait mes cheveux. Je passais alors ma chemise de nuit blanche, faisant plus le travail d’une robe longue romantique, en ce début de chaleur, totalement acceptable pour ce début de soirée à deux. Pourtant, à mesure que les minutes passaient, je commençais à douter, est-ce que je ne devais pas plutôt annuler ? Il était clair que je n’allais pas mieux et je n’avais ni envie de lui infliger cela, ni envie de subir une dispute ce soir. Pourquoi pas Isaac ?! Il y avait des milliers de raisons pour ne pas accepter ce prénom !! J’avais relevé ma tête rageusement vers mon reflet, mes yeux se posant alors sur mon ventre tandis que ma main venait en dessiner la forme avec douceur.

Un prénom change-t-il un enfant ? Si nous le nommons autrement, empruntons-nous un chemin encore jamais traversé ?

Si seulement... une partie de moi le croyait. Car après tout, l’appeler ainsi, c’était forcer le Destin, le former avant même qu’il ne le soit. Comment pouvait-il en être différemment ? Il l’avait avoué lui-même, il ne voyait personne d’autre que cet enfant, tout comme moi. A ma différence, lui l’avait détesté instantanément. Je l’avais vu, ce regard si intense... malgré tous les efforts qu’il avait tenté de faire ensuite... Et si c’était finalement ce qu’il voulait ? Lui coller un nom qui le ramenait à sa haine pour mieux le détester, pour mieux me punir de ce choix de le garder ? Est-ce j’allais trop loin ? Pour toute réponse, un coup de tonnerre, nettement plus fort celui-ci, raisonna dans tout Storybrooke. Les premières gouttes de pluies virent s’écraser sur le carreau de la fenêtre que je décidais de refermer avant de descendre dans la cuisine.

Ou nous retrouverons nous au même point à un détail près ? Cela ouvre-t-il une porte pour mieux en refermer d’autres ? Ne prête-t-on pas au battement d’ailes d’un papillon un pouvoir démesuré ? Ou sous-estimons nous au contraire sa force ?

Et s’il avait raison ? Et si c’était déjà trop tard ? Et si je n’aurai jamais dû décider de le garder ? C’était évident maintenant, il avait 9 ans... il était un garçon...

Pour celui-ci… Les dates coïncident et le symbole également. Conçu dans la Nuit du Futur…Quelle ironie.

C’était trop fort, je sentais mon cœur battre à tout rompre et sans vraiment le vouloir j’avais secoué avec force ma tête de gauche à droite, tentant de chasser cette idée de mon esprit. Il avait raison pourtant et parce qu’il avait raison, il était parvenu à s’immiscer malgré lui au plus profond de mon être, comme un puissant poison que je n’arrivais pas à contrer. Parce qu’elle était là, la Vérité : je voulais Isaac. Je n’avais jamais voulu quelqu’un d’autre que ce fils que j’avais vu à la minute où j’avais compris que j’allais devenir mère. Je l’avais dit à Anatole, à Vaiana, à Regina, avant de commencer à me réfréner parce que j’avais peur, peur de ce que j’avais fait, peur de ce que je faisais. J’étais une personne horrible. J’avais vu le Futur de cet enfant, j’aurai dû choisir de ne jamais le mettre au monde, lui épargner ça, mais je n’en avais fait qu’à ma tête et il allait souffrir à cause de moi, j’étais la seule qui méritait de souff...

— AH !

J’avais fait un bond en arrière lorsque j’avais senti la puissance décharge qui m’avait traversé le corps au moment où j’avais touché la poignée en acier du tiroir de la cuisine. Me massant la main, je constatais alors qu’autour de celle-ci, le bois du tiroir avait noirci... Mes yeux se posèrent alors instinctivement sur mes mains. Elles étaient là... mes étincelles, ces filaments bleus qui couraient autour de mes doigts de la même façon qu’ils l’avaient fait dans le dôme l’Hôtel Bleu, en moins puissant cependant. J'avais sursauté en réagissant que dehors à présent, la pluie frappait avec force contre les carreaux des fenêtres, le vent s’était levé avec une puissance impressionnante et à mesure que j’observais le spectacle, la grêle s’était formée et mes mains gagnais en intensité tout en tremblant de façon incontrôlable... incontrôlable...

— Oh non...

Je me rendais alors compte que je ne parvenais pas, pour la première fois, à calmer mes mains. Et plus je réagissais à cela, plus le temps à l’extérieur se déchaînait... est-ce que... est-ce c’était moi qui faisais ça ? Complétement paniquée, je m’étais dirigée vers la Veranda pour observer le toit en verre et constater que le temps était surtout noir au-dessus de ma maison, comme si un œil du cyclone était en train de se former. Des éclairs commençaient à strier de ciel, menaçants me poussant vers une seule solution : il fallait que je me tire d’ici. Il fallait que je me calme mais que tant que cela m’était impossible, il fallait que je m’éloigne des habitations... et si... et si je faisais tout exploser comme Vaiana ? Et si je créais une tornade qui détruirait tout sur son passage ? Est-ce que c’était ça le pouvoir du cavalier ? Je n’avais pourtant pas l’impression que tout avait commencé comme ça pour Jaimie ou Wilson... il fallait que je me barre de là...

Dans l’incapacité de prendre ma voiture, j’étais sortie de chez moi après avoir enfilé une paire de ballerines. Je constatais alors à quel point malgré le vent et la pluie l’air était lourd et une ultime parole d’Erwin m’était revenue en tête : “T’ais-tu déjà fait mal à cause de tes pouvoirs ?” Et si je me détruisais ce soir ? Et si je me faisais mal comme je ne me l’avais jamais fait ? Et si je faisais du mal à... Isaac ?
Une fois de plus, la météo sembla me répondre, un éclair de foudre s’écrasant juste à côté de moi avec une certaine puissance, m’obligeant à m’écarter sous l’effet de la peur en hurlant. Tremblant de tous mes membres, mes larmes avaient commencé à couler sur mes joues sous l’effet du choc, tandis que je regardais autour de moi, déboussolée. Il fallait que je trouve un abri. Pas pour moi mais pour les autres, il fallait que je m’éloigne au plus vite. Est-ce que je devais appeler un dieu ? Un titan ? Mais si on me jugeait dangereuse, qu’on m’enfermait ou qu’on me demandait d’avorter ?

Un nouvel éclair s’abattit à mes côtés. Mon corps impulsa le mouvement suivant le lui-même. Bouleversée, je m’étais mise à courir aussi vite que je le pouvais, fuyant le quartier Nord en direction de l’endroit le plus plat de la ville : les champs de Storybrooke, non loin de là. Le meilleur moyen de ne rien détruire hormis moi-même. Sans m’en rendre compte, la tempête que je déclenchais me suivait avec assiduité, quittant petit à petit les beaux quartiers pour me rejoindre dans la paille et la boue qu’elle créait sur mon passage. J’étais désormais trempée, ignorant si c’était des larmes ou la pluie qui coulait sur mon visage, ne sachant quoi faire pour me calmer, épuisée de toute cette course, de toutes mes pensées. Alors quand le terrain me sembla favorable, suffisamment éloigné de toute humanité et toute construction, je m’effondrais à genoux au sol, avant de m’y allonger, me recroquevillant sur moi-même à grands sanglots, les mains posés sur mes bras, les genoux aussi haut que je le pouvais avec mon ventre. Les yeux fermés, je pleurais de tout mon saoul. Attendant quelque chose, un signe, une aide, attendant la mort... ou une accalmie qui ne semblait pourtant pas venir, tandis que la foudre s’abattait régulièrement, tout autour de moi.

Je ne su pas combien de temps je restais dans cet état. Mes bras étaient descendus vers mon ventre pour tenter de le protéger malgré les étincelles qui s’agitaient toujours autour de mes doigts. Mais je finis par l’entendre, ce bruit d’approche, cette voix, je ne savais pas vraiment. J’avais ouvert les yeux et je l’avais vu, la silhouette, au milieu de la tempête, avançant avec difficulté à cause du vent puissant que je provoquais. Il me fallut quelques secondes pour le reconnaître et sans doute j’y étais parvenu grâce à la couleur de son costume :

— ERWIN !! NON ! PITIE !! RECULE ! AAAAAH...

J’avais hurlé tandis que deux éclairs de plus venaient de s’abattre de concert entre lui et moi. M’aidant comme je le pouvais de mes jambes, je me reculais dans la boue toujours allongée, pour tenter de mettre de la distance entre nous.

— VA-T'EN !! C’EST TROP DANGEREUX ! LAISSE-MOI !!!!

Le vent s’intensifia encore contre lui et j’ignorais à cet instant si je parvenais à contrôler ce que je faisais pour le garder à distance ou si ce n’était que le fruit du hasard, un merveilleux hasard, qui m’aidait à le mettre à l’abri... loin de moi... et de nous. Et son image, son visage strié des torrents de pluie, se superposa alors à celui de Vaiana, me comblant brusquement de terreur.

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________________________________________ 2021-07-04, 22:30 « If the crown should fit, then how can I refuse? »




« Des nuages de l'Erreur s'amoncellera plus tard l'orage de la passion. »



Pensait-il qu’elle amènerait, vivrait bientôt la banqueroute ? Une pensée si simple, si dénuée des vices dont étaient ordinairement teintés les propos de Preminger venait pourtant de causer grande inquiétude chez sa maîtresse, qu’il se hâta de préciser :

- « Non… Bien sûr que non… Je pensais plutôt à une personne habilitée, de confiance et en capacité professionnelle de te surseoir pendant ton congés mala...maternité. Je gère le patrimoine des clients et je connais nombre d’excellentes sociétés qui feraient un excellent travail. Certaines sous ma gérance… Tu sais, tes employés sont sûrement efficaces et effectivement, ils ont tenus l’entreprise en ton absence, mais il y a une différence entre s’occuper d’une boutique en cas d’absence subite d’un gérant, qui en définitive ne fut pas si longue pour eux et une absence de six bons mois. Une petite assistance ne peut pas leur faire de mal. Sauf à ce que tu souhaites confier l’enfant à une nourrice après l’accouchement pour regagner rapidement ton lieu de travail, cela doit encore se trouver par les temps qui courent… »

A vrai dire, il connaissait peu les mœurs de l’époque actuelle en matière de maternité, le sujet n’ayant guère figuré dans ses préoccupations principales. Il lui semblait au regard de l’expérience qu’il croisait au quotidien que cette profession de nourrice avait tout bonnement quasiment disparu. Mais en creusant, il demeurait persuadé qu’elle trouverait. De toute manière, sûrement aurait-elle hâte de se débarrasser de ce petit être gigotant pour retrouver le bien-être réconfortant de sa boutique. Les affaires ou le sentimental ? Preminger savait qu’en ce qui le concernait, le choix n’en n’avait jamais été un, mais bien plus d’une évidence folle. Pour Alexis, cela restait bien différent mais… cela elle possédait la trempe d’une femme d’affaire. Ou plutôt...une partie d’elle la possédait. Celle qui pour les besoins d’un groupuscule avait pu revêtir l’allure de Marie. Sa jolie petite couverture vite percée à jour.
Il sourit placidement lorsqu’elle plaida pour une trêve.

- « Je cesse donc là mes investigations, vous êtes libre de circuler librement, Miss Child...Mais ne quittez pas la ville... » il ponctua sa phrase d’un petit rire puis poursuivit d’un ton quelque peu guindé qui gardait cependant une dose subtile de sournoiserie « Je suis désolé.. loiiiiiiiin de moi l’idée de devenir le mauvais génie investi dans ta tête. Je suppose que j’ai besoin de tout indiquer tant que mon esprit se trouve pleinement sur l’ensemble de ces sujets. Mais je ne te souhaite en rien la faillite, je tiens justement à préserver tes intérêts… Ciel, quel mauvais conseiller je ferais, si je te menais tout droit à ta perte, mon Trésor… »

Il ricana, amusé, l’esprit égayé par l’ironie de ses propres mots. Il ne comptait pas réellement enrayer les finances de la librairie, oh non. Mais il avait déjà su ruiner bien plus que cela...et entraîner sur les pentes tellement plus grand d’une seule vie humaine.
Ils avaient été interrompus, évidement, puis une fois la commande prise et le serveur amadoué, ses yeux curieux examinèrent la mine d’Alexis, tandis que sa bouche discoureuse formulait à haute voix la pâleur marquante qui envahissait son visage. Il était rare qu’il la constate aussi affectée… Cela dut inquiéter suffisamment la jeune femme puisqu’elle se rangea à son conseil, admettant la prudence de s’accorder une demi-journée de congés afin de se rasséréner suite à ses différentes émotions. L’envie la titillait visiblement également de profiter du temps si radieux pour se reposer et il opina du menton, doublant sa réponse d’une mine taquine :

- « Passe donc, éloigne tes finances de la banqueroute puis pose-toi. Tu verras, cela sera fort appréciable.. »

En ce qui le concernait, il possédait la chance d’avoir à portée de main Jérémie, si serviable. Ils s’organisaient, toujours même si leurs emplois du temps divergeaient peu. Preminger bénéficiait d’une latitude toute royale, décisionnaire. Midas s’impliquait pleinement dans ses projets, faisant corps avec ses volontés, il savait pouvoir lui ordonner sans réserve de le remplacer au pieds levé pour un rendez-vous sans que ce dernier n’émette plus qu’une remarque qui n’avoisinait pas le reproche. Ce cher Midas, comme il lui tardait de lui confirmait ce qu’il savait depuis l’annonce de cette grossesse ! …
Il n’en savoura que mieux son dessert, l’ombre de l’erreur ne ternissant rien. Il finirait par apprivoiser cette petite déception vivante. La dompter de manière à ce qu’elle n’obscurcisse en rien ses si belles journées. Après tout, il était si indifférent des autres qu’il en serait de même pour ce petit être. Tant qu’il se tenait loin de lui, tant qu’il ne tentait pas de singer honteusement sa magnificence solennelle, il ne lui dédierait rien… S’il s’écartait du sentier d’indifférence insignifiante qu’il tâchait de lui construire, en revanche… Il n’avait pourtant rien de particulier à faire. S’il conservait la personnalité si effacée à l’outrance qu’il avait vue en tâchant de ne pas l’assortir d’une mine aussi...d’un visage aussi...
Il quitta Alexis peu après la fin du repas, non sans avoir savouré quelques petits instants de discussion plus légères ayant pour effet d’apaiser temporairement la jeune femme de ses travers au point que le pourboire laissé «généreusement » au serveur lui arracha un commentaire moqueur, qui révélait, sinon un mieux, au plus une volonté de donner le change en apparence :

Monsieur se refuse rien, dis donc...
« Oh jamais… Tu le sauras si tu l’ignorais encore. » répliqua-t-il en haussant un sourcil avant de ponctuer le tout d’un petit éclat de rire vif.

Il la soupçonnait clairement avoir chois ses mots sciemment, ironisant ainsi sur son credo. Comment refuser ? Etait plus que son mot d’ordre, cela symbolisait son mode de vie, son mode de pensée : il s’emparait de tout ce qui était à sa portée, ne se refusait rien de ce qu’il pouvait facilement obtenir lorsque quelque chose captait son attention. Cela valait à rapporter tout à lui-même. Il décidait, choisissait, pleinement.
Une fois la voiture d’Alexis disparue dans le lointain, il démarra son propre véhicule, lui laissant un temps raisonnable d’écart pour reprendre la route de Storybrooke. En ne suivant pas, cela limitait les risques de surprise et d’imprévus… Guidant sa voiture jusqu’à l’emplacement de parking qui lui était réservé, non loin de son étude, il verrouilla les portes puis entra en grande fanfare dans ses locaux. La secrétaire d’accueil se leva en l’apercevant, inclinant son front dans un geste respectueux :

- « Bonjour Maître Dorian… Votre rendez-vous n’est pas encore arrivé. Il a lieu dans trente minutes. Vous êtes en avance... »
- « Oh très chère, la ponctualité est le panache des souverains… » chantonna-t-il presque avant de tourner une main élégante vers le corridor «  Maître Daas est dans son bureau je présume ? »
Il l’interrogeaait, un pas déjà le séparant de la longue allée bordant le bureau de Midas. La secrétaire secoua pourtant la tête négativement, gênée :
- « Non malheureusement. Il a été appelé à l’improviste. Monsieur Lockwood voulait le voir pour son testament. Je crains que ce brave homme n’en n’ait plus pour très longtemps...Quel dommage »
- « Ouiiii Dommaaaaaaage...effectivement. »

Il n’avait rien ajouté de plus. Inutilité de s’épancher sur ses sentiments ou impressions au profit d’une secrétaire sauf lorsqu’il désirait lui offrir l’image d’un individu si admirable et serviable. D’autant qu’il n’éprouvait rien d’autre qu’une entière satisfaction à cette nouvelle… Et pourtant, Maître Dorian possédait une telle aura de bienfaisance ne serait-ce que pour ses dons si gratifiants dans les bonnes œuvres, le charme bienveillant avec lequel il traitait sa clientèle, qu’on n’entendait que rarement des mauvais ragots se répercuter jusqu’à la porte de son office. Tout comme il avait pris grand soin de s’entourer d’un personnel restreint auquel il servait ce magnifique numéro d’individu exigeant mais passionné, un intellectuel aimable et poli qui ne suscitait que l’admiration de ses semblables. Cela renforçait sa manipulation auprès des clients. Il l’admettait aussi, l’impression que laissait sa femme jouait également, toujours souriante et compatissante, retenant sans difficulté et sans effort le nom de chacun et même leur situation personnelle. Midas faisait office du notaire plus caractériel, plus secret mais néanmoins également appréciable… Cela était la raison pour laquelle il lui laissait de loin s’occuper d’un client comme Monsieur Lockwood aussi important fusse-t-il. Il faisait confiance à son caniche, il avait flairé la piste depuis des années, loin de lui l’envie de le lui en ôter la victoire… De toute manière, il savait pertinemment que ce dernier lui rapportait tout, comme une offrande à un Dieu vénéré.
L’image l’avait fait sourire et il s’était enfermé dans son bureau, se refaisant une beauté profitant des trop courtes trente minutes qui précédait son premier rendez-vous de l’après-midi.
La journée principale s’écoula ainsi pour le moins rapidement. Il conseilla un couple sur l’importance du mariage pour mieux divorcer un autre l’heure suivante, s’épanchant avec investissement sur les méfaits de l’engagement tandis qu’il distribuait une poignée de main à l’un des fraîchement divorcé. Midas n’était pas rentré… Retournant près de son bureau pour trier quelques papiers, il contempla la fenêtre, l’oeil pensif. Le soleil avait été enseveli sous une couche de nuages molletonneux… Il avait été si absorbé par son travail qu’il n’avait pas constaté la variation du temps...comme si celui-ci avait subitement viré vers de sombres auspices…

- « Maître, votre rendez-vous est arrivé. »
- « Je viens. »

Il en avait enchaîné encore, songeant avec dépit qu’au regard du planning qu’il avait lui-même élaboré et définit, le testament de M Lockwood prenait bien trop de temps à Midas pour qu’il puisse espérer le voir avant demain. Oh, il aurait pu le convoquer et il savait que l’ancien animal aurait filé de ses occupations pour se matérialiser en un temps records dans son bureau, cela faisait partie du petit pouvoir qu’il exerçait sur les autres et notamment sur lui, mais il ne le ferait pas. Il manquait de temps… Et pourtant il rêvait de pouvoir lui annoncer de vive voix la nouvelle. Évidemment, Midas s’en doutait déjà. Il le connaissait suffisamment bien, depuis des années, pour savoir que si l’information avait été toute autre, sa réaction eut été bien différente. Il n’aurait pour ainsi dire pas supporté l’attente…

Il sortit finalement du travail à 18h30, prenant le chemin de son domicile tandis que les premières grosses gouttes s’écrasaient contre son pare-brise. Il pleuvait tout à fait lorsqu’il franchit la porte qui menait jusqu’à sa maison à la hâte, maudissant ce « Vilain temps qui menaçait de ruiner la superbe mise en pli naturelle de ses cheveux ». Après que Georgia l’eut rassuré sur ce point fondamental qui risquait de gâter son humeur, il lui raconta quelques anecdotes plaisantes de sa journée, s’enquit de la sienne avec un intérêt profondément factice, ponctuant même le récit de son épouse par quelques exclamations admiratives et enjouées.

-« Oh mais quelle charmante après-midi, vraiment ! Quel bel investissement ! » s’exclamait-il en joignant presque les mains, tandis qu’au lointain, caché dans son esprit, sa voix résonnait d’un mépris dissimulé sur les bonnes œuvres auxquelles elle avait participé, avant d’enchaîner sur ses propres succès.
Sur ces dernières, il s’appesantit bien davantage, précisant nombre de petites réussites qu’il transforma en grandes avancées puis déclara qu’hélas, il devait en revanche se rendre à un dîner d’affaires ce soir. Il espérait évidement rentrer rapidement, même si cela dépendrait évidement de la longueur des discussions et du taux d’alcoolémie de ce paaaaaauvre Jérémie.

- « Sois prudent tout de même sur la route..J’ai l’impression qu’un orage couve » objecta Georgia en jaugeant son allure comme si elle craignait subitement que la finesse de son costume ne suffise pas à le tenir à l’abri de l’averse.
- « Il passera sur moi sans même me heurter, mon ange » répliqua-t-il en saisissant ses clefs. « Ce n’est qu’une minuscule accalmie ».

La densité de la pluie avait cependant doublé de volume… L’atmosphère se couvrait et le soleil jadis si brillant s’en était visiblement allé éclairer d’autres cieux. « Quelle grisaille ». Il fit un parallèle soudainement avec les pouvoirs de sa maîtresse et son humeur et un sourire agita ses pensées. Oui.. Au moins, le ciel était en phase avec les émotions de l’un d’entre eux… Quoiqu’il ne pouvait guère lui en vouloir de broyer du noir. Lui aussi clairement eut agit avec tant de réticence s’il n’avait vu, comblant l’arrivée de cette piètre Erreur, la radieuse place que le Futur lui réservait depuis des années !
Il ne partit pourtant pas la rejoindre. Il l’avait annoncé, lui-même à la jeune femme, il ne venait que pour la soirée, en attenant quelques travaux d’une autre ampleur l’attendait ailleurs… Il retourna donc à son lieu de travail, pénétrant dans l’office vide et sombre pour s’enfermer à son bureau non sans faire quelques détours par la salle du coffre. Dépliant le document sur son bureau, il entreprit de l’annoter avec concentration, levant parfois la plume pour reprendre de plus belle ses écrits, les schémas qu’il couchait sur le parchemin. Un éclair vrilla la ville, le faisait lever la tête brusquement. S’arrêtant un bref moment, soudainement curieux, Preminger entreprit de se lever pour écarter lentement les rideaux. La pluie se déversait à présent en grandes trombes, obscurcissant le ciel pour former de grands rideaux liquides, incessants et orageux. « Georgia avait vu juste » songea-t-il avec un dépit agacé… Le tonnerre ne grondait pas, mais la force de l’éclair qui éclaira à nouveau le ciel fit osciller quelque peu les rares passants qui se pressaient à rejoindre leurs voitures, s’abritant de leurs mains comme des parapluies de fortune, s’exhortant à grands cris de s’abriter au plus vite. Dans la sécurité de son repaire, Preminger ricana à leurs mines détrempées avant de se rasseoir confortablement. Un tel spectacle l’avait mis en bouche.
Son téléphone sonna et il décrocha, croisant les jambes avec une superbe décontraction  :
- « Ooooooooh halloooo ? » chantonna-t-il.
- « Tu me croiras ou non… Le vieillard s’est enfin décidé à faire le juste choix. Je viens à peine de m’offrir une douche.. J’ai encore le dîner avec son neveu ce soir… Je regrette vraiment que tout ceci soit intervenu aujourd’hui.. C’est»
- « Fabuleux ! Fabuleux, voyons ! Imagine l’argent qui en découlera… Même si...  Oh Jérémyyyy, j’aurais tellement voulu tout te dire en face ! » Il avait porté une main tragique à son front, dans une pause dramatique que seul son reflet ne pouvait apercevoir…

Pourtant, le chien se trouvait réellement fort déprimé de n’avoir pu voir son maître, de ce qu’il en ressentait aussi. Midas était ainsi, moins flamboyant que Preminger, plus lisible également. Preminger ne lui en avait jamais tenu rigueur, il l’avait gâté autant que possible. Et cette sorte de relation curieuse s’était poursuivie même dans ce monde, s’était modifiée pour demeurer pourtant la même. Et pourtant, même s’il regrettait aussi de n’avoir pu lui annoncer de vive voix, Preminger n’aurait cependant voulu pour rien au monde qu’il ne cesse la mission qu’il lui avait confié aujourd'hui. Il regrettait juste que l’aimable décrépitude de Lockwood eut surgit si présentement… Le Temps demeurait, pour certaines petites choses, bien incontrôlable. Peu lui importait tant qu’il parvenait à l’infléchir sur la durée. Le Temps jouait pour lui.
Il se mis donc à entretenir son associé de l’ensemble des événements, rejetant sa tête sur le fauteuil en cuir las, dans un geste étudié. Choisissait ses mots, insistait sur d’autres, accentuait le drame de certaines scènes… Pivotant un peu, ses yeux se posèrent sur la fenêtre. N’ayant pas rabattu les rideaux, il pouvait sans peine observer comme le courroux de l’orage avait subitement croit, les éclairs soulignant presque chaque propos mesquins qu’il dirigeait à l’encontre de l’Erreur. Quelle magnifique intensité dramaaaatiiiiiique.

- « Alexis voulait que je regarde l’imaaaaage.. De toute manière, il était encore non formé… Une insignifiante petite choooose. » un éclair fusa éclaira la salle, tandis qu’il lui souriait presque poursuivant «  Mais son visage minuscule, je l’ai vu et laisse-moi te dire que je suis persuadé qu’il ne me… qu’il n’aura pas les traits qu’il avait dans le Futur. La vraie Beauté se forme dès l’origiiine, dès ma naissance, on chantait déjà mes louaaaanges. Non pas qu’il soit laid. Son père est superbe et sa mère est belle, n’est-ce paaaas ? Mais il ne possédera pas ma transcendance. »
- « Mais comment le pourrait-il seulement ? Personne ne peut être comme toi » approuva Midas, et Preminger savait qu’il le pensait. Une bourrasque de vent souffla dehors, balayant les arbres qui secouèrent leurs feuilles avec une vigueur puissante, tandis que Midas poursuivait, d’une voix soudainement assourdie par le grondement de l’orage « Oh… Quel temps !… Oh Erwin...J’ai vu un éclair manquer de peu ma fenêtre… Presque… Je crois que la foudre est tombée non loin de là. Quel temps de chien. »
Preminger pouffa sonorement. Il ignorait si Midas avait voulu faire là preuve d’un lumineux trait d’esprit ou si la formulation lui était venue naturellement par hasard, mais l’ironie se révélait subtile. Il s’étira un peu, observant avec langueur la tempête s’intensifier. Son esprit s’y absorbait, fasciné… La Fin de toute chose… La déchéance et l’Ascension, voilà ce que cela évoquait à ses yeux gorgés de vanité..

- « Oh. Vraiment ?  Si cela se trouve, la proximité de ta nouvelle voisine les attiiiire. » plaisanta-t-il suavement, s’accordant un sourire pour mieux se tourner face à la fenêtre.
- « Ma nouvelle voisine ? Tu veux dire, Alexis ? »
- « Évidement. Qui d’autre dans ton voisinage est doté de pouvoirs aussi somptueux que celui de contrôler les orages ? »

Il avait levé les yeux au ciel presque, avec indulgence cependant, ses pensées s’abîmant déjà sur l’orage.. Oui… C’était un pouvoir magnifique… Il n’avait que peu eu l’occasion de le constater de près mais cela viendrait… Comme l’électricité qui s’échappait parfois de son contrôle… Le pouvoir de Zeus. La Foudre. Comme il devait être plaisant de posséder un tel empire… S’il le lui avait appartenu directement, comme les choses auraient été simples. L’immortel fléau d’un monde qui ploierait sous sa noirceur… A défaut, le manier par procuration serait néanmoins grisant. « ça m’arrive tout le temps en ce moment... »
La voix d’Alexis avait envahi son esprit sans crier gare, son image hagarde dansant sous ses prunelles.
Il avait plaisanté mais se demanda soudainement si cela ne pouvait être possible.. Après tout, Alexis se trouvait dans un tel état de stress… Celui résidait à présent au dessus de leurs têtes pouvait-il ressentir son pouvoir ? Pouvait-il se trouver attiré ? Ou même… ?
La lumière vacilla soudainement, s’éteignant un bref instant, le tirant subitement de son raisonnement. Il leva la tête, observant l’ampoule se rétablir, puis subitement s’éteindre dans un grésillement lent.
Ignorant la discours que lui tenait Jeremy , reléguant ses réflexions sur les états d’âme d’Alexis dans un coin de sa tête, il bondit sur ses pieds, frappé d’une nouvelle évidence, d’un feu nouveau. D’un pas, il s’approcha de la fenêtre, constatant que l’entièreté des lampadaires de la ville se trouvaient éteints. La pluie ruisselait de toute part, emplissant le ciel d’une sombre grisaille rythmée par les grésillements tempêtueux de l’orage. De sa main valide, il se pencha pour saisir à tâtons le combiné téléphonique qui se trouvait sur son bureau, sans prendre la peine de détourner le visage du déluge qui se jouait sous ses yeux, observant les grandes eaux dépasser le niveau des canalisations, approchant le seconde combiné téléphonique de son oreille. Il n’y entendit nulle tonalité. Le relâchant aussi vite, il trépigna presque, sous les battements du tonnerre :

- « Oh Midas ! La Tension électrique vient de faire exploser les compteurs électriques de la ville. » murmura-t-il soudainement excité, ses yeux s’allumant tandis que le tonnerre grondait encore, faisant trembler les murs de l’office. « Appelle Gajeel et l’équipe. J’avance l’opération.. »
Sa voix sonna sans appel comme un coup de massue. Et quand bien même les grondements de l’orage se propageaient avec une intensité accendante, la réponse de Jérémy fut pour lui parfaitement audible :
- « Quoi ? »
Jérémy avait haussé la voix, sur le coup de la surprise ou par mauvaise entente, Preminger ne savait pas. A vrai dire, il s’en moquait un peu. Il répéta pourtant, posant sa main le long du mur, trouvant là, la vibration sourde qui émanait de la tempête qui prenait corps. Les fondations tremblaient… Quelle bénédiction que tout ceci !
- « L’ensemble des alarmes de la ville ont sauté. » ajouta-t-il sa voix s’emballant d’enthousiasme « Je n’aurais pas meilleure occasion. L’orage couvrira l’action. Nous serons totalement couverts. Invisibles. Insoupçonnables. »
- « Tu veux envoyer une équipe par ce temps ? » s’étonna Midas « Mais..que… « 
- « Oui. Il n’y aura pas meilleure concordance. Qu’est-ce qu’un peu d’eau face à l’or ? Imagine donc...il suffit seulem..  »
Un cri de Midas, étouffé, le distrayant néanmoins directement du petit rêve éveillé que son esprit créait sans peine. La teneur du cri le rassura instantanément, même s’il demandait déjà , d’une voix hautaine qui trahissait pourtant une inquiétude:
« Allons ? Qui y a-t-il ?  Qui y a-t-il donc ? »
- « R...Rien. Je n’ai jamais vu un orage si...fort. » Il jouait avec ses humeurs… Preminger aurait pu le gifler pour cela, mais il ne se trouvait pas en face de lui et il aurait été bien en peine de lever la main sur lui. Pour autant Jérémy poursuivait toujours, le souffle court, que l’ancien ministre devina qu’il devait guetter le déluge depuis sa fenêtre «  Pour peu, je pensais qu’il tonnait chez… chez moi… Tu verrais dehors...c’est incroyable. INCROYABLE… JE...Je n’ai jamais vu ça. Il y a de la grêle. De la grêle, Erwin ! Et les éclairs…depuis qu’ils sont arrivés, ça ne se stoppe pas. Qui sortirait par un temps pareil ?
- « Mais que racontes-tu là ? Il n’y a pas de grêle ici... » il avait froncé les sourcils, penchant son front près de la vitre, jusqu’à presque le coller contre la fenêtre froide. Il voyait la lueur des zébrures d’électricité fendre l’horizon non loin de son quartier… Il voyait les trombes d’eau, les bourrasques violentes secouer les pins jusqu’à leur ôter leurs fleurs fraîches et vertes, les emportant au loin, broyées par la tempête… Mais nulle grêle.. Aucune grêle. Et les éclairs fendaient le lointain…
N’était-ce pas anormal ?… La tempête toujours se déplaçait. Elle finissait toujours par se déplacer…
- « Erwin… Je t’assure...Il y a de la grêle. Et...»  le son du tonnerre entrecoupa sa voix « Ils sont.. PARTOUT. Ils sont concentrés là. Ils environnent le quartier. »

Les yeux du ministre s’étaient subitement obscurci, pris subitement d’un sombre doute tandis que la lueur d’un éclair zébrait la fenêtre, se réfléchissant sur la superbe de son apparence. La lueur illuminant la fenêtre réverbéra son reflet blême, sonné par la révélation. Sa main serra un peu son téléphone tandis qu’il déclamait, d’un ton qu’il tenta de dominer, mêlé pourtant d’effroi et d’excitation:

- « Midas…Monte à l’étage… Non. Mieux. Monte sur ta terrasse. »
- « Sur ma TERRASSE ?  C’est une quasi tempête, Erwin. TU entends tu entends le tonnerre ? »
- « Monte sur ta terrasse, MIDAAAS ! «  cria-t-il tandis que sa voix accentuait ses accents aigus qu’à l’ordinaire il prenait soin de gommer, entendant de ce fait les pas soudainement précipités de son associé. Il suivit sa course à distance…

Cela ne lui arracha aucun sourire pourtant, ses yeux, qui s’étaient portés à l’horizon, n’en déviant pas. Transperçants le lointain d’une certitude profonde. Il attendait. Entendit alors, la pluie battante comme si elle se fondait dans sa propre pièce, devinant ainsi que Jérémy était sorti, bravant la tempête pour suivre sa demande…

- « Dis-moi, où. Où ‘est l’orage… » pressa-t-il
- « Il est LA. Il est au dessus de ma tête... »
- « Pas de la tienne, Midas. Les éclairs. Ils surviennent de ton côté est… N’est-ce pas ? Concentre-toi, c’est important... » il entendit après une brève seconde silencieuse, la confirmation de son caniche et pivota, sur ses talons, ouvrant rapidement la porte de son bureau, se précipitant dehors. Il savait. Ce qui se tramait. Ce qui se passait. Ce qu’il devait faire. « Bien. Sors maintenant… Rentre. Ecoute-moi bien Midas…. Tu vas faire exactement ce que je vais te demander, sans poser de question pour le moment. Descends. Va à ton garage et mets-toi au volant de ta voiture...Tu as une minute, exaaaactement.. Je te rappelle. »
Il passa outre les jérémiades de Maître Jérémy Daas. Il n’avait pas le temps pour ça. Il fallait aller vite.
« ça m’arrive tout le temps en ce moment... »
Quittant précipitamment le rez-de-chaussée, documents en main, il aboya quelques nouveaux ordres au téléphone rapidement, fit quelques promesses, puis referma le coffre-fort rapidement, pressant contre lui un paquet sombre. Le tonnerre semblait s’atténuer. Remontant l’escalier, il coinça le tout sous bras jusqu’au vestibule, recomposant le numéro de Midas. Tandis que ce dernier sonnait, il suspendit sa main sur la poignée de porte, l’appréhension le gagnant soudain. Dehors...La tempête battait son plein.. Il la percevait, l’entendant cette grondante symphonie… Devinait son odeur et les larmes qui coulaient le long des rues, mouillant et noyant chacun dans leurs sels. Elle s’écoulait des cieux, dégorgeant sur la ville ses peurs, grondant ses terreurs à la face d’un monde sourd…
- « Y es-tu ? Parfait. Maintenant. Roule. Roule vers le centre-ville..ROULE. Et surveille l’orage. Surveille l’orage. » volciféra-t-il
- « Tu lances vraiment l’opération ? Erwin tu es... Bon.....bon...Si tu veux »

Cela suffit à le galvaniser suffisamment pour ouvrir la porte à la volet. Ses narines s’enflant de l’odeur incomparable de la pluie battante. Qu’à cela ne tienne. Il s’y élança, laissant à l’eau le privilège de lui effleurer la tête, avant de s’engouffrer dans sa propre voiture, sa paaaauvre Rolls Royce détrempée… Quel piteux état.. Plaçant le tout dans sa portière, il fit vrombir le moteur, posant le téléphone sur la banquette, démarrant en trombe. « ça m’arrive tout le temps en ce moment... »… Faisant aller ses essuies-glace, il observa l’avalanche d’eau s’y écraser, tandis que sa voiture se pressait entre les rues vides. Le peuple semblait s’être évaporé. Tout juste quelques âmes en peine se pressaient contre les briques des maisons, s’abritant sous leur abri de fortune.. Il les éclaboussa par mégarde, sans les plaindre pourtant, trop focalisé par tenir la route, craignant que le niveau d’eau ne fasse glisser ses pneus…
- « J’ai l’impression que la tempête se déplace… » commenta la voix de son caniche du siège à sa droite. « Sans pour autant diminuer en intensité...Mais ... »
- « Où ? Dis-moi où. J’ai besoin de savoir… Te suit-elle ? Vient-elle vers moi ? »
- « Vers toi ? » une nuance d’incrédulité s’entendit « Non… Non.. C’est comme si… Je vois mal dans le rétroviseur, mais c’est comme si elle quittait Storybrooke… C’est comme si elle allait à travers les champs... »

A travers les champs. Bien sûr. Il n’y avait rien là-bas. Aucune âme humaine qui vive, juste les cultures qui croissaient dans le silence.. L’endroit rêvé. L’endroit sûr. L’endroit sûr pour tous, hormis pour…
Louvoyant sous la pluie, dérapant un peu, et priant pour éviter l’aquaplaning, il inspira un bref coup. Pourquoi diantre paniquer ? Des seules personnes qui auraient pu en souffrir l’une cheminait à présent vers le cœur de la ville et l’autre s’enfuyait loin. Lui...En revanche voguait parmi les flots… Il ne fallait pas traîner. Il devait la rejoindre. Rejoindre la tempête. Il déclara alors, les dents serrées, les yeux rivés vers les éclairs qui se reflétaient derrière les immeubles.
- « Ecoute-moi. Les habitants se terreront chez eux, les autres auront les yeux rivés sur le problème électrique. J’ai déjà envoyé mes premiers hommes attaquer le système de protection et de surveillance du musée, ils auront bientôt fini de le réduire à néant. Si l’électricité venait à être rétablie, tout se rallumera hormis cela… J’ai appelé les jumeaux, ils sont en chemin. Demande à Nick de prépare une diversion. Qu’il la lance sitôt les effets de l’orage terminés. Que sais-je ? Un incendie du à une surchauffe ? Cet imbécile n’a pas besoin d’ordre pour produire une catastrophe, il ne devrait donc pas rencontrer de difficultés à en créer une si on le sollicite en ce sens. C’est bien la seule chose pour laquelle son cerveau est inventif, n’est-ce pas ? Que mes voleurs se pressent ensuite. L’occasion est trop belle. Mais l’orage ne durera pas éternellement, c’est la raison pour laquelle tu dois veiller à ce que les choses se passent vite. Ne perds pas ton temps à rejoindre l’étude. Rends-toi directement au musée. »

Il y eut un silence au bout du combiné. Il l’avait précisé sachant que cette évidence avait échappé à Jérémy. Et cela ne manqua pas de se vérifier puisque ce dernier demanda soudainement :

- « Toi… Où seras-tu ? Où es-tu ? »

Il savait que son chien espérait et croyait encore sincèrement qu’il se trouvait à l’étude. Royalement installé, se prélassant orgueilleusement un verre de vin à la main, orchestrant de son pieds d’estale, sans prendre la peine de se mouiller ne serait-ce qu’un peu. Mais, il savait aussi que Midas le connaissait suffisamment pour que son instinct lui souffle que ce n’était pas la vérité. D’où l’appréhension qui perçait sa voix grave.. Tandis qu’il s’engouffrait dans une allée, il décréta avec théâtralité ce qu’il avait gardé pour lui encore jusqu’à présent, rendant enfin réelle l’évidence qui l’avait soudainement frappée :

- «  C’est Alexis, Midas. L’orage. C’est Alexis »

Il aurait du le savoir. Et peut-être l’avait-il su à la minute où son esprit avait tourné la chose en dérision pour ne pas assimiler l’impensable. A présent il obtenait la réponse à la question qu’il lui avait posée précédemment… Ce qu’elle avait détourné. Il contemplait de face, l’incarnation même de sa puissance et de sa peur… T’ai-tu déjà fait mal ? Elle pouvait faire plus… Bien plus que cela. Et il contemplait, vivait dans la frénésie tempétueuse que déclenchait sa peur.

- « ...C’est… ALEXIS ? Avec cette puissance ? Tu...veux dire que...tu lui as demandé...d’orchestrer tout ceci ? Pour toi ? Pour l’opération ? »
Un rictus se forma sur la bouche du notaire, tandis que la luminosité sinistre causée par la Foudre s’intensifiait, signe qu’il suivait le bon chemin…
- « J’aurais adoré… Mais non. C’est l’Erreur qui cause cela. Cet enfant altère son comportement, il la bouleverse. Je te disais combien elle était affolée tout à l’heure.. Tout est lié… Maintenant, elle n’agit pas consciemment. Ses pouvoirs sont hors de contrôle… Ils s’échappent d’elle. Ils sont… libres. Relâchés.  »
- « Erwin… Pitié. Non. »

Sa bouche s’ourla dédaigneusement mais il ne répondit rien. Sa voiture se frayait un chemin parmi les maisons du quartier nord. L’itinéraire qu’il avait suivi n’était pas le même que Midas, l’ayant volontairement modifié pour ne pas risquer de croiser son cher acolyte provoquant ainsi une incompréhension de sa part, mais il n’avait pu s’empêcher de passer devant la rue qui abritant SA maison. Il lui jeta un bref coup d’œil tandis que sa voiture fendait la route, constatant rapidement les nombreuses traces de brûlé que les éclairs avaient laissé sur la pelouse de sa maison… Une chance que la pluie tombait encore, sinon nul doute que le quartier aurait été embarrassé de l’intégralité des voisins venus constater les dégâts de la tempête sur leurs propriétés. Ces mêmes voisins qui n’auraient pas manqué de souligner que l’orage était venu et avait suivi cette fille fraîchement arrivée dans le quartier. Fort heureusement, fort de la tempête encore environnante, au moins, rien n’encourageait autrui à s’aventurer dans la rue… Il sonda les avenues, vides, observa les nuées de cumulus qui s’amoncelaient plus loin… Elle avait du s’enfuir là… Courir le long des rues, apeurée, paniquée traînant son effroi électrique derrière elle.. Personne n’échappait à sa tristesse. Personne n’échappait à lui-même… Et personne n’échappait non plus à Preminger.. Le son du déluge croissait, soulignant sa course-poursuite, anhilant tout autre bruit. Il tourna dans l’allée secondaire, augmentant la vitesse de ses essuie-glaces, accélérant malgré le rideau que dressait la pluie… Si quelqu’un se jetait sous ses roues, il ne le verrait pas...Mais ce n’était pas, non plus, comme si il y aurait accordé quelque regret dans un contexte différent…

- « Erwin… Pitié ne fais pas ça, c’est de la folie. Viens aux commandes ! »

L’affolement pointait dans la voix de Midas, augmentait d’intensité au fur et à mesure qu’il parlait. Preminger sentait l’animal capable de volte-face. Il le savait.. Aussi tempéra-t-il, dépassant les premières maisons du Quartier Nord, alors que le tonnerre montait en intensité, vrillant le ciel de son grognement, faisant trembler ses vitres..

- « N’aie aucune crainte, mon cher… Je ne risque absolument rien... »
- « Tu es foou. Erwin. Ne fais pas ça, tu vas tu vas te faire tuer ! »

Son rire s’éleva dans l’automobile, couvrant presque les roulement pourtant assourdissants de l’orage, s’y confondant presque. C’était touchant comme parfaitement inutile et idiot. Pourquoi craindre ? Il ne risquait rien. La tempête bien qu’incontrôlable possédait une origine humaine, Alexis en était le coeur. Comment aurait-il pu craindre quelque chose ? Midas pourtant continuait vainement ses protestations, sa voix s’aiguisant dans des bredouillements :

- « Ell..Elle est incontrôlable. TU l’as dit toi-même. Que se passera-t-il si elle détruit tout sur son passage ? Si elle attente à ta vie. ne risque pas ta vie pour elle. Ne »
- « Elle ne fera rien de cela. » fit-il froidement, ses mains crispées sur le volant pour empêcher les embardées que le vent violent provoquait alors, avant de froncer les sourcils, déclamant « NOOOOON. Oublie tout de suite ce que tu as en tête, mon loyal Jérémy Tu restes sur place. J’ai besoin de toi là-bas. »

Il lui en coûterait de lui obéir, il le savait. Midas était loyal. Profondément loyal. Il lui vouait un attachement fusionnel, sacrificiel, si bien qu’il savait que l’instinct du caniche était de détaller pour le rejoindre… Mais il avait ordonné. Il ordonnait cet obédience à ces exigences. Il fallait qu’il demeure.

- « Et si…si elle n’y arrive pas ?… Si elle menace de tout détruire ? »
- « Alors j’y mettrais un terme. » ses yeux s’étaient rapidement posés sur la boîte à gants pour revenir rapidement observer la route, tandis que le spectre de sa voix calme et posée raisonnait dans l’atmosphère… Il pouvait lui faire confiance sur le sujet. Il ne se laisserait pas tuer.

A présent le véhicule filait, en dehors de la protection des hautes maisons, vers le champs qui devait se profiler dans un horizon proche bien qu’indiscernable. Le ciel vomissait un torrent d’eau qui s’écoulait en grande masse, noyant l’horizon, masquant sa visibilité, le forçant à ralentir. Les embardées s’accentuaient, tendant à dévier le véhicule, le forçant à la prudence totale. Un éclair, plus lumineux que jusqu’alors fondit non loin de lui et il plaqua brusquement sa main sur sa bouche pour masquer le hurlement qui menaça de s’en échapper. Il ne fallait pas que Midas vienne. LUI ne risquait rien. Tout autre en revanche… Son caniche n’avait pourtant pas cessé de protester farouchement. Il le laissait dire, commentant par simple assentiment, ses commentaires qui presque formaient à ses oreilles une mélopée rassurante masquant le hurlement sourd du Ciel, les yeux soudainement fixés dans le lointain.
Il le voyait enfin….là, s’étalant devant lui. Le cœur de l’orage. Et il lui sembla arriver droit au devant d’une Bataille. Un panorama cataclysmique se jouait devant lui…tandis que la symphonie vrombissante de la tempête explosait, emplissant ses oreilles de ses hurlements venteux. Les champs s’aplatissaient devant lui, comme des fétus de paille volant au vent, se pliant, se rompant sous l’effet de la tempête, tourbillonnants jusqu’à former des nuées d’or pâle, ballottés. Là où nulle maison ne faisait barrage, le vent hurlait de concert et les nuages d’un noir profonds se concentraient, formant une masse menaçante et compacte où rien ne filtrait… un abysse de néant flottait au dessus de ta tête. Comme l’œil d’un cyclone aveugle dont nulle lueur sortait… Hormis les nombreux traits, puissants, électriques qui en fendaient l’air, vibrants, violents, violets, furieux, pour se matérialiser jusqu’au sol d’un grésillement de souffre. Ils étaient nombreux… Une quantité si incroyable ! Quelques rares frappaient plus loin, s’égaraient mais la plupart se concentraient en un point… Le cœur de l’orage. Il éteignit le contact, glissant ses rares affaires de valeur dans sa poche doublée de son costume. Inspira un peu, non par crainte mais pour se concentrer, observant sa magnificence dorée dans le rétroviseur … Reprenant soudainement conscience de la présence orale de Midas, il déclara froidement alors :

- «  Tu ne comprends pas… J’ai besoin que tu assures mes intérêts. Il ne s’agit en rien d’un legs, je ne conduis pas une mission suicide, je suis bien plus Important que cela pour mourir aujourd'hui. Et lorsque je reviendrai plus fort, j’aurais besoin de savoir que tu auras mené ce vol à bien. Mon Destin n’est pas de mourir ce soir. Mais… Alexis a besoin de moi. Elle a besoin de mon aide.Cet orage cessera. Pour qu’un bien plus grand s’abatte un jour… Tu le SAIS, Midas : I’ll arise and take the throne…How Can I Refuse ? »

Et il raccrocha. Il le laissa sur des mots d’une puissance évidente. Il y croyait. Il se connaissait. Avait toujours cru à la grande destinée qui lui était due. Un homme si parfait, si intelligent, si beau, si... dépourvu de morale… Face à l’orage incarné qui se dressait devant lui, il ne voyait nul danger, juste la démonstration parfaite de son propre état d’esprit. Quelque chose de beau, de superbe et terrifiant. De puissant, d’explosif… Une Rage purgée, une Vanité furieuse. Que cette émanation de lui vienne d’Alexis prenait son sens. Elle était une partie de lui à présent.. imprévue, à la fois belle et insoupçonnée, sauvage. Comme un des ces chevaux galopant et sonnant la Guerre…Une part de lui venait pour la libérer, avec l’arrogance impression d’être la solution à tous les maux portés sur Terre. Une autre venait s’imprégner de sa déferlante puissance de destruction qu’elle générait, avec la malveillance volonté de pouvoir un jour en être la source. Les éclairs zébraient, formant un avec les alentours lorsqu’il ouvrit la portière, pour s’extraire de l’automobile. Il était Temps.
Son parapluie violet empoigné, il grimaça en constatant la boue que l’eau créait dans la terre des champs. Quelle atrocité… Voilà qui allait nécessiter de changer de chaussures ensuite.. Mais malgré la répugnance qu’Erwin affichait, il n’avait pour autant jamais rechigné à se salir les mains. Il avança alors, tandis qu’un déluge s’abattait au fur et à mesure de ses pas, tandis son bras libre protégeait autant que faire ce peut son visage de l’intempérie. Ce qui était déjà une peine perdue. Devant l’Apocalypse, comment aurait-il pu demeurer imberbe ? Et pourtant il avançait, la tête haute et hautaine, le pas conquérant vers la Source, les yeux écarquillés, par l’intensité du spectacle qui se jouait autour de lui. Une odeur de souffre flottait dans l’atmosphère liquoreuse et une vague de fumée s’élevait du sol, formée par la chute de Foudre. Alors que l’Orage hurlait, il s’abîmait à contempler l’ensemble, s’y fondant à chaque pas, chaque avancée. Il semblait que l’ensemble s’éveillait davantage à sa présence, qu’il s’y dissolvait aussi, le tonnerre martelant chacun de ses pas, comme si sa silhouette parvenait à faire trembler le sol. Il écartait les blés et ils ployaient à son passage, sous le vent rugissant. Oui, le paysage était d’une impressionnante gravité. Splendide même..… Les traces fulgurantes et lumineuses des éclairs, leur chute dévorante jusqu’à la Terre qui les engloutissaient, l’aveuglaient le dévoraient. Il sursauta pourtant avec vigueur tandis que le tonnerre explosa de toute part, manquant de le déséquilibrer. Alors que le ciel s’illuminait d’un violet sombre, alors que la Foudre tombait, disparate, telle des multiples poignards fondants l’air, il cria un peu, soudainement atterré, apercevant recroquevillée sur le sol, une silhouette abandonnée. Des morceaux de tissus fins, détrempées ne suffisaient pas à la masquer, là.
Elle reposait ici. Au delà du sublime spectacle… Il voyait soudainement le pend négatif de toute cette scénographie puissante, l’incarnation vivante de toutes les peurs de la jeune femme. Tout le tableau si remarquablement fascinant se voilait soudainement d’une obscurité, d’une fatalité bien moins resplendissante que jusqu’alors. Plus que d’être l’émanation si merveilleuse du Pouvoir démesuré qu’il voulait, de la Puissance que désirait tant le Ministre, la tempête n’était que l’expression du mal-être d’une seule personne. Un si puissant mal-être… Incroyable comme l’effroi pouvait causer de perte, se révéler si incontrôlable… Comme un individu pouvait incarner seul ses propres cataclysmes. S’y laisser prendre… S’y piéger.

- « Enora.. » murmura-t-il entre ses lèvres…

Sa voix se brouillait malgré lui, engloutie par les flots impressionnants que le ciel déversait. Tout aussi HAUT que pouvait être Preminger, il ne parvenait pas à dominer le flot criard du tonnerre. Il tressaillit soudain, la ressentant rebondir sur son parapluie, tentant de s’ancrer profondément dans le sol pour éviter que ce dernier ne s’évade de ses doigts. La grêle… Des morceaux entiters de billes glacées roulaient à ses pieds. Il les écrasa avec une colère froide, dédaigneusement, les foulant à ses pieds comme s’elles n’étaient rien. Elles craquèrent sinistrement sous ses talons, tentant sournoisement de dévier ses pas.. Non. Il pouvait dévier cet orage. IL pouvait l’aider. Le vent mugit dans son dos, s’ébrouant comme un cheval, le projetant à terre et cette fois, il ne put s’y retenir. Il chuta presque à genoux, écrasant les tiges des pousses de blés, dans une exclamation furieuse. Les brins d’été flottaient autour de son visage, dans un étrange ballet erratique et il les chassa vivement, maudissant soudainement l’ensemble. Son parapluie venait de se retourner, laissant l’eau dont elle l’avait protégé, choir le long de son costume.

- « Malédiction… PESTE !!! » il tenta en vain de le retourner, mais ses mains humides glissaient sur le tissu. C’était peine perdue, mais il s’acharnait encore, tirant de toute force de ses doigts, lorsqu’une bourrasque plus puissante encore, l’arracha définitivement de sa poigne. Il retomba au loin, bien au loin, et Preminger maudit brusquement le déluge qui le prit pour cible vivante, glissant sans vergogne les grêles le long de son cou.. Les perles d’orage roulaient sur son visage, se logeant dans sa chevelure tandis qu’un éclair tombait, non loin de lui, avec une proximité telle qu’il plaqua les mains contre son visage, le souffle court… Il pouvait encore détaler, rompre son contrat. Reléguer au fonds des abîmes de sa mémoire cet échec. Alexis se calmerait seule… Mais… mais il n’en n’était pas question… Nulle question de repartir, nulle question de la laisser éclater ainsi, dans ce désert poussiéreux. Il s’était à l’inverse relevé, affrontant la bourrasque, tâchant de faire fi de la chute de la Foudre qui s’intensifiait toujours, de plus en plus proche, pour avancer vers son centre.
« Si je regarde en arrière, c’en est fait de moi »… Il devait avancer. Il ne s’était jamais ravisé sur ses actions, ses choix, ses trahisons. Il devait embrasser son Destin. Malgré l’effroi qui croissait dans sa poitrine, malgré son saisissement, il devait avancer. Avancer jusqu’à elle. La sortir de son état catatonique. Lui offrir le domination dont elle avait besoin. Le réconfort aussi. Lui offrir la paix. Il devait faire cesser les grondements tonitruants, cesser les jets cruels et hasardeux de la Foudre, il devait faire cesser l’orage.
Il avança alors, son bras droit en protection de son visage, une nouvelle fois. Dépourvue de toute protection apparente, laissant l’eau gorger ses vêtements, se délecter de sa beauté.. Avancer. Encore et encore. Jusqu’à la silhouette.

- « ALEXIS.. »

Il ne sut pas si elle l’avait entendue ou s’il représentait seulement l’unique tâche gorgée de couleur fauvre et presque dorée du tableau grisatre qui composait son monde… Mais elle avait eu un bref mouvement, cette pauvre silhouette terrée au sol, dans la boue esseulée et désœuvrée. Puis il l’avait entendu, son hurlement à son encontre :

ERWIN !! NON ! PITIE !! RECULE ! AAAAAH...

Il n’en n’avait distingué que quelques bribes mais en avait comprit l’essence principale. Il ouvrait déjà la bouche pour la démentir lorsque deux éclairs fondirent, pourvus d’une lumière incandescente entre lui et elle, le faisant sauter en arrière brièvemennt dans un cri étouffé. Son coeur bondit dans la poitrine, les yeux dilatés ébahis… Ils l’avaient manqué de peu… De peu… Se pouvait-il que… Sa main s’était portée sur son coeur un bref instant de doute… Mais non. IL ne risquait rien..
Il tremblait un peu, mais se voulait déterminé. Il devait le faire. Il le devait. Et pourtant le pouvait-il ? . Il devait faire abstraction du reste. Il ne devait rester qu’elle. Pour inhaler son destin… Faire cesser l’orage. Faire que l’orage cesse. Ses yeux s’étaient posés, se focalisant sur Alexis Elle avait fuit visiblement, à peine vêtue d’une robe de chambre que l’eau avait terminé de rendre trempée, sale, maculée de boue… Il lui faudrait un bain, à n’en pas douter…. Ce n’était pas le moment de juger de cela, mais au moins cela possédait-il le mérite de dédramatiser le tout… Les bras de la jeune fille reposaient sur son ventre, dans une tentative maladroite de protéger l’Erreur…mais elle l’observait encore, figée d’horreur, reculant dans la boue, comme pour tâcher de s’éloigner au maximum de lui.

VA-T'EN !! C’EST TROP DANGEREUX ! LAISSE-MOI !!!!
JE NE….

Le souffle du vent avait mugit soudainement, l’interrompant pour se tenir brutalement les oreilles tandis que le cri du tonnerre secouait les environs. Il le laissait éponger tout son saoul, contemplant la barrière d’air qui le séparait de la jeune femme. Il devait traverser… Il devait traverser. Il pouvait. Prenant appui sur ses talons, il tenta d’avancer, lentement, criant à grande peine, malgré le blizzard. Ecartant les bras, dans le vide, dans les bourrasques de vent, criant… Criant à son encontre, Elle l’entendrait, elle était la seule à pouvoir le faire, la tempête n’était guidée que par elle.

JE NE PARTIRAI PAS… TRESOR… JE NE CRAINS RIEN..

Comme pour le démentir, deux éclairs vinrent se jeter à ses pieds, lui arrachant un frisson d’horreur. Mais sans le heurter… Il tenta de se pencher, tendant la main vers elle. Faisant fi de sa condition, de la boue. Il pouvait l’atteindre, il le savait.

VIENS…

Il cessa un bref instant de lui tendre cette main ouverte, dans une tentative inutile d’essuyer de sa main ruisselante son beau visage détrempée par la pluie, qui brouillait sa vue, puis la tendit à nouveau vers la masse indistinguable qui composait sa maîtresse. Il la devinait terrorisée, apeurée… Paniquée. Elle n’avait pas à le faire. L’Avenir se voulait radieux, parfait. Le Futur qu’ils pouvaient s’offrir lui apporterait tant de joie et une place si privilégiée… Pourquoi se vautrer dans l’angoisse… ? la pluie se densifiait et une nuée de perles gêlées reposaient désormais dans sa main, tendue :

ALEXIIIIIIIIS PRENDS LA » cria-t-il en glissant vers elle, tendant le bras tandis qu’elle reculait encore, pleine d’effroi.

Il constata que l’entièreté des doigts de la jeune femme se retrouvaient couverts de filaments bleutés, qu’il n’avait pas distingué de prime abord, trop masqué par le rideau de l’orage… Ils étaient superbes mais électriques. Il songea au retour de son pouvoir après sa Disparition, la peur qu’elle avait tenté de lui dissimulait et qui avait été l’objet du quiproquo lors de l’annoncée de l’arrivée d’Isaac… A présent, il le voyait là... L’émanation pure de son pouvoir qui avait croît et qui la faisait se tordre les mains dans un geste paniqué, tentant de s’extraire…de le protéger. Tentant encore de porter le monde, elle si frêle et forte à la fois. Elle portait le monde, aux yeux de certaines femmes, pour qui le simple fait de porter la vie d’un être revenait à se trouver à la source même de l’Origine du Monde, elle portait le monde dans son rapport à autrui généreux et désavoué. Trop..de responsabilités inutiles, trop d’abnégations avaient alors raison d’elle à ce moment précis. Elle ne s’écoutait pas, ou trop concernant ses angoisses, les laissant devenir maîtresses d’elle.. Il ne connaissait pas ce sentiment. Lui qui depuis toujours n’avait toujours eu vocation qu’à la satisfaction de ses désirs. Il s’aimait d’une force qu’il ne se trouvait jamais en confrontation avec ses actions, pensait à lui toujours plus qu’aux autres… Jamais une fois n’aurait-il eu le réflexe de protection qu’elle avait accompli en se réfugiant là, dans cet endroit abandonné des Hommes, jamais n’aurait-il eu ce réflexe de protection envers elle qui serait venue jusqu’à lui… Ils étaient un miroir déformés de l’autre, il devait l’admettre. Mais pourtant..il ne se désintéressait pas de son cas… L’orage qui grondait autour d’eux ne suffisait pas à porter loin de ce danger son être. Il était, il le savait, le seul capable de l’apaiser comme de l’exciter jusqu’à faire exploser son pouvoir. Et il ne désirait pour ainsi pas la pousser à bout. L’exploitation de cette force viendrait un jour. Mais il devait admettre qu’à l’observer là, grelottante, embuée de larmes que le ciel noyait dans les siennes, il désirait surtout l’apaiser loin de ces tourments. Alors, il cria, la main toujours tendue, laissant glisser les grêles qui s’y étaient déposées, malgré qu’elle n’ait pas esquissé vers lui, le moindre geste :

- TU PEUX LE GERER… ALEXIS… IL N’EST PAS TON ENNEMI...IL EST TOI.

Le vent se déchaîna le força à glisser un peu, perdant pied jusqu’à tomber un genou sur la terre humide… Grimaçant, il poursuivit pourtant, hurlant, tandis que la Foudre se déchaînait de toute part, frappant avec une intensité nouvelle, sans interruption autour d’eux :

« N’AIE JAMAIS PEUR DE TOI-MÊME… NOUS NE SOMMES NOS PROPRES ENNEMIS TANT QUE NOUS N’AVONS PAS APPRIS A NOUS ACCEPTER. ACCEPTE TOI. REGARDE CE QUE TU FAIS. REGARDE CE QUE TU CREES , ENORA. C’EST...MAGNIFIQUE... »

Il avait rejeté la tête jusqu’au ciel pour observer le déchaînement diluvien strié de lances faites de Foudre… Offrant sa tête nue à la nuée orageuse qui fondait sur le sol, ouvrant les bras ricanant vivement dans une bouffée soudainement euphorique… Un tel pouvoir.. Là vivait le coeur du Monde. Dans la Fureur, la Rage, le Triomphe…En lui. Il sentait ses cheveux se gorger de l’eau de l’atmosphère lourde et étouffante, l’eau glisser, le noyant, le baptisant presque…Comme y puisant sa force Puis abaissa le visage vers Alexis… Elle ne voyait pas les choses comme il les voyait.. Elle n’en voyait pas la Beauté, la puissance… Peut-être parce que l’incarnation vive de ses pouvoirs ici restait causée par sa souffrance et non pas par une volonté pure de sa part… Apaisant ses pensées dantesques, il s’adoucit :

- « TRESOR, TU NE CRAINS RIEN… NE L’AS-TU PAS COMPRIS ? IL NE T’ARRIVERA RIEN…JE SUIS LA...TRESOR..

Relevant son genoux, il tenta de se glisser vers elle, lentement, doucement, long serpent rampant loin du courroux céleste. Se rapprochant, jusqu’à effleurer presque son genou, le bout du tissu :

- «JE SUIS LA… TU N’ES PAS...SEULE. TU N’ES PLUS SEULE...  ET...NOTRE AVENIR… TON AVENIR EST GLORIEUX… » proféra-t-il « TU N’AS PAS DE RAISON DE CRAINDRE. DE TE CRAINDRE. J’AI TOUTE CONFIANCE EN TOI... FAIS-MOI CONFIANCE »

Elle ne lui ferait pas de mal. Alors lentement, il déposa sa main sur le haut de son genou.

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« Allez dans la Lumière.
C'est au détour d'une Ombre
que nous attends le Mal. »


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Tu es comme tu es... mais malgré les erreurs, tu me rends parfois la vie de maman célibataire plus douce...


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Edition Octobre-Novembre 2020

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________________________________________ 2021-08-01, 23:22 « Allez dans la Lumière. C'est au détour d'une Ombre que nous attends le Mal. »




Dans l'œil de l'Orage


— JE NE PARTIRAI PAS… TRESOR… JE NE CRAINS RIEN...

Je me rendais alors compte que je l’entendais avec une précision impressionnante, comme si nous nous parlions simplement face à la brise fraîche et tranquille d’un après-midi d’Avril. M’entendait-il avec la même clarté ? Je ne pouvais le savoir mais je m’en fichais. C’était de loin le cadet de mes soucis tandis que sa phrase raisonnait à mes oreilles. Secouant la tête de gauche à droite, gémissant des “non” douloureux et répétés, j’avais fermé les yeux, me prenant les cheveux dans les mains. Un fois de plus, il n’en faisait qu’à sa tête, bien trop confiant en lui, en ce qu’il était, refusant l’évidence pourtant simple : que pouvait-il contre la Foudre ? Quel pouvoir avait-il pour se battre contre la Foudre ? Ou contre moi ? Comme une traduction de ce nouvel excès de panique, deux nouveaux éclairs venaient de s’effondrer juste devant lui, à ses pieds, l’évitant de peu.

— VA T’EN !!

— VIENS...

Il s’était penché dans ma direction, j’avais vu sa silhouette grossir dans mon champ de vision, malgré le vent et la pluie, la main tendue dans ma direction. J’avais une fois de plus secoué vigoureusement la tête de gauche à droite, terrifiée, tentant de reculer du mieux que je le pouvais. Il était FOU, complétement FOU, bien trop confiant en lui, en moi peut-être... comment pouvait-il imaginer que je ne lui ferais pas de mal ? N’avait-il pas vu ce que je venais de déclencher ? Pensait-il que je me roulais dans la boue pour le plaisir ? J’étais incapable de faire quoi que ce soit et l’idée de le voir prendre autant de risque ne faisait qu’augmenter ma panique et l’ampleur du dégât météorologique.

— ALEXIIIIIIIIS PRENDS LA !

— NON ! ERWIN, RECULE !!!

Je l’avais hurlé avec une réellement force, la colère se mêlant à la peur. Mon ton s’était fait ferme, dur, autoritaire, perdant patience face au risque inconsidéré. Il ne savait pas... il ne savait pas de quoi j’étais capable, la façon dont j’avais failli tuer Vaiana. Comme pour appuyer à ma colère naissante, un tonnerre fracassant avait raisonné au-dessus de nous, un de ses jours à nous faire vriller les oreilles, à en faire trembler le sol. J’avais vu alors ses yeux se poser sur mes mains et je l’avais presque vu comme un soulagement. Comprenait-il à présent mon refus ? La raison de mes retraits ? Allait-il enfin s’éloigner ? Me laisser dans cette situation ? Jusqu’à ce que je me consume, sans faire de mal à personne... personne à part lui... Isaac, mon enfant. Je n’avais pas le droit de me consumer, de me laisser aller jusqu’à ce que mon pouvoir m’engloutisse toute entière. Pour lui, je me devais de trouver une solution, de me calmer. Je le savais, au fond de moi, c’est ce que j’avais espéré en me réfugiant loin de tout mais Erwin venait tout gâcher. Dans son envie de bien faire, il ne faisait qu’empirer la situation. Je ne pouvais pas penser qu’à Isaac, je devais aussi penser à lui. C’était de sa faute, à lui et son emportement. C’était à cause de lui que je n’arrivais pas à me calmer...

Une fois de plus, le temps était venu appuyer mes sombres pensées, la grêle se déchaînant un peu plus, lui griffant le visage, sa main tendue, tout en m’évitant consciencieusement. J’étais injuste avec lui, je m’en rendais compte pourtant. Il n’y était pour rien en vérité, je ne pouvais m’en vouloir qu’à moi de me mettre dans cette situation, de ne pas être assez forte pour savoir me maîtriser. Comme je les admirai toutes ces personnes capables de dompter leurs peurs, leurs sentiments négatifs en toute circonstance, chose que j’apprenais chaque jour à faire mais qui restait pour moi un exercice périlleux. Il n’était pas mauvais dans son action, bien au contraire, Erwin faisait preuve d’une attention qu’une petite voix au fond de moi me disait ne jamais l’avoir véritablement soupçonné de pouvoir faire. Certes, il avait toujours été attentionné à mon encontre, mais jamais en se mettant en danger. A maintes et maintes reprises, que ce soit lors de discussions, de colère ou de nos aventures, il m’avait prouvé qu’il pouvait apprécier ce que nous étions ensemble mais que rien, jamais ô grand jamais passerait devant sa personne. Et pourtant il était là, dans la boue, situation des plus inconfortable s’il en était pour lui, au milieu du danger à tenter de m’apaiser. Sa folie des grandeurs et sa foi inébranlable en son avenir amoindrissait certes le danger à ses yeux, mais il n’en était pas moins que ce geste, il le faisait pour moi. Et j’avais encore l’indécence de lui en vouloir, horrible personnage que j’étais.

La charge électrique s’intensifia alors encore autour de nous.

— TU PEUX LE GERER… ALEXIS… IL N’EST PAS TON ENNEMI...IL EST TOI.

Sa phrase avait raisonné dans ma tête avec tellement de force que j’en avais ouvert les yeux, toujours recroquevillée dans la boue. Il était moi... Cet immense orage... c’était... moi ? Lentement, j’avais relevé la tête vers le ciel, observant la météo qui se déchaînait encore et toujours plus. C’était moi, mes doutes, mes peurs, mes torpeurs. Mais cela ne me rassurait pas pour autant, bien au contraire. Ma grossesse accentuait tout, me faisant sans doute perdre plus facilement le contrôle de ce que j’étais mais si j’étais déjà capable d’en être là en cet instant, que se passerait-il plus tard ? 0 l’accouchement ? Lorsque mon fils m’apprendrait autant la patience que l’attention ? Si un jour IL me quittait ? Il n’était pas mon ennemi... il était moi... mais j’étais mon ennemi à moi toute seule. Et j’en faisais pâtir les gens autour de moi. Erwin... cette enfant au creux de mon ventre... Il me demandait de ne pas avoir peur de moi-même. Mais j’avais toujours eu peur de moi. Peur de ne pas être assez bien. Peur d’être trop ou pas assez. J’avais vécu l’abandon plusieurs fois, j’avais finalement su être aimée, sans pour autant jamais m’en sentir légitime. M’accepter... accepter ce que je faisais, qui j’étais... Enora... pas seulement Alexis. J'avais baissé de nouveaux les yeux vers lui, l’observant, visage relevé vers les cieux en délirent, se tordant et se déchirant sous les éclairs. La pluie fouettant son visage tandis qu’il embrassait le chaos, les bras tendus, écartés. Son ricanement m’avait glacé le sang. Il était fou, complétement fou. Il semblait jouir d’un spectacle qui n’avait pourtant rien de délectable. Ce que j’étais capable de créer... ce n’était pas magnifique c’était ça... le chaos, la douleur... La Guerre, tant interne qu’externe.

Il me certifiait qu’il n’arriverait rien car il était là mais si au contraire tout était encore plus terrible parce qu’il était là ? J’avais serré les dents, les larmes coulant toujours sur mes joues, le cœur battant, une grimace de peur et de douleur au coin des lèvres. Rien n’irait bien tant que je serais ça et pourtant... je l’étais depuis maintenant si longtemps. Hypérion avait vu le danger, il avait tenté de l’arrêter... avant de me le livrer tout entier... par confiance. Une confiance en ce que j’étais. Cette pensée me percuta comme un choc. Je sentis alors la petite main d’Isaac toucher l’intérieur de mon ventre, comme une caresse apaisante, comme s’il tentait de me notifier la foi qu’il avait en moi. Et le genou d’Erwin était alors entré dans mon champ de vision tandis que sa voix, nettement plus douce, mesurée et rassurante me parvenait. Je n’étais pas seule... je ne l’étais plus. Il m’en faisait presque la promesse implicite. Mais pouvais-je seulement le croire ? Il me faisait confiance... il me demandait d’avoir confiance en lui. Et ainsi revenait tous mes questionnements, ces intolérables questionnements qui me dévoraient de l’intérieur. Méritait-il ma confiance ? Ne faisais-je pas une bêtise en m’enfonçant dans cette relation avec lui ? Ne commettais-je pas une erreur en donnant la vie ? Après l’avoir créé avec lui ? Ne devais-je pas plus craindre ce qu’il était, son influence sur moi ? La douceur de sa peau, le velouté de ses mots ? Et finalement que pouvais-je craindre qu’il ne craignît pas ? Quel pouvoir avait-il contre moi ? Cet orage... c’était moi.

Comme en écho à ma pensée, le ciel avait grondé une nouvelle fois au-dessus de nous, tandis que des torrents d’eaux se déversaient toujours sur mon corps, sur nos cheveux, ses pommettes saillantes et ses joues, jusqu’à trouver un refuge au creux de sa mâchoire. Il avait raison, je n’avais pas à craindre cet orage. Même si ce pouvoir m’avait toujours effrayé autant qu’il me subjugué, j’avais appris à le contrôler, bien des années auparavant et le fait d’être enceinte ne rajoutait qu’une difficulté que je pouvais sans doute dépasser. Devais-je plus craindre en revanche ses mensonges ? Toujours au sol, mon regard s’était entièrement plongé dans le sien. Il me promettait que je n’étais plus seule... Regina me l’avait promis bien des années auparavant et pourtant certains de ses choix avaient faillis nous séparés à jamais. Il m’avait dit être là, il avait parlé de notre avenir avant de se raviser sur le mien. Pouvait-il ne pas m’abandonner quand Jack m’avait promis la même chose avant de le faire ? Erwin n’était pas Jack, il était plus égocentrique, plus égoïste... pourquoi diable ferait-il ce qu’un jeune homme plus valeureux de cœur n’avait pas fait. Sa façon de parler de mon avenir glorieux, de se reprendre alors qu’il s’était inclus dans un premier temps... Envisageait-il d’atteindre le rêve que nous avions vu par ce moyen ? N’étais-je que l’instrument de sa démesure ? Et pourquoi brusquement je pensais à une telle chose alors qu’il avait bravé toute cette tempête pour m’atteindre et me rassurer ? J’étais qu’un horrible énergumène.

Le ciel se déchira une nouvelle fois dans un bruit assourdissant tandis que trois éclairs s’étaient abattus autour de nous de façon consécutive. Fermant les yeux en sentant le sol tremblé, je les avais ensuite ouverts pour hoqueter dans sa direction, d’une voix franche et perdue :

— JE NE SAIS PAS SI JE PEUX TE FAIRE CONFIANCE...

Ce n’était pas ce que je voulais dire. C’était sorti tout seul, comme en écho à sa dernière phrase qui était revenue dans ma mémoire. Je n’étais même pas sûre de pouvoir me faire confiance. Je le voyais mentir à tour de bras, au monde, à sa femme. Je le voyais éviter certains sujets, les détourner pour les enrober, je l’avais vu, ô combien de fois dans ces yeux, cette petite lueur, cette volonté de parler avant de se raviser habillement. Il mentait. Je le savais. Il mentait parce qu’il savait le faire. Et s’il mentait avec d’autres, pourquoi donc n’aurait-il pas menti avec moi ? Il m’avait menti au sujet de sa situation maritale ou du moins l’avait-il omis, il m’avait menti sur sa femme et je le savais presque avec certitude, même si nous n’en avions parlés. D’autres avaient semblés sincères en me promettant de rester avec moi et ils avaient finalement failli à l’engagement. Pourquoi aurais-je du croire celui qui mentait si bien ? Est-ce que je méritais véritablement d’être aimée après tout ? Comme pour expliciter ce questionnement interne, j’avais alors précisé :

— JE NE SAIS PAS SI JE PEUX ME FAIRE CONFIANCE... JE CONTROLE DE MOINS EN MOINS DEPUIS MA GROSSESSE... JE NE VEUX PAS LUI FAIRE DU MAL... JE NE VEUX PAS FAIRE DU MAL...

Car c’était bien cela qui me terrorisait, plus qu’autre chose, faire du mal. A ceux que j’aimais, aux innocents. C’était ce qui m’avait poussé à m’éloigner loin de tout, ce qui m’avait aussi poussé à faire ce qui était advenu ensuite, me rendant malgré moi la pleine possession de ce que je pouvais faire. J’avais vu le visage d’Erwin, toujours à mes côtés, non loin de moi, se dessinant parmi les gouttes de pluie. Il était soudainement devenu plus clair à mon regard, plus éclairé malgré qu’aucun éclair ne passât derrière lui. J'avais alors compris l’horreur de la situation en une fraction de seconde : s’il ne passait pas derrière lui, il allait au-devant, s’apprêtant à le frapper sans aucun doute mortellement. A la vitesse de la Foudre, je m’étais brusquement relevée en position assise, me plaçant devant lui et déviant l’éclair d’un geste puissant de la main. Celui-ci fini alors sa course plus loin dans le champ, un peu à l’image de ce qu’avait l’Ange dans ce monde étrange où j’avais découvert ma grossesse. Le souffle court, le cœur battant, mes yeux avait suivi la course de l’objet lumineux avant que mes mains ne se lèvent de part et d'autre de mon corps, comme en croix. C’était comme si le Temps s’était alors brusquement arrêté, sans que ce ne soit le cas pourtant. L’oeil du cyclone dans lequel nous étions avait formé une bulle autour de nous où les gouttes étaient restées suspendues dans les airs et où les parois pourtant invisibles laissaient entrevoir par moment de petits filaments lumineux. C’était magnifique et étrange. Jamais encore je n’étais parvenue à faire une telle chose. C’était comme si l’espace d’un moment, je nous avais enfermé dans la protection de la Foudre plutôt que de la déchaîner contre nous et brusquement, j’avais l’impression d’avoir été projeté au cœur du cosmos, loin de la foule déchaînée, loin de la destruction que j’avais créé qui pourtant faisait toujours rage en dehors de la bulle. Le souffle court, les lèvres légèrement entrouvertes, j’avais pris un instant pour constater le spectacle avant que mon regard ne se pose de nouveau dans celui couleur Ambroise d’Erwin. Un simple pouffement de nervosité et de surprise était sorti de mes lèvres, faisant couler quelques larmes de plus au passage. Les mains tremblantes, je les avais alors observées pour constater que les filaments bleus autour de mes doigts étaient en train de s’atténuer, lentement jusqu’à disparaître. La nouvelle fit couler un nouveau flot de larmes tandis que je sentais l’épuisement m’assaillir tout entier. Je ne tiendrai pas longtemps dans cette situation. Les gouttes de pluies avaient d’ailleurs repris leur route inexorable vers le sol, lentement puis de plus en plus rapidement et petit à petit, la bulle s’était effacée pour nous remettre à découvert. Mais il n’y avait plus de danger à présent.

Au-dessus de nos têtes, la Foudre commençait à se dissiper, les éclairs qui frappaient toujours le sol se faisaient de plus en plus irrégulier et frappaient de plus en plus loin de moi, comme si je n’étais désormais plus la cause de tout cela mais que l’orage commençait à se taire de lui-même. Le ciel grondait moins, bien que la pluie tombât toujours en trombe, tambour battant, sans que je ne puisse rien faire pour l’arrêter. J’étais épuisée, tout le superflu semblait au-dessus de mes forces. Alors mon regard avait encore un instant croisé celui-ci d’Erwin et j’avais senti un vertige me prendre toute entière. Je me senti glisser, mon corps trouvant refuge sur le sien, ma tête se nichant dans son cou. Les yeux fermés, je tentais de reprendre mon souffle, mes forces, même mon ventre s’était fait calme, comme si tout mon être tentait de se recentrer. Je sentais la pluie froide perler sur mes joues, mon visage tout entier, qu’elle vienne directement du ciel, de ses cheveux ou encore des miens. Et en un instant, j’éclatais une nouvelle fois en sanglot, me déchargeant alors brusquement de tout ce stress, de toute cette culpabilité. Je n’étais plus recroquevillée au sol, je l’étais juste contre lui, les yeux fermés, me laissant bercer par le bruit puissant de la pluie s’abattant et des battements puissants de son cœur.

— Je suis désolée... Je suis... tellement... désolée...

Je ne savais même plus vraiment de quoi j’étais désolée... de tellement de chose sans aucun doute. D'avoir failli le tuer dans un premier temps, d’avoir causé tout ce boucan également. Et d’avoir eu des pensées si mauvaises, de mes doutes, de ma peur de l’abandon, de ma peur d’être une mauvaise mère, de ma franchise désarmante. Je ne regrettai pas ce que je lui avais dit sur ma confiance, je ne voulais pas rectifier cette partie, c’était quelque chose qui était au fond de moi depuis bien longtemps. A bien des égards je voulais lui faire confiance et d’une certaine manière, je le faisais aussi, malgré moi. Mais cette méfiance, cette impression que tout n’était pas encore claire ne me quittait pas pour autant. J'avais sans cesse l’impression d’être avec deux hommes, ou un homme et son reflet, quelqu’un de bon ou d’acceptable et son pendant plus monstrueux. J’avais besoin de savoir mais je m’y refusais aussi et pour toutes ces raisons, lui faire confiance était parfois bien difficile. Et pourtant, malgré tous mes doutes, je continuais à lui donner tout mon être, ce que j’étais, mes forces et mes faiblesses, mes moments de joie ou comme ce soir, ma vulnérabilité la plus profonde. Je n’avais pas prévu qu’il puisse être là, je n’avais pas même imaginé qu’il puisse venir à mon secours et pourtant il l’avait fait. Comme pour me raccrocher à cette pensée, ma main était venue se poser sur son torse, sans même prendre garde de la savoir boueuse ou non. Je n’avais toujours pas ouvert les yeux, mes doigts s’étaient juste renfermés sur le tissu de sa chemise, le bout des doigts s’enfonçant dans sa peau, pourtant pas douloureusement mais pour s’ancrer. Sous la pluie, il semblait brusquement lavé de tous apparat. Mon nez, niché au creux de sa gorge, constatait alors que son parfum s’était fait plus léger, presque imperceptible, mélangeait à l’odeur que dégageait la terre humide et l’air lourd de l’orage. Il gardait pourtant le don de m’apaiser, même si son odeur n’était plus là, car c’était LUI plus que son parfum qui me faisait cet effet, cet anti-dépresseur dont j’avais l’impression de pouvoir de moins en moins me passer. D’une certaine façon, c’était son arrivée, ses mots qui étaient parvenus à me calmer, un peu, légèrement, alors que j’hoquetais toujours entre deux sanglots. Petit à petit, malgré le hoquet, les larmes s’étaient mises à couler plus discrètement, me donnant moins l’impression de pleurer. Alors timidement, toujours dans ses bras, j’avais lentement révélé le visage vers le sien, mes yeux attrapant son regard qui me sondait d’une façon que je ne parvenais pas à analyser. Était-ce du doute de ce que j’étais ? Il m’avait dit de ne pas avoir peur... De la colère de ce que j’avais dit ? Il avait déclamé si facilement avoir confiance en moi... Il me semblait aussi l’avoir entendu rire à un moment mais je ne parvenais pas vraiment à savoir si c’était lui ou la puissance du vent. Alors silencieuse, mes yeux toujours dans les siens, j’attendais un signe, un geste, quelque chose qui m’aiderait à avancer.

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________________________________________ 2021-08-07, 22:59 « If the crown should fit, then how can I refuse? »




« Des nuages de l'Erreur s'amoncellera plus tard l'orage de la passion. »



Que le Tonnerre gronde donc… La pluie dégoulinait tellement, qu’il n’en distinguait plus la moindre goutte, le tout se groupant pour mieux dévaler la moindre parcelle de son corps l’imbibant d’eau. Le détrempant jusqu’à plus soif. Il lui semblait se trouver sous un jet continu, inlassable, impulsé par le Vent qui grondait et soufflait à s’en vider les poumons. Une arrivée d’air, de pluie, d’éclairs sans la moindre accalmie ni refuge, un sort subi à Ciel ouvert qui ne parvenait pourtant pas à s’en révéler repoussant. Depuis longtemps Preminger appréciait admirer l’ébrouement de la Nature, la contemplant dans son ballet violent et hurlant. Même là, accroupi dans la boue, il ne pliait pourtant pas le genou. Devant personne. Devant rien.
Sa main progressait, à destination de sa jeune maîtresse. Cause sans être pour autant l’instigatrice de toute cette frénésie torrentielle qui s’écroulait sur la ville de Storybrooke. L’incarnation vivante et le cœur mouvant de l’Orage qui grondait à perte de vue. L’eau pouvait bien glisser sur lui, elle ne brouillait pourtant rien. Vite, il clignait des paupières, secouant ses cils qui perlaient, forçant l’eau à ne point obscurcir son champ de vision pour ne pas perdre Alexis de vue, pour ne pas rompre le contact oculaire qu’il tentait fermement de maintenir avec elle. Non… Elle avait eu beau le supplier, reculer, jusqu’à se maculer davantage de terres, il ne désirait pas partir et il ne partirait pas. Ce Ciel qui incarnait ses peurs, pouvait bien lui hurler ses trombes d’eau, déverser sur lui des bourrasques jusqu’à l’en aveugler ! Que le Tonnerre gronde donc, il devait demeurer là. Demeurer là, dans la boue, la violence et la beauté brutale et cruelle de l’orage qui vrombissait autour de lui, tâchant de l’occulter pour concentrer sur son attention sur elle. Imprégnée de terre humide et noire, détrempée par son propre pouvoir, tremblant de terreur.
Les mots qu’il lui avait hurlé avec conviction profonde ne récoltait qu’un rejet apparent, une protection qu’elle tentait de lui offrir en lui enjoignant de quitter les lieux. Ne comprenant pas qu’en tentant de rejeter la main qu’il lui tendait, l’échappatoire qu’il tâchait de tracer, se faisant, elle se rejetait elle-même ?
Il avait tenté de le lui dire auparavant, de lui scander, dans tout ce déluge, qu’elle ne devait pas considérer l’Orage comme un Ennemi à mettre à terre mais l’Incarnation d’une part d’elle-même, refoulée, tue. Cette part qu’il ne convenait pas de combattre mais d’affronter d’une manière bien plus intime et intrinsèque que tous les bagarres rageuses et brusques. Mais même si ses yeux s’étaient permis de dévier jusqu’au ciel, pour contempler son œuvre avec plus de lucidité qu’alors, elle n’était pas parvenue à remporter encore la bataille pourtant gagnée d’avance. Tout juste s’était-elle effrayée davantage lorsque l’œil formé d’amas de nuages noir lui avait délivré cette évidence. Plus que de s’accepter, elle s’y était abîmée, s’enfermant dans son effroi, l’amplifiant même.
Lui qui s’était lui-même livré à l’euphorie du Déluge alors, ricanant la tête emportée faisant corps avec le tumulte hurleur qui se déchainait autour de lui, ne comprendrait jamais. Comment pouvait-on s’effrayer de soi-même ? Comment pouvait-on perdre le lien qui rattachait l’individu à son âme profonde? Il avait beau se poser la question, une main suspendue non loin du genou d’Alexis, presque glissant dans la boue pour l’atteindre enfin, il l’ignorait. Et se trouvait sûrement voué à l’ignorer toujours. Pour cause, Preminger avait appris il y a bien des années à se contempler pleinement dans le Miroir.
Ce qu’il y avait vu, alors, l’avait fasciné, séduit aussi. Il incarnait, à sa manière tordue, la pleine satisfaction de soi… Ne se serait changé pour rien au monde…
Il en déduisait que les effrois intérieurs des autres ne venaient que de leur incapacité à accepter leur manière d’être et ce qu’ils étaient. Alexis n’y échappait pas. Elle, pourtant si plaisante, possédait dans sa personnalité bien des aspects que le commun des mortels eut qualifié de dérangeants. Sa boussole morale s’écartait de celle possédée par le plus grand nombre, notamment. Elle se révélait plus nuancée, plus obtuse, se pliant parallèlement pourtant à une exigence de cœur entière et passionnée tout comme à l’urgence. Certains carcans se révélaient plus persistants, plus intrinsèques et nécessitaient pour sauter des lames plus aiguisées …
Que le tonnerre gronde donc, Il avait poursuivi son chemin, tâchant de n’accorder qu’une attention minime à la bataille qu’il convenait de mener contre les éléments pour accéder jusqu’à elle… La vraie bataille se jouait contre son esprit. Et dire qu’elle paraissait si minuscule, si infime, ployée vers le sol, la peau et la robe salie de boue et de terre, les cheveux vidés de toutes les boucles aériennes qui les secouaient ordinairement. Un simple lambeau de tissu et de chair de prime abord, prisonnier de l’orage de ses effrois. Si minuscule et pourtant si intéressante. Il songea brusquement, à la voir là, à ce qu’elle avait représenté le soir de leur rencontre. Ce fameux soir qu’elle ignorait encore… Un fugace visage fin et fureteur dévoilé par la lumière blafarde de la lune. Une brève seconde d’apparition avait suffit ce soir là pour signaler sa présence et se révéler à lui… Si minuscule et pourtant si intéressante. Les éclairs dont elle s’était armée ce soir là le lui avaient déjà présagés… Son influence sur l’ensemble des phénomènes météorologiques ne pouvait être continuellement subie, elle ne l’avait pas toujours été. Elle devait faire le choix de le voir. De voir qu’elle en était la cause, le début et la fin.
Progressant vers elle, il lui avait hurlé qu’elle n’était pas seule, qu’elle ne l’était plus, lui avait parlé de son Avenir, de sa présence à ses côtés… De sa confiance.

JE NE SAIS PAS SI JE PEUX TE FAIRE CONFIANCE…

Il l’avait vue hésiter, comme soudainement gênée de ce que ces mots aient osés outrepasser ses lèvres, malgré l’ensemble du contexte présent. Comme une révélation, une crainte douloureuse qu’elle avait tue, n’avait jamais osé verbaliser auparavant. Et pourtant elle l’avait pensé. Il le savait déjà, le voyait encore à présent. Il ne pouvait pas s’en courroucer, ni même s’en vexer, il savait parfaitement avoir...outrepassé les limites que la prudence lui dictait, à ses côtés. Il aurait pu jouer au rôle de l’invidivu parfait, du Maître Dorian qu’elle avait rencontré il y avait plus d’un an de cela. Cet individu même, aimable, courtois, séduisant sans être entreprenant, charmeur sans être puissamment séducteur, oui, il aurait pu l’incarner. Mais en définitive, il avait vite oublié l’idée, chassant cette facilité pour mieux s’afficher lui-même. Cela allait de paire avec la personnalité qu’il avait découvert en Alexis et l’évolution inattendue de ses ambitions puis rapports avec elle. Une surprise que malgré son incroyable perspicacité, il n’avait pas envisagée à l’aurore même de leur relation. C’était pourtant cela qui le faisait se tenir face à elle, à présent ; à l’exhorter encore encore, avec la réelle certitude qu’elle détenait les clefs de son mal-être et de la tornade électrique qui pesait sur la ville et pouvait s’en libérer. Oh, cela ne l’avait pas dissuadé d’emporter malgré tout, une sécurité supplémentaire et plus radicale qu’il pouvait toujours utiliser pour le cas où la situation s’avérait plus difficile que prévue mais… Derrière ces traits tirés, pâles, exiguës où la grossesse et le stress creusaient des sillons, il la savait forte. Dotée d’une force bien différente de ce qu’elle attendait de ce terme, mais tout de même. Elle n’y croyait pas, n’en voulait pas mais il la voyait pleinement avec une certitude catégorique. Elle avait raison de ne pas lui faire confiance. Et il n’avait pas réclamait sa pleine et entière confiance en tout temps mais seulement dans sa certitude à croire en elle pourtant. A cela même, cependant, elle possédait une réponse :

JE NE SAIS PAS SI JE PEUX ME FAIRE CONFIANCE... JE CONTROLE DE MOINS EN MOINS DEPUIS MA GROSSESSE... JE NE VEUX PAS LUI FAIRE DU MAL... JE NE VEUX PAS FAIRE DU MAL…

Elle pensait aussi ces mots nouveaux, même s’ils venaient la dédouaner de cette phrase brute qu’elle avait proféré dans la panique et dans la Vérité. Elle ne se faisait pas confiance. Elle pensait perdre le contrôle de ses pouvoirs, de sa vie. C’était ses peurs il n’en doutait pas, qui avaient poussé l’éclosion de cet orage, c’était sa peur d’elle-même qui lui avait accordé cette dimension titanesque. Prodigieux… Il espérait qu’un jour elle puisse en arriver à un degré de force et même davantage tout en demeurant maîtresse d’elle-même, mieux en commandant l’arrivée de cette force. Mais pourtant...elle ne voulait pas faire de mal. Lui faire...du mal. Et sûrement y réussissait-elle malheureusement, à préserver ce médiocre petit être, malgré la furie qui grondait alentours… Lui vivait caché, reclus en elle, tandis qu’elle extériorisait ses peurs. C’était même la manière la plus idéale pour le préserver que d’être un orage vivant et contenu… et donc interne.
Alexis était loin d’être une femme sûre d’elle. Elle en donnait l’impression, se connaissait beaucoup pour certains points, mais fondamentalement derrière les barrières infranchissables se terrait malgré tout un cœur affolé. L’abandon la paniquait. L’envie d’être aimée, choisie parcourait sa vie. Il l’avait deviné par la seule connaissance de son histoire personnelle mais se l’était vu confirmé par les instants passés à ses côtés où elle se révélait plus rêveuse, plus elle-même plus vulnérable aussi. Beaucoup de fardeaux pesaient sur ses épaules… Des fardeaux utiles ou inutiles tirés des amitiés diverses qu’elle tissait et elle tentait toujours de les prendre à bras le corps, se fatiguant à la tâche… Il aurait voulu qu’elle apprenne davantage à mesurer sa valeur… Et aussi qu’elle concentre ses efforts sur le seul être qui en valait la peine : lui.
Pour autant, puisqu’une part de lui se satisfaisait de la voir encline encore au soupçon, ce qui soulignait sa perspicacité…- puisque ce faisant, elle se montrait digne de la considération qu’il lui offrait- il lui déclama

- TU PEUX ME FAIRE CONFIANCE… TU PEUX AUSSI DOUTER. » cria-t-il écartant vainement d’un geste les gouttes d’eau qui lui dévalèrent le bras « DE TOI. DE MOI. MAIS LA DECISION NE SERA JAMAIS QUE LA TIENNE. JE NE PEUX PAS TE FORCER, ALEXIS. JE NE PEUX PAS TE FORCER A LEVER LES YEUX SUR LE CIEL, A REGARDER CET ORAGE ET A COMPRENDRE A QUEL POINT… TU LE DOMINES. A QUEL POINT IL NE PEUT PAS T’ETRE NOCIF. A QUEL POINT, CE QUE TU ES NE PEUX PAS T’ETRE NOCIVE. IL N’Y A QUE LA VÉRITÉ QUE L’ON SE CACHE QUI TE LE FERA VOIR COMME TEL. IL FAUT QUE TU L’ACCEPTES. QUE TU T’ACCEPTES. MAIS CA NE PEUX VENIR QUE DE TOI. DE L’ACCEPTE, DE T’ACCEPTER ! »

Il reprit son souffle, soufflant vivement pour écarter l’eau qui glissait le long de ses lèvres, pour mieux poursuivre, la dévisageant avec force :

SI TU TE CONTRÔLES MOINS, IL FAUDRA QUE TU EN PARLES… C’EST SÛREMENT NORMAL. MAIS N’AIES PAS PEUR… JE SAIS QUE TU NE VEUX PAS FAIRE DE MAL… A LUI NI A PERSONNE D’AUTRE. MAIS NE TE VOIS PAS COMME UN MONSTRE PARCE QUE TU POSSÈDES CES CAPACITÉS FABULEUSES. ELLES NE COMPOSENT PAS TOUT EN TOI. ET TOI SEULE EST MAÎTRE DE CE QUE TU EN FERAS... »

Ce feu bleu et magnétique qui l’animait et ressortait d’elle, cette énergie à l’état pur déchaînée, oui c’était magnifique… C’était une puissance différence de celle qu’il maniait, puisqu’elle ne s’exerçait en rien par les mots mais se subissaient. Il se demandait quel effet cela pouvait produire que de savoir son être et ses émotions se prolonger d’une manière si imposante.. Il aurait aimé. Et lui aurait été bien las que de se soucier des effets que pouvaient produire ses pouvoirs sur le commun des mortels… Au contraire. Voilà ce qui manquait encore à Enora : de s’endurcir sur le sort du bas petit peuple. Une dame de si grande qualité, bénie par Sa Lumière avait bien d’autres préoccupations supplémentaires que de s’occuper des effets de ses pouvoirs. Une bouche de moins à nourrir remontait l’économie… Il ne pouvait le lui crier « CESSE DONC DE TE PRÉOCCUPER DES AUTRES ! CONTEMPLE TA PUISSANCE. PENSE A COMBIEN NOUS SOMMES INARRÊTABLES. A QUEL POINT TU PEUX ERRE TELLEMENT PLUS QUE CE QUE TU AS TOUJOURS CRU POUVOIR PRÉTENDRE. A QUEL POINT L’AVENIR PEUT ÊTRE PRIS ET SI AISÉMENT SI TU LE DÉSIRE » . Elle n’était pas comme ça. Elle n’était pas comme lui. Elle ne recherchait que le bonheur, l’acceptation, un foyer. Étrange était le Destin que d’avoir construit ce Foyer auprès de Lui, même si c’était là le désir primaire de tout individu… L’Homme qui depuis sa plus tendre enfance n’avait jamais cherché rien d’autre que sa propre satisfaction personnelle. Néanmoins, il savait paradoxalement qu’il était à même de lui offrir cela… Un Foyer, une Sécurité, et plus... être la personne qui la voyait comme elle était réellement. Il l’appréciait sûrement pour ainsi dire plus qu’elle n’était capable de le faire, encore… Chez elle, Alexis menait un combat contre Enora, rejetant cette part d’elle-même, sans comprendre qu’elle était bien plus une part d’Enora qu’Enora était la sienne.
Même si sa bonté la rendait touchante. Il lui semblait presque se voir s’agenouiller jusqu’à elle, pauvre petit ange déchue pour lui ouvrir la voie. Oui, construire une nouvelle vision. Ouvrir l’Avenir. Celui qu’il avait vu, transfiguré..
Si elle ne parvenait pas à se voir avec le recul nécessaire, avec l’apaisement nécessaire pour embraser pleinement ce qu’elle était, sûrement, lui montrerait-il. ll reprit :

- « EN L’OCCURRENCE… TU AS FAIT UN BON CHOIX SELON TES CONVICTIONS. TU ES VENUE ICI. PRETE A TE SACRIFIER AU PROFIT DE TOUS… MAIS CESSE DONC DE TE CRAINDRE, CESSE DONC DE VIVRE POUR LES AUTRES. CESSE DE TE SOUS-ESTIMER.. PENSES-TU RÉELLEMENT ÊTRE INCAPABLE, TOI, DE MAÎTRISER TES POUVOIRS AU POINT DE LES LAISSER PRENDRE LE DESSUS ? TA PEUR EST TA PLUS GRANDE ENNEMIE. SI TU T’ACCEPTES...ELLE N’A PLUS RAISON D’ÊTRE.

Il aurait pu aussi lui hurler que la Peur était inférieure à l’Amour. Cela avait beau être d’une niaiserie sans nom selon lui, cela se révélait vrai pour elle. Elle n’avait jamais hésité à prendre des risques pour ceux qu’elle portait dans son coeur. C’était ce même amour qui l’avait poussée à s’éloigner de tous, se révélant bouclier et unique réceptacle de la colère de la Foudre… Trop d’Amour dispensé en vain… Trop d’amour dispersé… songeait-il. Et elle l’avait observée avec une attention subitement atterrée une lumière foudroyante semblant se refléter sur son visage, comme si ses paroles l’avaient subitement éclairée. Mais cela était anormal… Mais l’esprit du Ministre était soudainement bien trop affairé par lui-même pour remarquer que la Foudre ne tombait plus. Il s’était trop efforcé de ne pas en tenir compte…
Et pourtant, brusquement, elle s’était relevée. Pour lui tourner le dos. Il ouvrait déjà la bouche pour protester, lorsqu’il COMPRIT. COMPRIS l’Horreur. Puis la vit faire. Tout ce qui se passait à la vitesse de la lumière ! D’un seul geste ! D’un geste amplifié de la main elle l’avait emprisonné pour mieux le projeter loin de lui. L’Eclair. L’Eclair qui lui était destiné. Elle l’avait balancé au loin comme un vulgaire fêtu de paille, insignifiant Le faisceau lumineux qui crachait une tension électrique palpable ne résista pas. Il alla échoir quelques mètres plus loin, sans ne serait-ce que diminuer d’intensité. Crachant son venin dans un grésillement qui fit tresauter d’effroi le coeur de Preminger. Mais ce n’était pas le plus impressionnant. Ce fut la suite. Les bras levés en croix d’Alexis. La bulle argentée, chargée d’électricité qui s’était soudainement formée autour d’eux, refermant sur eux sa protection, le faisant passer de l’horreur à la stupéfaction. Elle ne venait pas d’ailleurs mais était l’éclosion subite d’une facette du pouvoir d’Alexis qu’il n’avait jamais soupçonné. Ils n’évinçaient pas l’orage, ne le détruisaient pas, ils en formaient seulement le centre, là où résidait son cœur. Plus que de contenir, elle tenait en respect les éclairs, comme figeant leurs cours, les décomposant. Comme suspendus. Ici résidait nul danger. Il avait levé la main, dans un tremblement euphorique, touchant de la pointe du doigt une goutte d’eau suspendue, rencontrant une résistance légère, semblable à l’ effet d’une bulle sur le point d’éclore. La matière qui la composait semblait impalpable et pourtant il sentit l’humidité… Superbe… Une rangée de filaments bleutés courraient presque invisibles formant un dôme entre eux et l’Orage, un rempart solide et pourtant si frêle… Il lui semblait que s’il en posait la main, celle-ci le traverserait aisément. Et pourtant venant tout autant la conviction que ses parois n’en n’étaient en réalité par figées et possédaient le pouvoir de se distendre selon ses convenances.
Hoquetant de surprise, des restes de sa presque peur et de joie, il abaissa ses yeux jusqu’à rencontrer ceux d’Alexis. Il lut à la seule vision de son visage stupéfait que le phénomène qu’ils vivaient se révélait inédit également pour elle. Elle avait transformé son pouvoir. En vivait une nouvelle manifestation. Et sûrement ce qu’elle en apprenait l’apaisait également. La Foudre, qu’elle semblait n’avoir envisagé que comme un instrument de danger et d’attaque se révélait d’un tout autre visage à présent. Une facette protectrice et redoutable dont elle n’envisageait pas l’existence. Une force nouvelle, qui lui ressemblait en définitive aussi. Elle pouvait se protéger d’elle-même, elle pouvait se protéger d’autrui. Là, ils se trouvaient en sécurité. Ensemble. Son œil avide, « professionnel » ne put également s’empêcher d’en tirer les bénéfices… Cela était en réalité ô combien rassurant même pour lui. S’il se trouvait un jour, à ses côtés sur le champ de bataille, au moins apprenait-il qu’il ne craignait rien. Pas même un Eclair dissident. Il leva à nouveau les yeux vers le dôme de lumière se demandant s’il était capable d’anéantir voir de griller même toute attaque extérieure d’un ordre différent. Peut-être… Cela serait à explorer.
Rabaissant son visage vers celui d’Alexis, il plongea ses yeux dans les siens, avec intensité. Elle avait eu un petit rire surpris et de joie, comme prenant conscience brusquement d’un potentiel inexploré jusqu’alors. A la commissure de ses yeux, deux larmes s’étaient mêlées à l’eau qui baignait déjà son visage et le reste de son corps, synthèse de toutes les émotions passées et ressenties vivement. Ils ne risquaient plus rien. Il le sentait. Une page nouvelle venait de s’ouvrir brusquement devant eux et devant elle et il le vivait pleinement dans la seule perspective de son regard océan. La pluie s’était écoulée à nouveau, glissant dans son cou, dans ses cheveux, son visage, son dos mais ce fut à peine s’il en pris garde. C’était fini. L’Orage s’en était allé, s’effaçant au fur et à mesure que l’argentait du dôme s’effaçait dans le lointain de son champ de vision. Ne restait plus que l’averse fine et bienfaisante qui chassait les rares éclairs imprudents qui traînaient encore. Que le Tonnerre gronde donc, c’était fini. Comme cela était venu, torrentiel et brutal. Une fin en apothéose. Ses yeux n’avaient cessé de la dévisager, tant qu’elle observait progressivement, les éclairs se tarirent, le Tonnerre faire taire ses grondements impétueux. Elle semblait encore perdue, vide d’énergie mais malgré tout bien plus forte que précédemment. Et pourtant comme pour le démentir un vertige sembla la saisir tandis qu’elle croisait son regard et il lui ouvrit ses bras, lui offrant le refuge que son corps désirait. Le poids de son corps pesa doucement sur sa poitrine, et il la maintint contre lui, la laissant poser sa tête humide contre son épaule, refermant sa prise, fermant à son tour les yeux, un sourire satisfait sur le visage rivé en direction du ciel. Elle y était arrivé. Ils y étaient arrivé. Il y était arrivé.

- « Tout va bien… Tout va bien... » murmura-t-il glissant ses mains baguées le long de la chevelure trempée de la jeune femme. « Tu es saine et sauve. »

Entre ses bras, elle pleurait à présent, le corps secoué de spasmes de soulagement, relâchant l’ensemble de la pression qu’elle avait accumulé puis laissé exploser à travers les cieux. Tout était de la Faute de l’Erreur après tout… Mais il ne possédait pourtant pas – chose exceptionnelle- une dose de colère à son encontre. Grâce à cela, cette expérience merveilleuse était arrivée. Remplie de tensions et d’effrois certes. Mais tout de même ! Il resserra sa prise, la tenant ainsi, contre l’effondrement de trop qui aurait pu la prendre, la soutenant et la ramenant à lui. Elle y était parvenue. Avait vaincu l’Orage, ses craintes, sa Peur d’Elle-même. Oh, des autres combats viendraient, mais celui-ci préfigurait l’Avenir. Son potentiel, son courage et sa force. Elle, si subitement faible dans ses bras et si colossale jusqu’alors. C’était un paradoxe qui lui plaisait, il devait l’admettre, oui. Elle avait bredouillé faiblement, bassement sur son coeur, à même sa chemise :

Je suis désolée... Je suis... tellement... désolée...
« Pour quoi donc ? Pour avoir épargné ma vie ? » interrogea-t-il dans un sourire railleur qu’il ne destina qu’à l’étendue pluvieuse qui gorgeait l’horizon. Sa main droite caressa le long de son dos et il pencha la tête, mêlant leurs chevelures mouillées entre elle  « Oh, mon trésor tu as tort de t’en vouloir… Ce que tu as accompli, là, c’est une véritable prouesse, Enora. Tu m’as écouté, tu t’es écoutée. i...you win ! Tu as gagné ! »

Il avait senti sa main s’accrocher, comme une bouée à sa chemise comprenant ce qu’elle cherchait et ce qu’il lui offrait aussi, en renforçant sa prise sur elle, la plaquant contre lui, jusqu’à ce que leurs corps s’assemblent presque. Il lui offrait le point d’ancrage qu’elle recherchait. Le Foyer qu’elle voulait. L’endroit où elle se sentirait elle-même, acceptée et choyée. Son phare dans la Tempête.

« . Ne sois pas désolée d’être toi. Ne sois pas désolée pour ce qui s’est passé. Tu fus formidable du début jusqu’à la fin, mon glorieux petit trésor.. Tu as dompté ta peur, tu as prouvé ta force intérieure et il n’y a pas de plus grande force au monde que celle qui nous prête vie et nous compose. Je suis épaté, vraiment trésor, je suis fier. Tu as été merveilleuse… Et tout va bien. »

Si le ton de sa voix s’était enflammé, la fin l’avait rendue douce, rassurante. Sa main avait caressé le sommet de sa chevelure trempée, une nouvelle fois. Il la laissait écouler son saoul, sa peur, ses émotions. Il n’y avait qu’eux. Qu’eux dans ce champs, eux dans ce monde. Ils se trouvaient ailleurs, au dessus des autres, dans le Coeur de l’Orage qui s’était éteint pour eux. L’ombre de l’Erreur ne se ressentait plus. Il occultait la sensation de son ventre proéminent qui pesait contre le sien, ne se focalisant que sur son souffle qui chatoyait son cou, contre les battements de son coeur qui pulsaient contre sa propre poitrine, ses larmes qui coulaient contre ses vêtements, elle et tout ce qui la composait. Et LUI.
Puis, elle avait bougé et il avait mine de ne pas s’en apercevoir, par volonté de ne pas la brusquer. Il fallait aller à son rythme. Elle avait vécu bien plus de montagnes russes, de sensations d’effrois et de paniques, bien plus qu’il n’en vivrait jamais, mais il était apte à le comprendre et à l’admettre. Il attendait, il l’attendait. Alors, avait immergé son petit visage fureteur, du haut de sa chemise, les cheveux collés à sa figure encore trempée. Ses joues étaient rosies par les pleurs, ses yeux encore brillants d’avoir trop pleuré, un tremblement de fatigue secouait encore son corps, mais elle était là, cherchant après lui et ce faisant elle composait sa Victoire. Il la tenait là, entre ses bras, la Foudre Sa petite tempête. Indestructible et mais Vulnérable à lui. Il l’avait conquise, entièrement et n’y avait-il pas plus sentiment de puissance plus fort que ce qui le frappait dans son égo à ce moment précis. Ensemble, il allait conquérir tant de choses. Et au-delà… elle serait là. Une pierre angulaire à l’édifice de ceux qui composaient ses connaissances privées. « Seul, je vaincrais. Mais avec toi, ma victoire sera bien plus belle ». Sa main glissa de son dos jusqu’au devant de son cou fin pour remonter jusqu’à la naissance de son menton. Un doigt le dessina alors que le reste de sa main demeurait immobile et il resta un bref instant figé. Il lui semblait qu’il contrôlait le Temps, qu’il l’avait stoppé lorsqu’Elle s’était stoppée. Que la pluie qui s’écoulait sur leurs visages encore ne brouillait rien de leurs traits, de ce qu’ils étaient. Elle tombait sans jamais ne se mettre entre eux, ne faisaient que souligner dans le bruit de sa course, la rumeur solennelle du moment. Il ne sourit pas à Alexis, il n’en vit pas l’utilité, ni n’en manifesta aucune envie, l’instant ne se vouait pas à la douceur. Il l’observait, sa main toujours à mi-parcours, juchée sur le haut de son cou, gravissant son menton pour bientôt s’emparer de son visage remplit d’une timidité touchante. Elle était cette femme simple à présent comme dénuée de toute grandeur, elle qui pourtant avait commandé à la Foudre, modeste en sa présence, fine et fragile, repliée entre ses bras. Et c’était sûrement là qu’il la préférait, comme lorsqu’elle s’éveillait de leurs ébats et demeurait contre lui. Ainsi, il sentait sa force de connaître seul sa valeur pleine et de la savoir à lui. Son joyau.

« Tu es merveilleuse. » déclama-t-il avec fermeté, sondant profondément la dorure dévorante de ses iris dans ses yeux bleus.

Ses mains terminèrent d’entourer son visage pour que sa bouche puisse baiser de la sienne, une première fois. Dans un toucher suave qui distilla entre eux, une sensation d’envie et d’encore plus vive. Puis, il s’empara de ses lèvres, fougueusement. Son souffle s’était accéléré, alourdi même, sous la sensation et ses mains avaient attiré son visage à lui, s’agrippant presque à ses pommettes, au creux de ses joues, tandis que son buste se redressait un peu. Il y avait dans ce baiser, cet échange une dureté, quelque chose d’âpre qui caractérisait la réunion de leurs lèvres avides. Plus qu’un ballet tendre ou un échauffement des sens, c’était une réunion pour elle à son ancrage principal, son besoin son refuge. Et il la dissolvait dans ce baiser, se faisant maître de son corps pour mieux lui distiller le réel, sa force, sa vigueur. Mais il prenait aussi, à chaque effleurement, à chaque caresse ardente et langoureuse qu’il offrait à sa bouche, semblait s’insinuer par ce seul baiser, lui offrant son souffle pour mieux se repaître d’elle. Il se mouvait sur sa bouche, et bien que sans être outrageusement entreprenant, il sentait la douceur de sa peau se faire plus tendre. L’eau glissait, se mêlant à leurs effets, s’insinuant dans leur baiser, y ajoutant un goût unique. Il sentait la pluie battre sur son dos, sur son visage, embrassait les perles qui se formaient sur lèvres de sa maîtresse, les léchant même, tandis que son corps se tendait contre le sien. Il aurait pu avoir froid de toute l’averse qui gonflait l’ensemble du tissu qui composait ses vêtements, mais il ne ressentait rien. Rien d’autre que la satisfaction ivre de sa réussite, de la vision qu’il avait eu, de la situation présente qui le ravissait ô tellement. Il en oubliait franchement le principal. Où il se trouvait, l’état pitoyable de leurs vêtements, l’atmosphère étouffante qui les enveloppait. Cela ne possédait aucune espèce d’importance. Il se savait beau, sublime, intelligent, vainqueur. Et il l’avait belle, puissante, la bouche perdue sur la sienne. Elle avait donné vie à cet orage, à cette erreur qu’elle portait en elle et lui donnait vie, pourtant, à ce qu’elle était, ce qu’elle voulait être et pourrait être. Ce qu’elle serait à ses côtés. Il sentait sa main s’accrocher encore à sa chemise, palper son torse comme si elle y avait apposé la main à même la peau. La pluie avait fait du tissu un voile fin et presque impalpable sur leurs corps, si bien qu’il sentait et ressentait les contours du sien ployé contre sa musculature. Sa bouche se détacha de celle de sa maîtresse, dans un regret, pour glisser le long de sa mâchoire humide, jusqu’au creux de son cou. Il l’avait senti se raidir un peu sous ce contact puis était venu remonter ses yeux dans les siens, laissant leurs souffles se répondre un peu.. Il ne fallait pas. Pas encore. Ce baiser ne devait que la ravigoter. Bien qu’il soit tentant de prolonger encore… Les paupières d’Alexis papillonnèrent un peu, gênées par l’eau qui glissait à présent qu’il s’était reculé un peu, mais sans pour autant rompre le contact oculaire. Il savait qu’elle observait sa présence, les contours qui le composaient., toujours surprise des événements de sa présence. Mais il était là. Il avait posé une main douce, emprisonnant le creux de sa joue sur sa peau brûlante sous la pluie, l’encourageant à fermer les yeux un bref instant, dans cette caresse simple. Puis, tandis qu’elle s’abandonnait différemment alors, il avait pressé à nouveau sa bouche sur ses lèvres, dans une étreinte plus délicate et câline. Elle se détendait tranquillement, savourant ce baiser aussi céleste que du miel courir sur ses lèvres jusqu’à ce qu’il se recule, lui prenant la main désormais vide de tout filament bleu :

- « Partons mon trésor… Tu vas attraper froid... »

Il se relevait déjà, se secouant vivement sous la pluie encore battante, conservant néanmoins sa main dans la sienne. Tournant la tête, il constata qu’Alexis s’était relevée, doucement. Sa robe de chambre se collait à son corps. La boue ne l’avait pas complément salie, vite dégorgée par les torrents d’eau qui s’étaient abattu, la débarrassant d’une majorité de la saleté de la terre sauf quelques endroits qui n’avaient pu être lavés par les bourrasques d’eau qui s’écoulaient bien plus qu’ils ne nettoyaient. Il avait serré sa main, reforçant sa poigne, prenant conscience de l’état de ses propres chaussures. Et de la boue dans laquelle il avait pataugé. Son pauuuuvre costume, songea-t-il soudain, il avait eu raison de ne pas s’attarder là dans toute cette boue ! Il fallait rentrer assez vite…Un sursaut de dégoût naquit en lui, soudainement et il accéléra sa marche à travers le champs, s’évertuant soudainement à quitter cet endroit.

« Viens donc, je suis garé non loin de là... »

Mais le « non loin de là » lui paraissait pourtant à une distance infernale… Il devait sortir de cette boue indigne de lui, qui le ramenait bien trop à son origine primaire pour qu’il n’y prenne pas subitement garde. Maudissant entre ses dents chaque pas, chaque flaque visqueuse qui menaçait de détériorer plus encore le cuir superbe et italien de ses chaussures, il s’enthousiasma soudain de voir apparaître dans son champ de vision son magnifique véhicule luisant d’eau.

« Nous y voici ! Nous y voici ! » presque aurait-il trépigné avant de se mettre frénétiquement à chercher les clefs dans sa poche détrempée.

Malgré sa soudaine panique, elles s’y trouvaient bien et l’eau n’avait pas eu raison du fonctionnement de l’ouverture à distance comme il avait soudainement craint de le découvrir. Dévérouillant les portières, il sourit à Alexis, prenant le temps d’écarter une de ses mèches de cheveux sur ses tempes, puis s’installa au volant, dans un soupir d’aise. Le cuir moelleux de ses sièges l’accueillit comme une récompense bienfaisante bien qu’il faillit bondir en se rappelant qu’ils se trouvaient actuellement couverts de boue. Il ne servait à rien de tempêter sur le sujet, bien que la perspective de payer un nouveau nettoyage complet pour le véhicule le dépita totalement.. Pour toute réaction, il descendit le pare-soleil intérieur de sa voiture, pour mieux en ouvrir le petit miroir. Oh bien sûr, il ne possédait pas sa mine somptueusement sèche des jours grandioses… Ses cheveux noirs eux-même semblablement à ceux d’Alexis s’étaient affaissés un peu, gorgés d’eau, mais son visage n’avait pourtant rien perdu de sa superbe. Il s’abîma dans son regard mordoré, qui flambaient d’une arrogance victorieuse, les graines de la satisfaction accrochées à l’éclat lumineux de sa peau luisante par la pluie. Il démarra le contact, se mettant à rouler.
Alexis avait pris place dans le siège passager. Un peu encore recroquevillée, elle guettait le ciel, l’horizon, les yeux encore dans le vague, prenant conscience des récents événements progressivement. Il aperçut sa main crispée encore à son siège et s’en saisit, la portant à ses lèvres fines, y déposant un baiser illuminé par son sourire flamboyant. Les paysages défilaient dans sa vision altière, obscurcis par la pluie et il y avançait… Un sourire vainqueur pointait finement sur le bout de ses lèvres, mais il le dissimulait encore. Son triomphe à l’intérieur le gagnait progressivement. Sa conscience à lui aussi s’éveillait au fur et à mesure que la voiture filait vers la ville… Elle avait gagné. Et puisqu’elle avait gagné… il avait gagné. Il l’avait calmée. Il avait maîtrisé la Tempête. Il disposait de la Tempête. Lui. Un sans pouvoir. Un « simple mortel » aux yeux des autres. Mais lui : Preminger. Il l’avait su et l’avait fait. Comme toutes choses auparavant, il l’avait accompli cette vision, cette certitude d’être la Solution. Il avait gagné encore. Sans détourner la tête, maîtrisant sa satisfaction, ses yeux de biais avaient guetté le profil d’Alexis, se portant sur son état second encore :

«  Tu n’as pas à t’en vouloir… Tout est bien. »

Il n’ajouta rien, sachant pertinemment qu’il lui convenait de la laisser reprendre progressivement ses esprits seule. Lui, exultait bien trop intérieurement à présent. Dans d’autres circonstances, il aurait pu chantonner. Mais demeurant les lèvres closes, le visage insondable, la satisfaction hautaine dansant seulement dans les méandres de son esprit. Il avait stoppé l’Accalmie. Et le Futur était en marche. Un Futur à son image. Il avait déposé sa main sur celle de sa maîtresse et avait continué sa route, mêlant ses doigts aux siens.
Storybrooke était encore déserte et ce n’était pas plus mal. Il n’avait eu aucune peine à remonter le long de la grande allée qui desservait le quartier nord, apercevant du coin de l’oeil une nuée de gyrophares filer dans une rue connexe. Un frétillement chatouilla la commissure de ses lèvres et il récupéra son téléphone d’une main. Il l’allumerait bientôt…
Dépassant les pins et les châtaigniers, il tourna encore devant les premières grandes maisons, puis stationna son véhicule non loin de la maison d’Alexis. Ils y étaient.
Il avait dégrafé sa ceinture, puis était sorti dans l’allée, sans nécessairement l’attendre, surveillant sa sortie, pour sautiller avec vigueur jusqu’au large perron. Non qu’il craignait réellement d’être vu en sa compagnie, non… Il craignait surtout d’être vu dans cet état. LUI dans un costume sale et détrempé, quelle ridicule idée. Elle l’avait rejoint rapidement et il n’avait constaté que là haut qu’elle était sortie si précipitamment qu’elle en avait oublié de refermer totalement la porte.

- « Dangereux, trésor… Un bandit aurait pu s’y glisser… Tss-tss » commenta-t-il avec une verve ironique, puis pénétra, veillant bien à refermer à clefs derrière elle, un soupir de satisfaction traversant ses lèvres.

Il était rentré. Ils étaient sains et saufs… Dans un bond, il avait traversé la distance qui le séparait d’elle, trempant par la même occasion le hall, pour déposer un frais baiser humide sur le haut de son crâne, apaisé, puis se recula, secouant ses mains dramatiquement pour indiquer :

« Je te laisse un breeeeef instant, trésor… Il faut, non pas que je me refasse une beauté, » il s’était arrêté pour laisser échapper un petit rire hilare «  mais que j’essuie mon visage, je vais à la salle de bain, d’accord ? Je reviens viiiiite. »

Il la laissa là, la sachant tranquille et monta rapidement les escaliers pour rejoindre la salle d’eau, souriant avec une force vigoureuse au reflet qui l’accueillit là, une flamme consumant dans ses yeux d’or. Ils avaient réussi. Il avait gagné.

« Toujours aussi séduisant, à ce que je vois... » se susurra-t-il dans un roucoulement vaniteux.

Il entreprit de se laver le visage, sans décoller l’oeil de son propre reflet avant de déverrouiller son téléphone. Midas avait cherché à le joindre.. Plusieurs fois même. Puis avait cessé ses tentatives jusqu’à un long moment non éloigné de l’heure présente. S’observant toujours, l’oeil réjouit, il composa le numéro de téléphone, pressant le combiné téléphonique non loin de son oreille, avant de l’écarter, subitement inquiet à l’idée de le tremper par l’eau de ses cheveux. Trop tard, la voix de son canidé s’élevait déjà :
« Erwin ? Tout ? Tout va bien ? »

Il avait ressenti son soulagement et la nervosité encore à ses seules intonations et avait haussé les épaules, entreprenant de se défaire de ses vêtements salis qui bien que ne suspendant pas son insolente beauté, faisait tâche sur lui. Jetant sa veste au sol, il déboutonna les boutons de sa chemise, tout en commentant :
« A merveille, Jérémiiiiiie. J’ai suspendu la Fouuuudre. Enfin façon de parler... » le son de sa voix s’était alanguie sous l’effet de son arrogance, bien que le volume se soit atténué, sachant se trouver ailleurs qu’à son propre domicile. « Sais-tu la cause de tout ce petit raffut ?  Les peurs amplifiées par la grossesse… Le Prénom et L’Erreur elle-même, ce sale petit parasite.. Et L’Avenir. Sa vision d’elle-même… Beaucoup trop de choses polluent son esprit… Mais tout va bien à présent. Et Enora... Alexis. Alexis se porte à merveille à présent. »
Il déposa sa chemise sur le panier à linge, dévalant un regard satisfait sur sa peau, tandis que la voix de son associé reprenait, admirative :
- « Tu as arrêté l’orage. Merveilleux ! Tu es... »
- « Prodigieux ? » coupa-t-il en offrant un somptueux sourire à son reflet, tout en dodelinant de la tête…
- « Epoustouflant... »
- « Encore mieux ! Même si...je le saiiiiiis. » ricana-t-il méchamment « Et c’est une longue et passionnante réussite que je meurs d’envie de te partager, crois-moi. Mais il te faudra m’atteeeendre. L’histoire est toujours plus belle lorsqu’on prend son mal en patience, mon cher Jérémie. D’ailleurs n’en n’as-tu pas une à me raconter présentement ? »
Il se doutait de la réponse, mais désirait l’entendre… Sa réussite complète. Totale. Et elle se confirma soudainement .
- « C’est fait…. Nous avons réussi. Nous avons suivi ton plan et… c’est fait. La police vient d’arriver sur les lieux. »
- « Merveilleux… Tu m’enchantes ! Tu es réellement doué. » ronronna-t-il avec emphase « Demain… Nous fêterons GRANDEMENT cela. »
- « Je t’invite. »
- « Avec joie. Je te laisse… Alexis n’attends que moi. Have a good night ! »

Bien qu’elle attendit ce déplaisant petit Isaac… Mais… Il n’avait pour ainsi dire, clairement pas la tête à se souvenir physiquement de l’existence de ce dernier. De toute manière, il n’était pour ainsi dire pas encore né et il avait bien d’autres chats à fouetter pour briser son euphorie en lui accordant quelques secondes de considération maussade! Il avait tout gagné ce soir! Il avait sauvé Alexis, stoppé l'Orage, réceptionné une impressionnante quantité d'oeuvres d'art. Il était riche! Puissant. Merveilleux. Inarrêtable.
Il se défit de son pantalon, de ses chaussures et chaussettes, demeurant en sous-vêtement qui bien que mouillé également, n’avait pas subi la boue. En attendant de prendre une douche.. Et puis, il demeurait superbe… Il noua une large serviette blanche autour de sa taille, puis sorti à la recherche d’Alexis de sa démarche triomphante. Il la retrouva non loin de là, en dépassant une porte. Reculant dans un reniflement hautain. EVIDEMMENT. Dans ce qui serait « sa » chambre. Cet endroit où il évitait de mettre les pieds, contemplant parfois les aménagements et les achats dans un hochement de tête forcé. Mais évidement, elle n’avait pu aller que là. Elle lui tournait le dos, figée comme en pleine réflexion. Et outrepassant son dédain, il s’était glissé là, rompant ce moment d’intimité entre elle et cette...chose non vivante encore.
Elle n’avait pas perçu sa présence pourtant. La pluie avait chassé son parfum et puisqu’il s’était déchaussé sa manière grandiloquente de claquer ses talons n’avaient pu lui annoncer sa venue. Il s’était glissé dans son dos, doucement, posant son visage dans le creux de son cou, faisant taire son tressaillement nerveux par un fin baiser.

- « N’importe qui s’angoisse. N’importe qui s’effraye, c’est normal. Je suis désolé que tu aies du vivre tout cela, passer par tout ce que tu as vécu, aujourd’hui… Alexis… Il ne faut plus que tes peurs, quelles qu’elles soient prennent le dessus sur toi. Tu es forte. Et tu ne dois pas t’inquiéter sur… je suppose ta capacité à gérer cet enfant. Tu seras une bonne mère. Tu aimes si pleinement. Non aveuglément mais entièrement. Bien sûr que tu failliras parfois… C’est humain. Mais ça ne changera rien à l’amour que tu lui donneras. Et sachant déjà ô combien tu tiens à cet enfant… Il ne pourra qu’être parfaitement fier et reconnaissant à la vie de posséder une telle mère. » susurra-t-il doucement, refermant ses mains sur le dessus de son ventre, veillant pourtant à ne pas entrer en contact avec ce dernier « L’important trésor. Ce n’est pas de craindre, c’est de se relever. De s’accepter. Tu l’as fait à merveille aujourd'hui… »
Il embrassa sa peau doucement du bout de ses lèvres, la goûtant plus que l’enveloppant, doucement. Puis déclara doucement :

- « Si tu désires m’en parler, je suis là. De ce qui s'est passé. Je ne veux pas que tu t’en refermes. Si c’est trop tôt, si ce n’est pas le moment peu importe. Mais je veux savoir ce qui t’arrive. Ce qui t’est arrivé. Je veux t’aider. Mais pour cela, il faut que tu me laisses faire. » chuchota-t-il

Ils restèrent un long moment ainsi. Son torse nu reposant sur ses vêtements trempés, attentif. La pénombre les nimbait un peu et il lui semblait que dans les moments de silence la pluie se déversait sur le toit avec moins d’agressivité. Il entendait ses clapotements amoindris par les tuiles au dessus de leurs têtes. L’atmosphère qui les camouflait était néanmoins propice à la discussion… Puisqu’elle n’avait pas à le regarder dans les yeux, puisqu’ils se trouvaient là, dans la chambre qui serait celle de l’Etre qu’ils avaient tous les deux créés….

Après un Temps, il l’encouragea à pivoter vers lui, la dévisageant malgré les volets fermés, l’invitant à lever le menton vers lui. Sa peau était encore un peu brouillée par la boue et l’orage et il constata que la chemise de nuit qui la recouvrait collait à son corps, maculée de bout, n’en dissimulait que peu de choses. Fort peu. Et surtout… qu’elle était particulièrement froide, pour ne pas dire gelée. Il l’avait sentie plus humide que lui, étant restée dans ses vêtements le « petit Temps » qui lavait passé en salle de bain et si cela collait parfaitement à la scène et à l’apesanteur du moment, il ne convenait pas de demeurer ainsi. Essuyant de son pouce une légère trace de terre, il lui tendit la main, l’invitant à la saisir puis la conduisit jusqu’à la salle de bain. La laissant avancer dans la pièce lumineuse, jusqu’au grand miroir qui les desservait, il la laissa s’observer immobile dans son grand reflet. Il n’y avait rien de plus merveilleux que de s’admirer, que de se contempler dans un miroir. Ce faisant on fusionnait avec soi-même et il savait que rien ne le mettait plus en joie, ni en phase euphorique avec lui-même que de faire cela…
Doucement, il s’inséra dans le tableau, laissant son ombre grandir dans le reflet. Plaçant ses mains de chaque côté de ses épaules, délicatement, il sentit un frisson y naître, tandis qu’il descendait la tête l’embrassant à la naissance de sa clavicule, sans détourner le regard de son reflet. Il suspendit le moment, un instant, la laissant s’imprégner de cette vue, de ce baiser, de sa bouche chaude sur sa peau blême et froide. Des sensations qu’il faisait naître. Puis remonta doucement le long de son cou blanc, distillant plusieurs frôlements moites et caressants sur sa chair. Il la sentait réagir doucement, progressivement au fur et à mesure que ses baisers s’intensifiaient, exploraient sa peau… .

Il vaut mieux l’enlever… Il ne faut pas que tu attrapes froid, ainsi… Au contraire, il faut te réchauffer… murmura-t-il ses dents sur sa clavicule, tandis que ses mains, de chaque côté de ses côtes, se saisissaient du haut de son vêtement, l’encourageant à s’en défaire. Le tissu glissa le long de sa peau douce, y laissant une trace humide encore tandis qu’il l’encourageait à lever les bras. Il le laissa tomber au sol avec indifférence, relevant son visage contre son cou, observant leurs reflets dans la vitre, laissant mes mains prendre possession de son corps nu, le parcourir lentement, plaquant son ventre contre son dos. Sans rompre le contact oculaire avec le miroir, il déposa un nouveau baiser plus longuement dans le creux de son cou, sentant son inspiration s’accélérer. Et pourtant il veillait à ne pas sombrer dans le passionné, il se voulait attentif, lent à son éveil. Plus que de l’échauffer, il voulait l’éveiller pleinement. A son rythme mais dans sa cadence. Un hommage à ce qu’ils avaient vécu. Un respect à ce qu’elle avait craint. Il voulait qu’elle se sentisse en confiance, choyée. Unique à ses yeux. Son joyau.

« Mon trésor… » exhala-t-il suavement à même la peau

Alors qu’elle se détendait encore, il l’invita alors à se retourner vers lui, descendant son visage jusqu’à la naissance de son ventre, lentement ensuite pour rejoindre ses yeux à nouveau, lui désignant la douche. Puis, il s’avança, l’embrassa pleinement à nouveau, caressant son visage, le long de son dos. Sa main droite glissa le long du creux de son dos, entourant sa taille pour la presser davantage contre lui. Puis, tandis que ses lèvres se séparaient, les doigts de sa main gauche remontèrent sur sa figure, titillant le haut de sa pommette droite délicatement rosée, tendrement, tandis que ses yeux s’incrustaient dans les siens…

« Je te vois comme nul autre, Alexis… Laisse-moi te débarrasser, te laver de toute cette boue, trésor. Laisse-moi te révéler... »

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« Allez dans la Lumière.
C'est au détour d'une Ombre
que nous attends le Mal. »


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Tu es comme tu es... mais malgré les erreurs, tu me rends parfois la vie de maman célibataire plus douce...


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________________________________________ 2021-08-25, 00:25 « Allez dans la Lumière. C'est au détour d'une Ombre que nous attends le Mal. »




Dans l'œil de l'Orage


C’était comme se débattre face à une bourrasque de neige : vide de sens, inutile. Rien ne pouvait arrêter les flocons de nous coller aux cheveux, au corps, à la peau, brûlant chaque parcelle à l’air libre. Nos mains ne nous servaient à rien, on se débattait contre du vide et pourtant, un vide si tangible dans la douleur. C’était comme ça que je me sentais brusquement, comme si je me battais face à une bourrasque de neige. Vide de sens et inutile. Petit à petit, l’orage cessait de gronder et il ne restait plus qu’au loin un bourdonnement un peu sourd qui ponctuait mes grandes inspirations et mes expirations soulagée, en rythme avec la cadence plus rapide et rapprochée des grosses gouttes de pluie qui battaient avec violence les pavés de Storybrooke, la boue tout autour de nous, nos têtes encore choquées, nos corps pourtant déjà trempés. Ma main s’était raccrochée à lui, dans le silence de ce début de nuit qui s’installait petit à petit. C’était de plus en plus calme au dehors et pourtant tout grondait encore en moi avec une telle force que je ne parvenais pas à me stabiliser, à y trouver un repère. Un repère entre la douceur et le chaos, entre le stress et la tendresse. Il n’y avait que cette impression, celle de se débattre face à une bourraque de neige. Vide de sens. Inutile.

Après m’être excusée, je n’étais parvenu à ne rien faire d’autre que l’observer, attendant, cherchant un point d’ancrage. Je l’avais alors senti resserrer sa prise sur moi, coller mon corps au sien, et si je n’avais pas été encore pleine de cette tension, j’en aurai sans aucun doute soupiré d’aise. Et pourtant, j’étais restée silencieuse, comme encore sous le choc du contre coup. Il ne semblait m’en vouloir de rien. Pourtant, il ne savait pas même le quart de ce que je me reprochais. Il disait que j’avais gagné, après s’être inclus trop précipitamment en m’excluant entièrement. Je n’avais pas bougé, pas même cligné des yeux, toujours aussi silencieuse. Comme anesthésiée par le choc, j’avais alors l’impression que mes dernières forces avaient été pour exulter ma joie et ma surprise au moment du dôme électrique et que ce qui me restait à présent était le vide et le néant, un océan de silence au cœur d’un ciel de tourment. Il fallait que je puisse enfin ressortir la tête de l’eau pour redevenir moi-même. Au milieu du chaos, il n’y avait que lui, ses yeux, son visage, sa voix qui se faisait tour à tour exaltée et apaisée, dangereuse et rassurante. J’avais senti la douceur de ses caresses, incapable de faire autre chose que de les ressentir, me laisser aller pleinement au moment, sans chercher ni à m’en soustraire, ni à en devenir actrice. C’était comme voir le phare au loin, se sentir rassuré à l’idée de l’avoir dans son champ de vision mais être encore finalement trop loin pour se sentir en sécurité. Ses mots enflammés continuaient à tourbillonner encore et encore dans ma tête. Il disait être fier de moi. C’était un sentiment nouveau. Il n’avait jamais été fier de moi. Je n’avais même jamais attendu de sa part qui le soit. Je ne l’avais jamais attendu de personne de par mes actes, tout en l’espérant pourtant secrètement. Est-ce que j’avais dompté ma peur ? J'avais plutôt l’impression d’avoir agi sous la pression, d’avoir fait ce que je devais faire parce que je n’en avais pas eu le choix... mais s’il le voyait comme ça, alors pourquoi pas ? Je me sentais pourtant si faible, loin de la force qu’il voyait en moi. Je sentais mon corps trembler de fatigue, de froid aussi peut-être et mes dents claquer sous l’effet du choc et de la pluie. Du vent...

Mais surtout je sentais ses mains sur mon corps, ses mains qui avaient perdues de la chaleur à traîner dans l’humidité du temps mais qui ne perdait pas de leur douceur. Mes yeux s’étaient fermés un court instant de soulagement lorsque j’avais senti sa caresse sur le haut de mon crâne, jusqu’à ma nuque. Elle s’était immiscée avec la même douceur jusqu’à mon menton et je l’observais avec attention, attendant la suite, sachant pertinemment ce qui adviendrait. Il devait aimer toucher mon visage, c’était une de ces choses qu’il avait l’habitude de faire, une caresse habituelle bien que toujours aussi bienvenue, celle qui me poussait à l’observer quand je m’y refusais pourtant, celle qui précédait le baiser...

— Tu es merveilleuse.

Je n’avais pas eu la force de répondre. Ni même le temps. Et pourtant quelque chose au fond de moi s’était éveillée à cette déclaration, pourtant dîtes sans détour et sans doute possible. Il le pensait et l’intensité du regard qu’il m’avait lancé me mettait au défi de dire le contraire. Et pourtant j’en mourrai d’envie : merveilleuse de quoi ? Parce que j’étais capable de tout faire exploser à la moindre saute d’humeur ? Ne l’étais-je alors pas jusqu’à présent ? Etais-je uniquement définie par ce coup de tonnerre qui s’était emparé de moi ? La réalité, c’est que je n’avais jamais su recueillir les compliments. J'y cherchais forcément une moquerie, un coup tordu ou même à le démontrer peut-être par modestie mais surtout par pudeur. C’était dur d’accepter les compliments, d’observer la personne qui nous le faisait bien droit dans les yeux et de simplement accepter que ce puisse être ce que je pouvais représenter aux yeux du flatteur. Et pourtant, de l’entendre le préciser avait éveillé en moi une étincelle, une de celle qui avait réchauffé mon cœur sans pour autant le brûler. Une de celle qui réconfortait. Et avant que je puisse faire quoi que ce soit, encore bien trop perdue dans le lointain pour avoir une quelconque réaction, j’avais senti le goût de ses lèvres sur les miennes. Ce baiser, je l’avais déjà senti, à quelques reprises. Il avait le goût de l’inédit, de la surprise, de la puissance et de la victoire secrètement célébré, à la dérobade. C’était comme exulter dans le silence, comme hurler dans la douceur. Je l’avais senti cette première nuit à Paris après mon refus et mon acceptation, une fois encore après le naufrage, quand nous avions réalisés que nous étions en vie, une troisième fois enfin, dans la salle d’un bal qui ne semblait pas se dérouler avant une dizaine d’année et maintenant ce soir, juste après un orage qui avait manqué de tout emporter. Pourtant ce soir, je ne me mêlais pas à son allégresse, je ne faisais que la subir, passive mais pas prisonnière, tentant juste d’y trouver un sens, MON sens, mon identité. Il célébrait sa découverte : j’étais merveilleuse. Me débattant toujours avec ce compliment qui me bouleversait presque autant que tout le reste, je l’avais senti prendre possession de mes lèvres, de mon corps, pleinement. Je n’étais plus aussi impuissante qu’à Paris, je n’avais plus l’impression que mes envies prenaient corps de ma raison. J’avais envie de ce baiser, mais plus rien en moi tentait de le repousser ou d’y trouver quelque chose à redire. Je l’aimais. Mais pourtant, je ne parvenais toujours pas à plus, me laissant porter sur les flots de mon être meurtri, me rassurant de la lumière du phare qu’il distillait en moi, puissamment, férocement. J'avais senti ses mains agripper mes joues et mes pommettes, sa langue s’immiscer à la commissure de mes lèvres, se mêlant au ballet qu’avait entrepris sa bouche, goûtant à la pluie que le vent venait déposer en perle rondes. Dans l’action, seule ma main s’était refermée un peu plus sur son torse humide, comme un appel à l’aide silencieux. Je pouvais presque percevoir sa peau nue à travers le fin tissu trempé.

Puis le baiser avait cessé et j’avais senti poindre en moi le regret, l’envie de plus, de continuer bien que je ne parvinsse pas à le formuler. J’avais senti ses lèvres glisser sur ma mâchoire, jusqu’au creux de mon cou. L’action m’avait presque ramené à moi, me raidissant par instinct, par une tension sourde d’envie qui commencer à naître dans le lointain mais aussi par besoin de lui dire d’arrêter. Pas maintenant. Pas comme ça. Je refusais que cela puisse être une possibilité, moi, toujours à moitié absente, lui en pleine possession de ses moyens. Ses yeux étaient remontés vers les miens et j’avais tenté de l’observer, papillonnant de par le rideau de pluie qui se déversait à l’intérieur de mes iris, m’empêchant de le voir pleinement. Me laissant bercer par le bruit et la douceur des perles de pluie, je l’observais toujours, argarde, le souffle court par le dernier baiser qu’il m’avait proféré. Je m’étais alors senti revenir à moi lorsque j’avais senti le goût de ses lèvres sur les miennes, une seconde fois, avec plus de douceur. Je me surpris alors à apprécier ce baiser avec plus de force que le précédent, alors qu’il en avait toujours été l’inverse. Il signifiait tant en cet instant. L’accalmie, son envie de rester à mes côtés, malgré tout ce qui s’était passé, la tendresse avec laquelle il continuait de me traiter, loin de me voir comme un monstre ou une bête dangereuse. Alors lentement, ma main avait quitté son torse pour venir trouver refuge dans ses boucles de jais, trempées, prolongeant avec la même cadence, ce que ma bouche faisait sur la sienne, me ramenant à moi, à cet instant qui n’était rien que pour nous.

— Partons mon trésor… Tu vas attraper froid...

Sa phrase m’avait brusquement ramené à la réalité du moment. J’avais de nouveau ouvert les yeux, constatant alors le spectacle désolant qui se déroulait sous mes yeux. Ce champ, les impacts de foudre, la boue tout autour de nous. Dans d’autres circonstances, j’aurai pu sans aucun doute rire du malheur d’Erwin : avait-il plus bousillé de costumes avec quelqu’un d’autre que moi ? Mais en cet instant, je n’en avais pas envie, prenant pleinement conscience de ce qu’il avait fait pour me rejoindre, sans hésiter une seconde malgré son dégoût. Docilement, je l’avais suivi jusqu’à sa voiture, me fichant allégrement de mon état ou du chemin fastidieux que nous pouvions emprunter, tandis que je le voyais se débattre de son côté, grimaçant, tentant de faire abstraction. Maintenant que le danger que j’étais s’était calmé, il semblait lui aussi reprendre pleinement possession de ses moyens et... de sa personnalité.

Je m’étais installée dans la voiture, indifférente à ses actions à mes côtés. Bien trop perdue dans mes pensées, j’avais laissé ma tête humide reposer sur la portière, dans une position presque recroquevillée, ma main sur le siège si crispée dans le cuir qu’elle traduisait à elle seule mes tourments. Je l’avais entendu abaisser le pare-soleil mais je contemplais toujours le ciel qui s’assombrissait à vue d’œil. Plus à cause de l’orage mais simplement à cause de la nuit. Après la Guerre venait la Mort. Cette pensée vint se poser sur mon cœur comme un poignard sournois. Je voyais encore à travers les ombres qu’affichaient les nuages, les marbrures de mon œuvre. La tension était en train de se diffuser, de lisser le tout à l’horizon. Il ne restera bientôt plus que la nuit calme... la Mort. Le silence sur le champ de bataille. J’avais vu ce dôme électrique. Cet étrange dôme qui m’avait permis de nous sauver. J’avais presque vu le Temps s’arrêter tant mon contrôle avait été puissant à cet instant et tout m’avait ramené à lui. A Chronos. Elliot me choisirait tôt ou tard. Il ne fallait pas que je refuse. Il fallait que j’accepte. Hyperion m’avait dit de vivre en attendant, de profiter de chaque instant. D’aimer. Et si cette chose que j’étais parvenue à faire était déjà liée à ce futur funeste ? Est-ce que je devais ne serait-ce qu’en parler à Erwin ?

J’avais senti sa main s’emparer de la mienne, me sortant de ma rêverie par la même occasion dans un sursaut puissant. Tournant la tête vivement à son encontre, j’avais vu ma main se porter à sa bouche malgré moi, son sourire qui se voulait chaleureux et rassurant. Et cette lueur au fond des yeux, celle de la contenance. Il avait envie d’exulter, comme il l’avait fait précédemment. Je le voyais. Tout ceci le rendait presque aussi heureux que cela me bouleversait. Un peu maladroitement, j’avais tenté de m’arracher un sourire, bien faible pourtant, en guise de réponse. Puis le moteur avait ronronné et mes yeux s’étaient reposé sur le défilé des paysages. Par là un arbre calciné, ici un torrent d’eau, et quelques impacts de foudre par-ci, par-là. Mais qu’est-ce que j’avais fait...

— Tu n’as pas à t’en vouloir… Tout est bien.

Je n’avais pas répondu. Je ne l’avais même pas regardé. Il ne s’en formaliserait pas. Il savait que j’avais besoin de temps, il voulait juste être gentil. Alors je ne m’en formalisais pas. Je continuais à penser : comment continuer à vivre quand on était capable de faire tout cela sans même s’en apercevoir ? Au loin, j’avais vu les gyrophares de ce qui semblait être des voitures de police. Est-ce que j’avais créé plus de dégâts que ce que je pouvais l’imaginer ? Le cortège semblait pourtant partir dans la direction opposée mais un poids supplémentaire s’était placé dans mon estomac. Est-ce que Isaac méritait vraiment de naître et vivre dans un monde où sa mère pouvait tout emporter sur son passage ? Plus que l’éducation que je pouvais lui donner, j’étais forcément une mauvaise mère par ce que j’étais. Mais je l’avais maîtrisé aussi... et j’avais toujours su le faire avant ma grossesse. Il n’y avait aucune raison que ça tourne mal. J’avais réussi à tout maîtriser. J'avais gagné. J’étais merveilleuse.

Je n’avais pas répondu à son commentaire sur ma porte ouverte car je n’avais pas su comment le prendre. J’avais senti une pointe d’amusement que je n’avais pas su saisir. Vu la situation qui m’avait poussé à laisser cette porte ouverte, qu’aurais-je pu craindre ? Est-ce qu’il supposait que j’aurai pu réduire ce type en cendre et qu’un cambrioleur n’était plus vraiment le danger ? Est-ce que j’étais blessée par cette supposition ? Assurément. Y avait-il un pourcentage de chance que je n’avais pas réellement saisi son humour et que je me montais un plan toute seule ? Possible. Je m’étais donc contenté de lui passer devant pour entrer à l’intérieur sans rien dire. J’avais entendu la porte se fermer derrière lui, son soupire d’aise, sa voix chantante et claironnante. Il se comportait comme si rien ne s’était passé, comme si nous revenions juste d’une bonne soirée cinéma. Je sentais monter en moi une colère sourde que je m’effrayais pourtant de voir sortir. J’étais encore bien trop bouleversée pour me maîtriser. Je pourrais le blesser pour de bon cette fois-ci... Aussi avais-je accueilli son départ pour la salle de bain avec un soulagement si puissant que je ne m’étais même pas offusquée de le voir prendre si pleinement possession des lieux en me laissant en plan dans ma propre maison. Qu’il me laisse. Je préférais mille fois le silence de son absence que la douleur que je pourrai lui infliger par sa présence.

Je restais alors quelques minutes sans bouger, silencieuse, plantée au milieu de mon propre hall d’entrée, à ne pas savoir quoi faire ni dire. Comme pour me ramener à la réalité, j’avais alors senti un étrange chamboulement dans mon ventre : mon bébé bougeait. Instinctivement, ma main s’était posée sur mon ventre et presque hypnotisée par la sensation, mes jambes me menèrent à mon tour jusqu’au grand escalier. Lentement, prenant conscience de chaque marche, je les gravis avec un certain sérieux, jusqu’à atteindre le palier, la main sur la rampe. Dans la salle de bain, la voix d’Erwin me parvenait légèrement étouffée. Parlait-il tout seul ? Je me surprenais à ne rien en avoir à faire, à ne même pas chercher à comprendre ce qu’il disait, me dirigeant comme une somnambule jusqu’à ma destination : la chambre du bébé. Religieusement, j’avais passé un instant sur le perron de la porte, comme presque craignant d’y entrer, d’y croiser son aura déjà bien plus forte qu’elle ne pouvait l’être et peut-être même le fantôme de ce petit garçon au teint pâle et au regard triste qui se trouvait être le mien... et le sien. La voix d’Erwin continuait à me parvenir, étouffée, comme une étrange musique dans ce début de nuit. La pièce n’était presque plus visible, je ne voulais pas en allumer la lumière pourtant, laissant les derniers rayons de clarté filtrer à travers la fenêtre. Après une grande inspiration, j’avais posé mon pied nu sur le parquet sombre de sa chambre. Je venais de le terminer. Le lieu sentait encore un peu la peinture, la colle et le vernis. J’y avais mis tout mon âme dans ce projet, tout mon être, recevant quelques coups de mains d’amis. J'avais envie que sa chambre soit parfaite et je réalisais à présent à quel point j’avais espéré que le petit garçon que j’avais vu dans ce futur s’y sente bien. Je n’avais jamais vu la chambre d’Isaac au palais. Je ne pouvais qu’imaginer ce qu’il aimerait. Et j’espérai au fond que celle-ci lui plairait. Car depuis le début, elle était pour lui, pour personne d’autre. Cette pensée avait été ponctuée d’une larme qui avait coulé sur ma joue et qui avait poursuivi sa course jusqu’à s’écraser au sol. J'en avais presque ressenti l’impact par les gouttelettes diffusées près de mon pied. Je m’avançais alors lentement dans la pièce jusqu’à allumer la petite veilleuse en forme de nuage et d’étoiles qui était posée près de son lit déjà monté. Une douce lumière se diffusa dans la pièce, laissant le tout à la pénombre, me laissant dans le doux silence de cette chambre, dans le calme que je retrouvais petit à petit. Je m’assaillais alors en tailleur au milieu de la pièce, comme méditant. Il manquait encore un gros tapis. Le reste était presque parfait.

Ne parvenant pas à me décider entre mes deux idées tout était devenu clair et limpide au moment où je m’étais assise. Il n’y avait encore rien dans cette chambre ou très peu, le lit monté dans un bois neutre, quelques cartons ici et là, les murs de la chambre étaient encore blancs mais brusquement, tout avait plus de sens maintenant que j’acceptais clairement qu’Isaac serait bientôt à mes côtés. C’était comme si devant moi s’étalait la chambre parfaite. Erwin avait préféré le vert amande et j’avais préféré le bleu... il aurait les deux. Parce que peu importait qui était ses parents, il était la somme de nous deux et si le père avait tout de même donné son avis, je me devais de le respecter. Le lit serait blanc, les draps vert amande. La chambre d’un bleu eclipse profond. Un pan de mur serait de ce papier peint du même bleu aux motifs dorés arts décos qui représentaient comme des lys rampants et de jolis petits animaux, rappelant au passage que c’était une chambre d’enfant. Les meubles comme sa commode, sa table à langer seraient des mêmes couleurs dans quelque chose de profond et de mystérieux qui le caractérisait tant. Il me faudrait un rocking chair aussi, pour mes nuits d’allaitement. Et quelques peluches. Et ce gros tapis moelleux... oui, le reste était presque parfait.

J'avais alors senti la douceur de ses lèvres s’immiscer sur la peau de ma nuque m’arrachant un nouveau sursaut que son baiser avait fait taire. Je ne l’avais pas entendu arriver, perdu dans mes pensées. J’avais alors senti la chaleur de son torse contre mon dos toujours trempé par le vêtement que je portais. Comme pour accepter la surprise que je devinais, je dirigeais ma main dans la direction de mon dos, jusqu’à ce que mes doigts effleurent enfin son épaule nue. Il était torse-nu, je pouvais sentir la serviette moelleuse qu’il avait mis au tour de la taille tandis qu’il m’encerclait doucement de ses bras, proférant des paroles réconfortante avec un timbre de velours. Ma main n’avait cessé de caresser sa peau, bien qu’un peu distraitement, les yeux toujours rivés dans le vague. Il me disait que de ne pas m’inquiéter. Que mes doutes étaient humains mais qu’il croyait en moi, en mon amour et ses paroles étirèrent légèrement mes lèvres en un sourire de gratitude. Ses mots me faisaient l’effet d’une pommade après brûlure, une douceur et une fraîcheur bienvenue, apaisante, ramenant la peau échauffée à une chaleur délicate. Il croyait en mon amour, en ma capacité à être mère et malgré moi, malgré le fait qu’il n’ai jamais senti la fibre paternelle, cela me toucha, profondément, et une nouvelle larme coula le long de ma joue, sans que je ne la retienne ou que je ne tente de la dissimuler. De là où il était, il ne pouvait la voir. Si je bougeais, je lui manifestais sa présence... alors qu’elle roule, tandis que ses lèvres picoraient ma peau avec douceur.

— Si tu désires m’en parler, je suis là. De ce qui s'est passé. Je ne veux pas que tu t’en refermes. Si c’est trop tôt, si ce n’est pas le moment peu importe. Mais je veux savoir ce qui t’arrive. Ce qui t’est arrivé. Je veux t’aider. Mais pour cela, il faut que tu me laisses faire.

Un long silence avait suivi ses paroles. Un de ceux dont j’avais besoin pour me poser, pour réfléchir, pour formuler les premières phrases dans ma tête et trouver tout le courage de dire ce que je voulais dire. Il voulait que je le laisse faire, que je lui fasse confiance en somme. Pourtant, j’ignorais si j’étais capable de le faire, je le lui avais hurlé quelques minutes auparavant. Mais il était là. Comme il était venu dans le champ, il était venu me rejoindre dans cette chambre à laquelle il veillait très souvent à n’accorder aucun regard, où il ne s’était pas investi. Il y avait beaucoup de monde dans cette chambre, des gens qui avaient déjà œuvrés, d’autres qui avait promis de le faire. Il y avait beaucoup de moi, bien sûr, il y avait Elliot aussi et Lily. Hadès et même Hope. Norbert avait promis de faire un cadeau. Il y avait Danny bien sûr et Vaiana. Hypérion aussi. Regina qui prenait son futur rôle de grand-mère très à cœur et Henry... un peu de Daniel aussi. Mais pas d’Erwin. Pas encore certes, il y avait peut-être encore quelque chose à ‘espérer ne serait-ce que par la couverture dont il avait parlé mais pour l’instant, il était inexistant, comme un simple voisin, pas même un membre de la famille. Je l’avais accepté, cela faisait partie de notre pacte : il me donnerait ce qu’il serait capable de me donner... de LUI donner, dans la mesure où ça ne serait que du positif. Et pourtant ce soir, il était là, avec moi.

— Il s’appellera Isaac.

J'ignorais pourquoi c’était la première chose qui était sortie de ma bouche. Moi qui avais mis de longues minutes de silence à tenter d’ordonner ma pensée, à me donner le courage de dire tout ce que j’avais à dire, j’avais brusquement l’impression d’avoir perdu le contrôle à la seconde où mes lèvres s’étaient entrouvertes. Le ton ne laissait pas de place au doute. C’était une décision. Pas un ordre pourtant. Plus quelque chose de déclaratif. Je lui donnais une évidence que j’avais enfouie depuis si longtemps.

— Après tout, il s’est toujours appelé Isaac. Depuis la première fois que nous l’avons vu. Je tentais juste de me voiler la face et... et ça ne sert à rien, tu as raison. Je prenais mon bain tout à l’heure... il m’a donné un coup, plus violent que les autres et... le prénom est sorti de mes lèvres sans que je pusse l’arrêter. C’était... c’était comme lui donner naissance. Ça m’a bouleversé.

J’avais pris le temps de mettre une pause, de souffler un instant car je sentais de nouvelles larmes poindre en moi et je sentais cette horrible boule grossir dans ma gorge. Je ne voulais pas de tous ces trémolos dans ma voix, je voulais qu’elle soit claire, limpide comme de l’eau de roche. Il m’avait demandé de le laisser faire alors s’il voulait savoir, il allait savoir. Mais pas avec émotion. Juste avec le ton adéquat dont j’avais besoin pour expliquer mon point de vue : calme et décidé.

— J’ai peur Erwin. J'ai peur de beaucoup de choses. Mais ce matin... ce matin une nouvelle peur s’éveillée. Elle sommeillait en moi depuis toujours, depuis que j’avais su que j’étais enceinte. Et le fait de savoir que c’était un garçon puis de te voir proposer de l’appeler Isaac... Je crois que j’ai paniqué. Parce qu’au fond... j’ai peur d’être une mauvaise mère, j’ai peur de mal faire avec lui mais par-dessus tout je crois que... je crois que j’ai peur de toi.

J’avais pris une grande inspiration avant de le dire mais c’était sorti. Je sentais que j’allais devoir m’expliquer un peu plus. Humidifiant mes lèvres, mes doigts s’entremêlant nerveusement, j’avais poursuivi, le sentant toujours dans mon dos, contre moi.

— J’ai peur de ce que tu pourrais lui faire. Je sais pas ce qu’il s’est passé entre ton futur et ce gamin mais... il était malheureux comme les pierres et je n’arrive plus à m’enlever cette image de la tête depuis des nuits. J’ai... j’ai l’impression de le trahir en lui donnant vie, je... Je te l’ai dit tout à l’heure, je ne sais pas si je peux te faire confiance. Ça fait partie des choses pour lesquels je ne sais pas si c'est une bonne idée de le faire. Je t’ai dit que je ne supporterai pas de te voir lui faire du mal ou être mauvais et blessant dans tes paroles. Que je préférais encore que tu ne dises rien si c’était pour être comme ça et tu m’as promis que tu n’en ferais rien mais... je continue à douter que tu puisses le faire. Que je... je m’en voudrais terriblement si je lui faisais subir ça à cause de toi. Alors je doute de tout. L’idée qu’il puisse être constamment humilié et rabaissé comme il l’a été ces trois jours-là... ça... je...

J'en perdais mes mots. C’était plus fort que moi, le visage d’Isaac était venu se superposer à mes souvenirs et l’émotion avait été trop vive. J’avais senti un amoncellement de larmes monter jusqu’à mes yeux, les inondant avant de se répandre sur mes joues. Ne tenant plus mon flot de parole, j’avais préféré me taire avant d’expirer ma douleur au milieu des sanglots. J’avais pris un instant pour vider le trop plein d’émotion qui m’empêchait de reprendre la parole, remontant mes mains jusqu’à mon visage pour m’y plonger, tandis que je sentais toujours ses bras autour de moi, en dessous de ma poitrine, là où il avait pris bien garde de ne pas toucher mon ventre, cette chose qu’il tentait d’éviter comme la peste depuis qu’il le savait. J’avais pris le temps d’inspirer et d’expirer plusieurs fois, tentant de reprendre une respiration normale qui me permettrait un flot de paroles adéquat. Puis je m’étais lentement tourné pour lui faire face, parce que j’avais besoin qu’il me voit, qu’il voit ma détermination :

— Tu me couvres de merveilleux compliments depuis tout à l’heure. Je ne sais pas si la moitié est méritée mais il y a une chose pour laquelle je sais que tu as raison : quand j’aime, c’est pleinement. Je t’aime pleinement, Erwin, vraiment. Profondément. Mais... je l’aime aussi. D’un amour différent. Et si je n’aurai laissé aucun éclair te blesser ce soir, j’en ferai pareil pour lui. Je refuse que mon fils puisse souffrir et être humilié sous mes yeux et que je ne fasse rien. Il semblait résigné, la Enora de ce futur aussi mais je me suis promis que je ne le serai pas. Je ne veux pas me résigner à le voir dans cet état. Je ne laisserai personne lui faire du mal, tu m’entends ? Alors s’il te plaît... s’il te plaît : aide-moi. Ne me laisse pas me débattre seule. Ne me fais pas choisir entre vous deux. Aide-moi, aide-moi à faire en sorte qu’on soit tous les trois du même côté et je te promets que je ferai en sorte qu’il soit aussi de ton côté.

Je l’avais regardé d’un air déterminé, presque féroce, d’une volonté sourde. Je m’étais enflammée avec une telle puissance sur la fin de mon discours, comme profitant du bonheur immense de pouvoir enfin lui dire tout ce que j’avais répété si longuement devant mon miroir sans avoir le courage de le lui dire. Me mettant à genoux face à lui, j’avais lentement alors posé mon front contre le sien, avec toute la douceur dont j’étais capable sans pour autant rompre le contact visuel entre l'ambroisie de ses yeux et la tempête acier qui gisait dans les miens. J’étais prête à être la colle entre les deux s’il le fallait, j’avais été prête depuis la seconde où il m’avait demandé à être dans la vie de cette enfant. C’était encore le rôle qui me faisait le moins peur, je ne vivais que pour eux. Ce qui me faisait peur, c’était d’échouer. Alors lentement, la voix à peine plus haute qu’un murmure j’avais précisée :

— Il s’appellera Isaac. Parce que c’est son nom depuis le début, parce que je ne vois et ne veux que lui. J’ignore pourtant s’il ce sera lui, j’ai l’impression qu’on se sent obligé de vivre à travers un futur qu’on a entrevue comme s’il était obligé d’arriver, trait pour trait. J'ai peur d’être déçue si mon fils ne lui ressemble pas, mais je me dis aussi qu’il avait 10 ans et qu’avant que mon enfant aie ce visage, je l’aimerai déjà trop profondément pour être déçue quoi que ce soit. Je suis prête à accepter tout le reste, je l’accepte déjà d’une certaine manière et je suis prête accepter que tu aies raison : rien ne sert de s’effrayer du Futur. Mais je ne veux pas le subir. Je veux l’écrire. Je veux qu’on l’écrive ensemble, toi et moi. Et dans ce futur, mon fils sera heureux. Tu seras heureux. Et je le serais donc aussi.

Sans quitter son front, ma main était venue se poser sur sa joue avec douceur, en dessinant les contours, ceux de sa mâchoire. Hypérion avait raison, je le comprenais maintenant. C’était une erreur de parler du futur de quelqu’un. Il se bornait à s’inscrire dedant même quand tout restait à écrire. Je n’avais jamais porté attention à “Enora” et même le Cavalier restait en demi-teinte dans mon esprit. Car rien n’était aussi important, aussi puissant que le futur où je m’étais vue mère... et Favorite. C’était CE futur qui me bouffait, me dévorait, car il était important à mes yeux. Mais je lui donnais aussi trop d’importance, au point d’en créer une Tragédie Œdipienne dans presque tous les sens du terme. Et pourtant je savais déjà que tout ne pouvait pas se passer comme ça... alors qu'Erwin en ignorait encore tout...

J’avais eu un éclair d’hésitation. Mais j’avais repoussé le moment à plus tard. Cela faisait déjà beaucoup de choses pour le moment : Isaac, la Tempête, il était inutile de rajouter le Cavalier. Je me sentais épuisée et l’idée même de devoir encore expliquer cette idée me vidait de toute mon énergie. Peut-être après, peut-être demain, si je devais lui faire confiance, autant aller jusqu’au bout, mais pour le moment, je n’avais qu’une envie, me nicher dans ses bras, et laisser la fin de l’orage m’emporter. Alors, mon front se détacha du sien et je me tournais une nouvelle fois, collant mon dos contre son torse que j’avais entraperçu, récupérant ses bras autour des miens pour me blottir contre lui et ressentir son parfum. Son parfum brut. Pas celui qui le représentait et dont il s’aspergeait abondamment. Celui qui le définissait, son odeur naturelle, corporelle, celle qui m’apaisait après le sexe, la dernière que je sentais quand je terminais dans ses bras, faible et endormie après nos ébats virulents. Nous étions restés un moment ainsi. Des minutes ou des heures, j’en avais presque perdu la notion du temps, somnolent dans ses bras, avec cette impression de félicité et de sécurité que je ne vivais presque jamais pleinement. Et puis c’était lui qui avait impulsé la fin de l’instant, le commencement du suivant, en me tournant lentement vers lui. J’avais senti son pouce retirer avec douceur ce qui devait être une trace sur ma joue et je l’avais laissé faire, silencieuse, mes yeux rivés dans les siens. Il m’avait alors aidé à me lever, ses yeux se baladant sur mon corps à moitié nu, avant de m’escorter jusqu’à la salle de bain.

J’y étais presque entrée timidement, aveuglée par la lumière des spots, évitant pendant un instant soigneusement le miroir. Je devais être dans un état pitoyable. Et le miroir ne le démentit pas. M’observant un instant en silence, je constatais à quel point ma chemise de nuit blanche avait collée à mon corps par son humidité. On pouvait allégrement percevoir mon nombril de femme enceinte, le bout de mes seins dressé par le froid, le tout dans un espèce de tableau qui ressemblait presque à Monnet tant mes traits étaient brouillés entre eux. Mes cheveux avaient perdu tout leur volume et retombaient en boucle molles et noires de chaque côté de mon visage. La boue avait trouvé domicile ici et là, dans un capharnaüm qui représentait bien la tempête que j’avais créé. Et puis il était entré dans mon champ de vision, lentement, comme une ombre sournoise à l’aura pourtant éblouissante, s'agrippant à mes épaules. Je remarquais à présent à mon inverse qu’il avait pris le temps de retravailler légèrement sa chevelure humide, son torse saillant présentait fièrement à mes côtés, déjà réchauffé d’avoir perdu ses vêtements depuis un certain temps. Ne restait que la serviette...

Ses lèvres étaient lentement venues se loger sur ma clavicule et j’avais observé le spectacle dans une attente figée. Une fois de plus, j’étais spectatrice mais plus par anesthésie, juste par surprise de voir le moment dériver ainsi, me ramenant à cette nuit parisienne ou tout, absolument TOUT avait commencé ainsi. J’étais bien plus belle alors. Lui était tout aussi parfait. Ses lèvres étaient venues se poser sur mon cou et je m’étais senti paniquer, décidée à tout arrêter tout en sentant poindre en moi une curiosité puissante, presque malsaine qui demandait la suite. “Il ne faut pas” avais-je tenté de murmurer et je le voyais à présent, moins d’un an après à quel point il n’aurait pas fallu. Ou à quel point cela aurait été une hérésie de ne pas continuer. Là où j’étais femme à l’époque, je me sentais aujourd’hui femme accomplie. Moins d’un an après, ma vie avait radicalement changé. Un déménagement. La vue d’un futur. Un amour grandissant. Une acceptation de tous les jours. Un bébé. C’était aussi vertigineux que les baisers que proféraient sa bouche sur ma peau glacée, me laissant dans un état si second que je ne pouvais qu’observer, la curiosité malsaine pourtant bien de retour.

— Il vaut mieux l’enlever… Il ne faut pas que tu attrapes froid, ainsi… Au contraire, il faut te réchauffer…

Ses dents contre ma clavicule avaient fait réagir tout mon corps en un instant, le couvrant d’une légère horripilation qui pouvait aussi s’expliquer par le froid qui me tenaillait malgré la chaleur qu’il commençait à faire naître en moi. J'avais senti ses mains chaudes glisser le long de mon corps, le remonter de part et d’autre tout en soulevant le tissu de ma chemise de nuit, jusqu’à me pousser à lever les bras pour m’en délester tout à fait. Je n’avais cessé de nous observer dans le miroir, de l’observer pour être plus précise, perdue entre l’attente qui m’attisait et la volonté froide et logique de scruter ses réactions. Son visage était toujours logé sur mon épaule et ses lèvres avaient repris leur œuvre tandis que son ventre se collait un peu plus contre mon dos. Ses mains étaient venues lentement se poser de nouveau au niveau de mes hanches, promulguant des caresses si douces que j’avais presque l’impression qu’elles tentaient de soigner une grande blessée. L’image était insoutenable et pourtant si belle car elle en était inattendue. Insoutenable car je me trouvais horrible, sans vie, sale, vidée, sans âme et sans vie. Comment pouvait-il à l’inverse être dans une forme si étincelante ? Inattendue car pour une fois, il n’y avait rien de séducteur dans ses caresses, moins lascives qu’érotiques, bien plus attentives à mon être que désireuses de leur propre plaisir. Erwin ne prenait pas. Il partageait. Il donnait au contraire et cette pensée eût fini de m’apaiser, de me laisser aller à lui, à ses gestes, en toute confiance, le cœur réchauffé par cette constatation. Plus que de me promettre d’être là pour moi, de le dire, il le prouvait, pour la première fois, réellement. Rien ne semblait égoïste, tout semblait attentif. C’était si nouveau entre nous que j’en étais presque déstabilisée, effrayée à l’idée d’y prendre goût. Je me sentais brusquement comme je ne m’étais jamais vraiment senti entièrement : choyée... et en confiance.

— Mon trésor…

Un soupir s’était échappé de mes lèvres, presque malgré moi. J’avais fermé les yeux, m’ancrant pleinement dans le moment lorsqu’il m’avait lentement tourné vers lui. Son regard était descendu vers mon ventre, j’avais suivi la même courbe, tout en approchant lentement mes mains de ses hanches, venant les faire reposer avec douceur sur le bord de la serviette nouée. Après un regard, il m’invita à me diriger vers la douche. Je réalisais à présent à quel point j’en avais envie. Non. Besoin était le mot le plus juste. Sentir enfin l’eau chaude couler sur mon corps, me réchauffer, me laver de tous mes doutes, toutes mes douleurs et toutes mes peurs. J’avais senti ses lèvres heurter alors les miennes avec douceur mais pleinement. J’y avais répondu avec un peu plus de présence, pourtant toujours ailleurs et désormais obsédée par cette douche. Mes mains étaient remontées lentement le long de son torse, jusqu’à son cou, sa nuque, à la naissance de ses cheveux. Et le baiser avait cessé. Ses paroles m’avaient alors désarçonnées :

— Je te vois comme nul autre, Alexis… Laisse-moi te débarrasser, te laver de toute cette boue, trésor. Laisse-moi te révéler...

J’avais tant vu les autres, tant aidé les autres à s’accomplir, à s’accepter tels que je les voyais. Regina. Elliot. Jack. C’était la première fois que j’entendais ces mots d’une autre bouche. Dit pour moi. Dirigés vers moi. Je ne savais pas comment réagir. Que voyait-il réellement ? Scrutant ses yeux à la recherche d’une réponse, j’avais senti ses doigts glisser sur ma pommette, cette lueur qu’il avait dans les yeux et que j’avais vu auparavant... ce soir-là au Louvre... lorsqu’il observait les tableaux. Cette façon qu’il avait eu bien à lui d’en scruter les moindres recoins, la moindre parcelle, à la recherche d’une estimation de l’œuvre qu’il avait devant lui. Il m’estimait, bien plus profondément qu’il ne l’avait fait jusqu’alors et je voyais à sa lueur à quel point je gagnais en valeur. J’aurai pu m’en offusquer, lui rappeler que je n’étais pas un objet, être vexée d’avoir l’impression qu’il ne voyait en mon pouvoir que ce qui lui manquait pour véritablement me regarder ainsi mais il y avait autre chose. Quelque chose de plus profond. Et je l’avais compris avec la phrase suivante, cette phrase qui finissait d’appuyer ce qu’il avait entamé de ses mains quelques minutes auparavant en me débarrassant de ma chemise de nuit. Un nouvel orgueil s’était emparé de lui. Il n’était plus seulement question de voir son reflet dans mes yeux. Ou de lui plaire. Il était question de ce qu’il avait envie de donner à son tour, d’une façon pourtant bien à lui et si plaisante en même temps. J’avais l’impression de regarder la scène de l’extérieur, comme s’il ne pouvait pas être question de moi et d’être figée dans cet instant en même temps. C’était agréable. J’en avais presque honte de le penser. Se sentir choyée, protégée, vue comme quelque chose d’inestimable. Moi qui avait toujours fui ces moments, avec n’importe qui, gênée et bouleversée d’émotion, je me surprenais là à m’en gorger inavouablement. Je touchais presque du doigt ce qu’il ressentait souvent. Je commençais à comprendre ce qu’il y trouvait de plaisant. Mais contrairement à lui, je n’avais ni l’impression de le mériter, ni l’impression qu’il me le devait. Alors après un dégluti et un dernier doute, j’avais lentement acquiescé de la tête, en silence, comme pour éviter d’entendre ma voix accepter ce que je ne pensais jamais accepter de ma vie. Mes doigts avaient lentement glissé le long de son torse, le bout de ma peau effleurant presque la sienne, la sentant se tendre sous l’effet de cette caresse aussi légère qu’une brise. Atteignant son bas-ventre, mes doigts s’étaient immiscés sous la serviette un court instant juste pour me permettre de la défaire, scellant mon dernier accord. Le tissu tomba à nos pieds et ma main rejoignit la sienne avec une certaine douceur, tandis que j’enjambais l’objet pour rejoindre la douche, l’attirant dans mon sillage.

Je l’avais laissé refermer la porte sur nous, l’observant en silence attendant la suite. Actionnant le robinet, l’eau s’écoula du gros pommeau de la douche à l’italienne qu’on avait fini de m’installer. Nous y étions de nouveau. Sous la pluie. Mais une pluie bien plus douce, bien plus chaude, bien moins menaçante qu’elle ne l’avait jusqu’alors été. J'avais senti l’air se réchauffer petit à petit tandis que des gouttes perlaient sur mon corps. Me plaçant alors tout à fait sous l’eau, j’avais ouvert ses bras et l’avait attiré à moi pour me blottir contre lui, un instant, dans le silence reposant du moment que seul le ronronnement de la tuyauterie venait déranger. Je me sentais me réchauffer à son contact, au contact de l’eau. Mes cheveux trempés d’une pluie glaciales commençaient à faire gouter de l’eau parfaitement chaude sur mon dos, enfin rincés de toute leur froideur. Après un instant de pure contemplation de ce moment, j’avais déposé un tendre baiser sur le haut de son torse avant de récupérer avec lenteur une éponge de mer que j’utilisais pour mes soins, sur son rebord. Je l’avais patiemment gorgée d’eau, l’essorant par moments pour lui donner sa souplesse habituelle avant de prendre la main d’Erwin et de l’y déposer avec douceur. Ma tête se leva alors dans sa direction, mes yeux scrutant les siens malgré les gouttes qui continuaient à fouetter mon visage sans douleur. Je ne papillonnais presque pas, mes cils gardant le surplus d’eau loin de mes iris. Je me contentais de l’observer, curieuse, avec une lueur de défi dans les yeux, loin d’être impérieux, bien plus proche d’une volonté de voir les gestes derrière la parole. Et il y avait bien un acte. La gorgeant de savon, il avait fini par laver toute cette boue de mon corps, puis de mes cheveux. M’étant laissé faire timidement dans un premier temps, sentant le frisson poindre dès que l’éponge atteignait des zones plus sensibles de mon anatomie qu’il avait la finesse d’effleurer plus que de frotter, échauffant un peu plus mon esprit, apaisant toujours la tempête qui sommeillait en moi, me plongeant dans un océan de confiance. Il avait agi ainsi pendant une poignée de secondes, de minutes... une heure peut-être... je n’en savais rien, j’aurai voulu que l’instant ne s’arrête jamais. Je découvrais un sentiment inédit : à quel point il était bon d’être choyé par celui que tout le monde choyait, d’être aimée par celui qui exigeait sans jamais vraiment donner. C’était là un sel nouveau, un poison puissant, qu’il distillait encore plus sur moi. Un moment parfait.

— Erwin... Reste ce soir... reste avec moi. Toute la nuit. Jusqu’au matin. S’il te plaît.

Par pitié.

Je l’avais pensé. Ma fierté m’avait empêché de le dire mais je l’avais pensé si fort que mes yeux l’avaient sans doute reflété. Mes yeux. Que j’avais plongé dans les siens. Mes mains s’étaient agrippées à son cou. Cette phrase, je l’avais prononcée après un moment d’hésitation mais sans aucun détour. Je l’avais prononcée après un long baiser. Un baiser passionné et pourtant doux, un baiser proche de celui qu’il m’avait délivré devant le lac, cette nuit où Isaac avait commencé à exister. Un baiser différent de tous les autres, rare, puissant. Un baiser intime et qui nous liait pourtant. Celui où on déversait nos doutes et nos tendresses. Le plus profond de nous-même. Celui qui nous unissait pleinement, nous connectait ensemble, qui expliquait à lui seul pourquoi lui et moi... c’était simplement une évidence. Malgré son caractère, le mien, nos différences. Parce que nous étions deux pièces de puzzle, que le vent et le Destin avait assemblés, sans même que nous nous en rendions compte. Quelque chose qui nous avait dépassé tous les deux, malgré nos envies, nos plans. Quelque chose qui faisait qu’il restait malgré ma grossesse et qui faisait que je l’aimais malgré sa noirceur. Il avait reposé l’éponge, on s’était emparés du corps de l’autre, nos lèvres s’étaient soudées pendant notre petite éternité. Et je le lui avais demandé. Avec un ton qui trahissait tout mon besoin. Je n’avais jamais demandé quelque chose de la sorte. Jamais hormis cette nuit, celle de mon retour du monde étrange où j’avais dû accepter beaucoup de choses. Jamais. Parce que je respectais son mariage, je respectais ses obligations, j’acceptais ma place. Nous passions des moments ensemble, des instants, mais je ne pouvais pas lui demander plus de Temps que celui qui nous était accordé. Mais ce soir, j’avais besoin de plus. De lui, tout entier. J’avais envie d’être égoïste. Non. J’en avais besoin. Au diable sa femme ! Elle saurait bien attendre une autre nuit. Cette nuit-ci, elle était pour moi, pour nous. Parce que je refusais de fermer les yeux, toute seule dans le noir. Je refusais la possibilité de voir l’horreur de la situation à travers mes rêves, je refusais de devoir affronter ça toute seule. Je voulais pouvoir compter sur lui toute la nuit, jusqu’aux premiers rayons du Soleil, où le jour me délivrerait de ma torpeur. Il avait eu un petit rire. Il m’avait précisé qu’il n’avait aucune intention de partir, qu’il comptait bien rester toute la nuit, me prouvant une fois de plus que je pouvais avoir confiance. Alors avait-il allumé un feu nouveau en moi.

Et ce feu avait brûlé longtemps, sous la douche, jusque dans notre lit après le repas qui m’attendait toujours et que nous avions mangé dans le lit. S’il réclamait des petits déjeuner dans la chambre à coucher, j’avais bien le droit de réclamer un dîner. Le feu avait continué de me consumer, m’électrisant, l’électrisant, jusqu’à ce que je tombe de sommeil, dans ses bras, épuisée, incapable de rêver le moindre cauchemar.

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